– par Janine Bailly –
Les 22, 23 et 24 mai, une Trentième Édition 2021 forcément en ligne, et sans Michel Le Bris !
Je me souviens… Il fut, en des temps plus heureux, des Pentecôte(s) où descendait sur nos fronts, non la blanche colombe de la Bible, mais l’esprit de la littérature. Alors déferlait sur Saint-Malo, à peine contenue par l’antique ceinture granitique de ses remparts, la vague des lecteurs, amoureux des livres du « tout-monde », corsaires à l’affût de trésors dormant entre les pages, pirates chasseurs d’autographes, flibustiers dénicheurs d’inédites perles rares au creux secret de l’huître… Je me souviens… les courants convergents des visiteurs déferlant de toute la Bretagne et d’ailleurs vers le Palais du Grand Large ; la ville vaisseau littéraire à prendre à l’abordage, l’ancien repaire investi pendant trois jours, espace clos et pourtant ouvert sur le monde, bulle de sérénité où la vie se déroulait d’autre et belle façon ; le ressac des mots, les paroles entendues des écrivains, que l’on buvait sans que jamais ne soit étanchée notre soif, et dans l’odeur salée qui montait du large, l’écho des aventures et des voyages, périples autour du monde, mais encore plongée au cœur de la pensée et dans les hauts-fonds de l’âme humaine ; les milliers de pages à réveiller, auxquelles donner vie par une lecture à venir, que l’on pressentait heureuse et riche, et dont la seule idée tenait déjà d’une indicible satisfaction ; le choix difficile puisque de cette bibliothèque marine, universelle, aux alizés ouverte, on ne pourrait hélas tout acquérir ! Les livres… avec avidité feuilletés, élus jalousement emportés, ou laissés derrière soi dans un regret dans un soupir ; les livres… ceux que l’on se promettait de retrouver plus tard, ceux qui deviendraient fidèles compagnons de navigation, phares à éclairer notre route, ceux aussi qui tomberaient aux abysses oublieux de la mémoire… Et des découvertes au fil des ans, de nouveaux noms à inscrire à notre journal de bord… Il aurait fallu comme Ulysse au mât nous attacher pour qu’à l’appel des romans, des récits, des essais, tous sirènes ensorceleuses, nous puissions résister !
Le Festival, parenthèse enchantée solidement ancrée dans la ville bretonne, chaque année réouverte dans le quotidien des jours, et voici qu’un virus a surgi, tenace, létal, qui terrorise et nous isole, qui ferme la convivialité et voudrait au silence condamner la culture. Il est pourtant des choses immarcescibles, sur lesquelles ni le temps ni aucun virus si agressif soit-il n’aura de prise, et la littérature est de celles-là ! C’est pourquoi la 30e édition de Saint-Malo, Étonnants Voyageurs se tiendra, contre vents et marées, en ligne certes, mais bien réelle, îlot de résistance au ventre de la tourmente, et nous en serons volontiers les Robinson(s) éblouis. Nous manquera cette émotion levée en nous, cette joie à l’approche des corps vivants, corps des écrivains que parfois en lecteur mystique on sacralisait ; nous manqueront le sourire, le petit mot d’accueil que l’on voulait croire à soi seul seul offerts, quand de la table des signatures on s’approchait, presque religieusement, et que trop vite il fallait céder la place ; alors on repartait, riche de cette griffe sur la page de garde, orgueilleux de cette dédicace, simple et que l’on disait pourtant précieuse ; nous manquera la caresse de la voix, le frisson sur la peau, le bonheur de l’échange. Mais il sera, le Festival, « parce que nous souhaitons qu’il demeure ce laboratoire de la pensée où les auteurs se rencontrent, les mots s’entrechoquent, les cultures se frottent… ». Cinquante auteurs sont ainsi invités à se déplacer physiquement à Saint-Malo, pour ces trois jours de rencontres, qui seront retransmises en ligne gratuitement. Sont attendus, entre autres, pour lutter contre l’éphémère d’une vie glissée comme sable entre nos doigts, pour nous tenir compagnie en ces temps troublés et tragiques, pour nous ouvrir à leurs univers personnels, à leurs rêves et au partage : Simone Schwarz-Bart, Mathias Énard, Franck Bouysse, Céline Georges-Olivier Chateaureynaud, Cédric Herrou, Dany Laferrière de l’Académie française, Rachel Khan, Serge Joncour, Céline Curiol, Colin Niel, Scholastique Mukasonga, Etienne Klein, Judith Perrignon, Carole Martinez, Diane Meur, Pierre Cassou-Nogues, Bruno Latour, Trinh Xuan Thuan, Sylvain Prudhomme, Kaouther Adimi…
Présentation sur la page Saint-Malo Étonnants Voyageurs : un festival toujours aussi étonnant, foisonnant, en prise avec notre monde en mouvement. Mais sans son fondateur Michel Le Bris, et c’est un crève-cœur pour les fidèles de l’événement !
