— Par Gilbert Pago —
Laurence Rossignol ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes juge utile de répondre à une interview sur les vêtements de mode islamique mis en vente par des grandes marques européennes. Nous n’avons pas à redire de son droit de s’exprimer encore qu’il existe en ce temps de crise sociale et de matraquage du droit du travail, des thèmes bien plus immédiats à aborder dans les atteintes aux droits des femmes.
Elle monte en première ligne contre les longues robes, le voile, les foulards, le burkini, en justifiant cela par le refus « du contrôle social sur les corps des femmes » et la dénonciation de « l’enfermement du corps des femmes ». Elle veut nous faire accroire que ce sont dans leurs habits que les « franco-musulmanes » (sic !) font le plus de mal à la cause féministe dans ce monde qu’elle et son gouvernement livrent à la sujétion du capitalisme mais aussi dans bien des aspects au patriarcat.
L’interviewer l’interroge alors sur les femmes qui choisissent seule de porter le voile, Laurence Rossignol s’insurge : « Il y avait aussi des nègres afric… et des nègres américains qui étaient pour l’esclavage… ». « Les nègres afric… » (re-sic !) c’était un lapsus, son mauvais glissement de langue, mais elle confirme avec les nègres américains. Les réseaux sociaux et la presse l’ont prise à partie, entre autres critiques, pour l’emploi du mot « nègre ». En effet le mot est péjoratif, injurieux et rappelle tout ce que l’humanité noire traquée par la traite en Afrique Noire, vendue dans les Afriques soit celles du Nord ou celle en osmose avec le Moyen Orient et transportée à travers l’océan vers l’essentiel des Amériques, a subi dans cette terrible période de l’histoire moderne et aussi contemporaine.
Pourtant face à ce cruel passé et aux insultes langagières de leurs propos, les nôtres ont réagi. Nos Langston Hugues et tous ses compères bâtisseurs de la Harlem Renascence, nos Marcus Garvey et son Back to Africa, notre Paulette Nardal et sa « Revue du Monde Noir », nos Aimé Césaire, Léon. G. Damas, Léopold. S. Senghor et leur négritude ont repris le mot infâme pour en faire un drapeau. Ce n’était pas un simple geste de magnanimité ou une attitude de déni de l’outrage, c’était l’affirmation de notre dignité que nous n’avions jamais oubliée.
Nous accueillions le fait que la « musique classique noire » (selon les mots de Nina Simone) soit appelée Jazz, du nom donné par les racistes à cette création du Deep South, nous acceptions et revendiquions le mot « Nègres » « Niggers » pour affirmer que « Black is beautiful » ou encore « i’m black and proud » et pour redire fermement « Nègre je suis, nègre je resterai… car en fait Le Nègre t’emmerde ! ».
Pourtant, pourquoi ne pas concéder notre mansuétude à Laurence Rossignol face à cette affligeante glissade dans sa référence à la « négraille » ? Pouvait- t-elle facilement rejeter tout ce que l’éducation, les idées fausses, les lieux communs érigées en vérités, les relents de la domination coloniale, ont laissé dans son conscient et son subconscient ? Elle qui comme ceux et celles de sa sphère se croient les tenants de la civilisation de référence.
Par contre nous lui tenons rigueur sur ce qu’elle dit de notre histoire, de celle des nègres « afric », des nègres américains et de manière sous-jacente …des nègres antillais.
Que sait-elle des milliers d’actes d’insoumission, de séries d’empoisonnement, de suicides désespérés, d’avortements, de luttes souterraines, de complots, de révoltes, de marronnages, d’insurrections qui ont marqué du XVIème au XIXème siècles tous les pays où il y a eu l’esclavage des noirs pour la richesse de l’Europe atlantique ?
