Dans « Batailles », Alexia Stresi tisse un récit intriguant qui navigue entre fait divers, page d’Histoire, destin de femme et quête des origines.
— Par Jérôme Béglé —
Le plaisir de choisir un livre au hasard sans rien connaître de l’auteur ni de l’histoire que l’on s’apprête à lire. Le choc en découvrant un roman qui débute par une mystérieuse disparition pour nous emmener au cœur d’une des pages les plus méconnues de l’histoire de notre cinquième République. Disons les choses d’emblée, Batailles d’Alexia Stresi est un formidable récit bien mené avec brio. Tel un bureau à cylindre Louis XV, il recèle d’une foultitude de tiroirs cachés qui derrière une marqueterie parfaite ajoute encore du charme et de l’utilité à qui sait prendre son temps de le détailler.
Un beau jour, sans crier gare, Brigitte disparaît. Elle laisse une lettre à sa fille Rose en lui demandant de ne rien faire pour la retrouver tout en lui promettant de réapparaître dans quelque temps. Tempête sous son crâne : qu’est-ce qui pourrait justifier ou expliquer une telle fuite ? Les années passent et Brigitte ne donne toujours pas signe de vie. N’y tenant plus, Rose décide de mener ses propres investigations.
Les enfants de la Creuse
Souvent les faits divers révèlent non seulement un instantané de notre société, une fixation de l’époque, mais également ils peuvent faire ressurgir en chacun, une blessure, une révélation ou une prise de conscience. Alors l’universel devient le particulier, l’aspect public devient notre intimité. Ainsi le meurtre d’un bébé par sa mère sur la plage de Berck-sur-Mer. Ce fait divers secoua la France. Comment une mère peut-elle déposer son enfant à marée montante, pour le laisser se noyer ? Puis retourner tranquillement à ses occupations. Plus tard, elle évoquera des problèmes de couple et des hallucinations pour tenter de justifier l’innommable.
Dix ans après la disparition de sa mère, Rose va se passionner pour ce fait divers qui fait écho à sa propre histoire. Elle s’est reconstruite, s’est mariée, a eu des jumelles ; à son tour, elle est devenue mère. C’est le moment pour elle de comprendre ou de tenter de comprendre. Son enquête nous interroge sur la filiation entre mère et fille sur fond de racisme banal et ordinaire. Mais, surtout, elle éclaire un peu l’un des plus grands scandales cachés de notre histoire récente celui des « enfants de la Creuse ». Pendant vingt ans, du début des années 1960 au milieu des années 1980, plus de 2 000 enfants réunionnais furent envoyés par les autorités locales et nationales en métropole pour repeupler les départements victimes de l’exode rural. Ce déplacement d’enfants fut organisé sous l’égide de Michel Debré, Premier ministre de 1959 à 1962 puis député de La Réunion presque sans discontinuer jusqu’en 1988.
Pour paraphraser Simone de Beauvoir, Batailles est aussi le livre d’une femme qui découvre qu’on ne naît pas mère mais qu’on le devient. Un livre intriguant et captivant.
Batailles d’Alexia Stresi, Stock, 285 pages, 19,50 euros.
Source : LePoint.fr