« Le climat qui s’emballe, les démocraties mises à l’épreuve, un virus qui se déploie à l’échelle de la planète, un monde confiné, et nous devons affronter le rétrécissement de nos libertés individuelles. Ce que nous vivons depuis plus d’un an est digne d’une série de science-fiction… Jamais depuis la Seconde Guerre Mondiale nous n’avions eu à affronter tant d’épreuves touchant simultanément l’ensemble de la planète. Cette crise inédite interroge notre commune humanité. Une occasion nous serait-elle offerte de nous redéfinir, tout au moins de redéfinir ce que nous voulons être ?
Quand les cadres explosent et que les lignes vacillent, à quoi se référer pour penser le chaos du monde ? Et s’il suffisait de pas se raccrocher aux branches, mais plutôt d’accepter de faire un pas de côté, ou même de se laisser glisser… pour que nous puissions atteindre un ailleurs, ouvrir notre imaginaire, nous projeter hors de nous-même… C’est dans cet espace inconnu, dans ce temps suspendu, ce moment de déséquilibre que naît un pas de danse, une peinture, une musique, une poésie, une découverte scientifique… l’espace même de création.
Michel Le Bris vient de nous quitter. Le questionnement des temps présents le passionnait, et nous ferons en sorte qu’il soit présent dans chacune des rencontres du festival, à travers les thèmes qui lui étaient chers, à travers des lectures d’extraits de ses textes. Et de réaffirmer, avec lui, encore et toujours, le rôle nécessaire des artistes en temps de crise pour nous aider à penser notre monde en mouvement. Parce qu’elle irrigue nos imaginaires, décuple l’imagination et ouvre le champ des possibles, parce qu’elle est le fondement de notre humanité, la culture est et restera un produit de première nécessité, partout et toujours ! »
Avec J.M.G Le Clézio, proclamons que « Étonnants Voyageurs est la plus belle rencontre littéraire de notre temps. Ce festival ne ressemble à aucun autre, et chacune de ses manifestations ne ressemble à aucune autre ». Rappelons aussi qu’en accord avec sa philosophie, le Festival a su essaimer de par le monde, ce dont se félicitait l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot : « À Saint-Malo, et à Port-au-Prince, Étonnants Voyageurs, c’est d’abord cela pour moi : cette multitude salutaire qui fait que nul ne peut prétendre tenir le bon bout de la parole ou de l’écrit. On ne tarde que trop à mettre en oeuvre le principe d’égalité dans les relations entre les peuples. C’est un petit pas, mais déjà un pas, que de tenter de mettre les écritures à égalité (…) Preneur donc je suis pour cette aventure à Saint-Malo, à Port-au-Prince et ailleurs. Il y a toujours des ailleurs à visiter. D’autres voix à entendre (…) On s’affranchit de sa propre ignorance en apprenant à lire et à entendre les voix et les écritures du monde. Puisse “Étonnants Voyageurs”, par culte du décentrement, continuer longtemps à contribuer à cet affranchissement. »
Festival en ligne sur le site Étonnants Voyageurs : Édition 2021, Quatre chaînes en direct, en continu et en replay pour se plonger, comme chaque année dans les univers des auteurs.
•Un lieu de grands débats et de rencontres : grands débats de fond autour des enjeux de la littérature, du rôle de l’écrivain face aux péripéties que traverse notre monde contemporain.
•Un Café littéraire, animé par Maette Chantrel, en complicité avec Pascal Jourdana et Michel Abescat. Pour retrouver le meilleur de l’actualité littéraire de l’année.
•Un lieu de grands entretiens, animé par Jean-Luc Hess : un moment privilégié avec un auteur sur son itinéraire d’écrivain, ses amitiés littéraires, son écriture et son rapport à la création.
•Un espace de lecture et un lieu dédié à la poésie : un espace de lecture et d’échange autour d’Yvon Le Men, en lien avec les différentes thématiques du festival. Parce que, plus que jamais, nous avons besoin de poésie !
Un festival qui se déploie tout entier
•Des dédicaces, dans les librairies malouines
•Du cinéma : une sélection d’une quinzaine de documentaires en prise avec les thématiques du festival, en diffusion sur une plateforme dédiée.
•Une journée professionnelle : « Voyages en images », dans l’univers de quatre auteurs de BD.
•Une journée pour les collèges et lycées bretons, sur le thème « L’Afrique en mouvement ».
•Des ateliers-rencontres dans les écoles, les collèges et les lycées de Saint-Malo.
•Le Concours de nouvelles parrainé en 2021 par Franck Bouysse, Prix Jean Giono 2020 pour son roman Buveurs de vent, Prix des Libraires en 2019 pour Né d’aucune femme
•Des Prix littéraires : Prix Ouest-France Étonnants Voyageurs, Prix Joseph Kessel de la Scam, Grand Prix de l’imaginaire, Prix Gens de mer.
Fort-de-France, le 20 avril 2021