Que sait-elle de l’histoire des Etats-Unis au XIXème où les « Nègres américains » ont organisé non seulement la lutte contre la traite clandestine dont la fameuse affaire du bateau « L’Amistad » de 1839, mais encore quelques années plus tard l’affaire des procès du « twelve years a slave », mais aussi les réseaux clandestins actifs entre les Etats Unis et le Canada entre 1834 et 1865 et ensuite une place de premier plan, dans la guerre de sécession américaine où des milliers de soldats noirs esclaves dits les « Buffalo soldiers » chantés par Bob Marley se sont illustrés ?
Que sait-elle des puissantes et plusieurs fois renouvelées guerres de marrons et de marrones du Surinam, de Jamaïque, de Saint Domingue la française (la future Haïti) et de la terrible lutte contre l’esclavage de Delgrès, Ignace, Massoteau et Solitude en Guadeloupe ?
Que sait-elle des luttes pour la liberté, l’égalité, la fraternité et les droits de l’homme de tous ces « Jacobins noirs » de Tobago, de Grenade avec Julien Fédon, de Saint Vincent avec les Garifunas de Joseph Chatoyer, de Sainte Lucie dans la « Guerre des Bois » avec Jeanne Gaillard, de Dominique dans la « Guerre des brigands » ? Et tout ceci pendant la période de la Grande Révolution française de la fin du XVIIIème siècle.
Que sait-elle de la Martinique où en 213 ans d’esclavage (de 1635 à 1848), on a compté plus de 23 grosses insurrections et révoltes d’esclaves écrasées dans le sang soit une révolte en moyenne tous les dix ans ? Les Seychoux, les Francisque Fabulé, les Molière, Compère général Fayance chef des nègres marrons, Romain sont quelques figures de ce martyrologue. Et qu’à tout cela il faut ajouter les multiples procès pour ébauches de complot, tentatives d’empoisonnement, marronages, agitation d’ateliers, incendies de champs de cannes, de cases à bagasses, de destruction de bestiaux. Et c’était le même déroulement dans tout le chapelet d’îles de Notre Caraïbe.
Tout cela pour dire que contrairement à ce que gazouille notre Rossignol, ex militante de S.O.S. racisme et adhérente du parti socialiste (qui ne cesse de meurtrir ce pour quoi l’humanité souffrante aspire), la question de l’esclavage des Noirs ne peut être travestie parce que certains avaient trahi la lutte.
A-t-on nié le combat de ceux et celles qui ont résisté en France contre la collaboration pétainiste tout comme le nazisme d’Hitler, et dont l’engagement a connu son succès en 1945 ?
A-t-on nié le combat des juifs contre leurs persécutions parce qu’il y a eu depuis l’Antiquité des Flavius Josèphe ?
Nierait-t-on le combat victorieux de salariés qui mènent une grève dure, tandis qu’il y aurait eu une minorité ayant abandonné le combat, l’ayant trahi ou s’étant vendu à l’autre partie ?
La lutte antiesclavagiste ne mérite pas cette indignité venant de Rossignol. Celle-ci rattache sa démarche à la fausse tradition limitant l’abolition de la traite et de l’esclavage à l’investissement de démiurges blancs que seraient Wilberforce, Schoelcher ou Lincoln, et c , porteurs des grandes valeurs de la civilisation occidentale. On nie ainsi l’apport incontournable, indispensable et la puissance essentielle de la résistance, de l’engagement des victimes de l’esclavage (esclaves, libres de couleur) qui ont amplifié la crise, l’agonie et la fin du système servile.
Dans la reconnaissance de la traite négrière et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité, les esprits bien-pensants de la civilisation occidentale auront à admettre que si nous apprécions l’importance de l’apport des anti esclavagistes des grandes puissances coloniales et qui ont été courageux en leur temps, il leur faudra bien intégrer encore et encore que la part des « nègres » a été bien plus que celle de gens attendant que les bienfaiteurs fassent pour elles et pour eux. Ces dernières et derniers se sont battus et c’est cette bataille qui a suscité l’ardeur des actions abolitionnistes.
Fort de France le 31 mars 2016.
Gilbert Pago
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