— Par Michèle Bigot —
Marc Lainé nous propose un spectacle musical créé à partir d’un matériau composite : passages de la correspondance de Claude Debussy, mêlant ce texte aux mélodies extraites de son opéra inachevé La Chute de la maison Usher, pour un pianiste, deux chanteurs et un acteur.
Les extraits choisis dans la correspondance de Debussy couvrent la dizaine d’année qui ont précédé sa mort. Ce moment de la correspondance traduit la double obsession de Debussy pour les affres de la création musicale et la maladie. Diagnostiquée en 1910, sa maladie le pousse à s’identifier à Roderick Usher, tourmenté par une mélancolie envahissante et déchiré par son impossible amour pour sa sœur. L’amour de Claude Debussy pour sa femme Emma, chanteuse accomplie, le renvoie douloureusement à la passion de Roderick pour sa sœur Madeline. Madeline est malade : elle tombe dans des transes cataleptiques. Roderick est persuadé que les murs de la maison sont pourvus d’un sens maléfiques et capables d’emmurer sa sœur. Debussy partage avec son héros une hyper-acuité des sens et sa profonde anxiété. C’est ce dont il témoigne dans sa correspondance, non moins que des tourments de la création, lui qui voulait toujours écrire la musique de demain et qui s’aperçoit, quand elle est écrite, que ce n’est que la musique d’hier ! Mais c’est aussi la souffrance physique qu’il partage avec ces personnages, lui dont la maladie « met les nerfs en triolet »
Tous ces derniers jours, j’ai beaucoup travaillé à La Chute de la maison Usher… c’est un excellent moyen d’affermir les nerfs contre toute espèce de terreur ; tout de même il y a des moments où je perds le sentiment exact des choses environnantes ; et si la sœur de Roderick Usher entrait chez moi, je n’en serais pas extrêmement surpris.*
Claude Debussy à l’éditeur Jacques Durand – 18 juin 1908
Ce dont la mise en scène rend compte, montage de textes et scénographie, c’est de la parenté profonde entre Debussy et les symbolistes. Le texte de la correspondance alterne avec les passages chantés de l’opéra et les mélodies écrites pour les poèmes de Baudelaire (« recueillement ») et Verlaine (« Colloque sentimental »). Debussy prétendait que sa musique jette un pont avec les autres arts, et la mise en scène de Marc Lainé, par le montage textuel et musical, restitue quelque chose de cette ambition. Heureux va-et-vient entre les passages les plus savoureux ou les plus lyriques de la correspondance, les poèmes et la musique de Debussy. Il faut savoir gré au pianiste et aux deux chanteurs de délivrer la vibrante émotion de cette musique, tout en assumant la présence et le jeu de comédiens. Quant à Thomas Jubert, le comédien issu de l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne, il est à la hauteur de l’exigence requise pour endosser le rôle d’un Debussy souffrant, cheminant d’angoisse en désespoir. Sa correspondance le montre tour à tour plein de tendresse pour sa femme Emma et sa fille « Chouchou », travaillé par le désarroi de cette musique révolutionnaire qui nait de son esprit fiévreux, et révolté par l’incompréhension du public, hermétique à ses souffrances comme à ses audaces :
On s’obstine autour de moi à ne pas comprendre que je n’ai jamais pu vivre dans la réalité des choses et des gens, écrit-il en 1910 à son éditeur Jacques Durand, d’où ce besoin invincible d’échapper à moi-même dans des aventures qui paraissent inexplicables… »
Par son économie, le choix d’une scénographie minimale, qui se déploie autour d’un praticable faisant office de lit, de table, et d’estrade pour une mise en abyme du spectacle, renforce l’intensité du drame. Petite forme pour une jauge restreinte, ce spectacle intimiste dégage une grande puissance d’émotion. Souhaitons à cette création commandée par le festival d’Aix en Provence une longue carrière.
Michèle Bigot
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correspondance Claude Debussy, conception et mise en scène Marc Lainé
Création au Théâtre Jean Dasté, Comédie de Saint-Etienne En tournée 2016-2017 . Comédie de Valence, décembre 2016
avec
Pauline Sikirdji ou Clémentine Bourgoin (nov. 2016)
Jean-Gabriel Saint-Martin ou Laurent Deleuil (nov. 2016)
Nicolas Royez
Thomas Jubert comédien
Photo: Sonia Barcet