— Par Sabrina Solar —
Pour la première fois, l’Inserm Guadeloupe, en collaboration avec le CHU de Guadeloupe et l’Institut Pasteur du territoire, initie une étude majeure visant à évaluer l’effet de la chlordécone sur la fertilité des femmes. Connu pour ses effets délétères sur la santé humaine, ce pesticide utilisé dans les bananeraies des Antilles entre 1972 et 1993, reste encore un sujet de préoccupation environnementale et sanitaire en raison de sa persistance dans les sols et l’eau.
Le Professeur Ronan Garlantezec, praticien hospitalier au CHU de Rennes et co-responsable de l’équipe de recherche, souligne l’importance de cette étude. « La problématique de l’impact de la chlordécone sur la fertilité des femmes n’a jamais été étudiée scientifiquement. Notre objectif est d’établir si l’exposition à ce perturbateur endocrinien influence la capacité à concevoir », explique-t-il.
L’étude a débuté en janvier 2024 et se poursuivra jusqu’en février 2026. Les participantes, exclusivement des femmes consultant pour une Aide Médicale à la Procréation (AMP) au CHU de Pointe-à-Pitre, sont invitées à remplir des questionnaires détaillés sur leur histoire d’infertilité, leurs antécédents médicaux et leurs modes de vie. Des analyses sanguines sont également effectuées pour mesurer les niveaux de chlordécone et d’autres polluants. Ces femmes seront suivies tout au long de leur parcours d’AMP, ainsi que pendant la grossesse et après la naissance de l’enfant, le cas échéant. L’étude vise à corréler les pathologies d’infertilité telles que l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques ou une réserve ovarienne basse, avec les taux de chlordécone détectés.
En plus de l’aspect épidémiologique, un volet sociologique a été intégré à l’étude. Une sociologue interrogera les couples sur leur perception des risques environnementaux. Le Dr Gülen Aylan-Kancel, gynécologue obstétricienne au CHU de Guadeloupe, insiste sur l’importance de cet aspect : « La question de la chlordécone est une problématique sociétale aux Antilles, avec des dimensions culturelles et politiques importantes. »
Les premiers résultats de cette recherche ne seront pas disponibles avant 2027-2028. Cependant, les précédentes études, comme la cohorte TIMOUN lancée en 2004, ont déjà montré que l’exposition à la chlordécone peut affecter la durée de la grossesse et augmenter le risque de prématurité. Elles ont également révélé des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons exposés in utero ou par l’alimentation postnatale.
Malgré ces préoccupations, le Dr Aylan-Kancel rappelle que toutes les femmes en Guadeloupe ne sont pas contaminées et qu’une décontamination est possible. L’Agence Régionale de Santé de Guadeloupe a même mis en place un programme d’accompagnement pour informer et protéger les femmes enceintes.
Cette nouvelle étude sur la fertilité féminine vient combler une lacune importante dans la recherche sur la chlordécone. Elle permettra de mieux comprendre les risques associés à ce pesticide et de continuer à sensibiliser et à protéger la population guadeloupéenne.