— Par René Ladouceur —
En 1956, deux jours avant de mourir, l’écrivain Henri Calet écrivait : « Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. » À l’heure où s’achève, en ce dimanche 31 août, l’université d’été du PS à La Rochelle, la formule s’applique parfaitement à Laurent Wauquiez. Le député UMP ne trouve pas de mots assez durs pour dénoncer le maintien de Christiane Taubira dans le nouveau Gouvernement de Manuel Valls. Il est convaincu de faire partie de ceux qui sont arrimés à l’avenir quand la ministre guyanaise incarne plutôt ceux qui, à ses yeux en tout cas, sont enchaînés par l’Histoire. C’est entre ces deux fronts que l’antagonisme est censé demeurer définitif.
François Hollande peut se frotter les mains. Le piège a beau être éculé, il fonctionne encore : chaque fois que la gauche désespère son électorat populaire faute de résultats en matière de politique économique et sociale, elle prend toujours soin d’afficher quelques symboles forts pour apaiser les états d’âme de son autre électorat, celui qui est encore attaché à la morale politique.
En réveillant chez l’adversaire les instincts réactionnaires les plus caricaturaux, elle parvient toujours à déplacer le clivage droite-gauche, devenu imperceptible en matière de politique économique, sur un terrain sociétal, qui lui convient mieux. Faute de réjouir les plus défavorisés, le stratagème rassure les moins exposés. François Mitterrand était passé maître dans ce tour de passe-passe. Dans les années 80, pour mieux masquer ses échecs sur le front du chômage, l’ancien président socialiste s’était employé à cajoler ceux qu’on avait fini par appeler la « génération morale« , élevée, il est vrai, au lait de SOS Racisme.
C’est l’exploit qu’est en train de réussir, trente ans plus tard, François Hollande en maintenant Christiane Taubira au poste de garde des Sceaux. « Notre compatriote », comme aurait dit Gaston Monnerville, est devenue une icône de la gauche depuis l’adoption du « mariage pour tous » et les infâmes attaques racistes dont elle a été victime, parfois même jusqu’en Guyane, sa terre natale. On revoit encore la scène, que les télévisions ont repassée en boucle le week-end dernier : quand Christiane Taubira arrive à l’Université d’été des socialistes, la salle se lève comme un seul homme et l’applaudit à tout rompre.
Pour François Hollande, ménager Christiane Taubira procure cependant un tout autre avantage. Cela lui évite de laisser se constituer, sur l’aile gauche de sa majorité, l’abcès de fixation dont rêve plus que jamais Jean-Luc Mélenchon. C’est une règle d’airain sur laquelle l’actuel Chef de l’Etat veille avec une intransigeance redoublée.
De ce point de vue aussi, le président apparaît bien comme un disciple de François Mitterrand dont on se souvient peut-être combien, en son temps, il a fait preuve de patience à l’égard de Jean-Pierre Chevènement. A l’ombre de Lionel Jospin, lorsque celui-ci était Premier ministre, François Hollande a mesuré le prix qu’il pouvait en coûter d’user de la manière forte avec pareil allié. Le souvenir du 21 avril 2002 reste chez lui trop vivace pour qu’il en oublie les leçons lorsque revient la perspective d’une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale.
Car ce qui fascine François Hollande et nombre de hiérarques du PS chez Christiane Taubira, c’est tout de même la rapidité avec laquelle elle est devenue un poids lourd du Gouvernement. Lorsqu’elle a été nommée à la Chancellerie en mai 2012, l’ancienne députée de la Guyane était surtout connue pour son Rapport sur l’or, pour sa candidature, sous les couleurs du Parti radical de gauche (PRG), à la présidentielle de 2002 et pour la loi mémorielle qui porte son nom. En moins de deux ans, elle va s’imposer au plus haut niveau de l’Etat grâce à un style, un verbe mais aussi des réformes très symboliques, comme la loi sur le mariage homosexuel et « la contrainte pénale« , une nouvelle peine en milieu ouvert (hors prison) introduite dans le Code par la réforme pénale. Cette fulgurante ascension lui vaudra d’être sollicitée aussi par les frondeurs, qu’elle préfère d’ailleurs appeler « les débatteurs », et d’intégrer la fameuse bande des quatre qu’elle compose avec Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Cécile Duflot. Cette dernière raconte leurs agapes dans son livre De l’intérieur, paru la semaine dernière chez Fayard. « On mange, on boit, on fait de la politique, on est heureux », se souvient-elle.
Sans doute est-ce d’ailleurs là le principal intérêt de toute cette séquence que François Hollande a refermée lui-même en choisissant de ne pas congédier Christiane Taubira. La séquence que nous venons de vivre apparaît, en effet, comme un très bon révélateur de la psychologie de la garde des Sceaux, de sa conception de la politique et, au final, de la manière dont elle entend poursuive sa vie publique.
Christiane Taubira a aujourd’hui trop de métier pour ne pas savoir qu’en politique l’important n’est pas seulement ce que l’on veut mais aussi ce que l’on peut. Dans Mes météores, Combats politiques au long cours, paru chez Flammarion en 2012, Christiane, comme on l’appelle ici, a esquissé les raisons pour lesquelles elle a choisi de tourner le dos à la Guyane politique, pour lui préférer désormais le Conseil constitutionnel, voire les bureaux de l’ONU. Cette décision, pour argumentée qu’elle soit, n’en finit pas de surprendre, et bien au-delà de Walwari, sa formation politique. Et pour cause. L’actuelle ministre de la Justice a une visibilité médiatique forte. Elle avance dans une forme de transgression assumée à laquelle goûtent de plus en plus les Guyanais. Elle séduit facilement les notables de son pays. Le walwarisme ? Une force de rassemblement qui fait qu’à partir d’un petit capital initial, on peut aboutir, à l’arrivée, au seuil de la majorité. Même si la dynamique qui transcende les lois de la mathématique politique ne suffit pas pour emporter l’adhésion, Christiane Taubira parvient toujours à mobiliser un électorat qui n’est pas celui que son parti travaille d’habitude en priorité.
Son choix de rester au gouvernement comporte bien plus de risques encore. Elle a beau être étiquetée « gauche morale« , elle ne reste pas moins esseulée dans un gouvernement ultra modéré où la teinte « réaliste » et « libérale » a largement dissous toute connotation de « gauche traditionnelle ». La mesure sans doute la plus emblématique de cette orientation en rupture avec la campagne présidentielle reste le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), annoncé en novembre 2012. De plus, François Hollande incarne et illustre, pour ses concitoyens, la France en voie de disparition. Non seulement parce qu’il est là au mauvais moment, mais également parce qu’il ne donne pas l’impression de chercher à remédier à ce déclin. En attendant, tel Godot, l’inversion de la courbe du chômage, il donne à voir une impuissance qui n’est pas uniquement la sienne, mais aussi celle de la France, de l’Etat et du politique.
Le 31/08/2014
René Ladouceur
Publié aussi sur le site Politiques Publiques