— Par Emmanuel Argo —
France, le 12 juin 2020, par Emmanuel Argo, afro-caraïbéen né à la Martinique, auteur du concept de la NégroÉvolution, agressé et blessé 2 fois par des racistes en 2000 et 2015 sur la voie publique, en France continentale. Il est actuellement Conseiller municipal d’un petit village du centre de la France.
Á cause de l’assassinat de Georges FLOYD, afro-américain, par un policier blanc : une protestation mondiale et sans précédent contre la banalisation du racisme et de la négrophobie.
Il y a deux nuances de « noir » : celle de ceux qui réussissent et qu’on croise à l’université, à la banque, à l’hôpital, dans un centre de recherches… et celle de ceux qui galèrent, concentrés dans le métro, dans le quartier et à la ceinture des métropoles pour ne pas s’éloigner des poubelles à vider, tard dans la nuit ou très tôt le matin. C’est surtout la couleur de ces derniers qui détonne par rapport au blanc caucasien, la couleur de l’authenticité.
Depuis des siècles, l’idéologie occidentale conquérante a établi que la couleur universelle de référence était le blanc : quiconque est blanc, du haut de cette supériorité de façade, peut juger, représenter l’ordre, l’intelligence, l’autorité, le pouvoir, au nom d’une évolution d’un degré supérieur.
Avec les blancs déclassés, à qui il reste néanmoins cette couleur de la légitimité, il y a ces « visibles » qui dérangent parce qu’on les voit partout, actifs ou désœuvrés, avec ou sans papiers, jeunes ou vieux et comme leur « noir » les rend plus douteux, c’est donc davantage sur eux que citoyens et force publique se focalisent ! Même s’ils n’ont rien fait, leur premier tort, c’est d’être différent ; c’est d’être noir !
C’est qu’ils nous envahiraient si l’on y prenait garde ! Qu’ils retournent chez eux, là-bas, dans la brousse ou dans leurs cocotiers !’’ Voilà le fond de la pensée de ceux qu’ils insupportent et jugent illégitimes sur notre sol, même si parmi ces nègres, il y a des citoyens français depuis des générations qui exercent une position ou un emploi prestigieux ; leur noir fait tache dans le tableau, et peu importe la valeur de la personne, c’est d’abord sa visibilité qui, d’office, lui confisque des droits, le droit d’être l’égal d’un blanc.
L’injustice économique met à mal notre démocratie française ; puisque « il n’y en a pas pour tout le monde », elle entraîne davantage de discriminations et un communautarisme qui ressemble de plus en plus à celui des pays Anglo-saxons, ceci, en contradiction avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Mais que peut-on faire ? Faute de changer le fond, c’est à dire le pouvoir économique qui impose son tempo et ses inégalités, le pouvoir politique, à la traîne, qui tente tant bien que mal de gérer les dégâts collatéraux d’un rythme imposé par le profit, change la forme en supprimant, par exemple, le mot « race » de la Constitution française comme pour nier la réalité, celle d’une France « multicolore » qui ne parvient pas à inclure dans une même nation, des populations héritées de ses conquêtes coloniales.
Au-delà des différences apparentes, des millions d’êtres humains, tous embarqués pour un avenir qui les inquiète, sont ballotés dans un flot ininterrompu de paroles ou de prêches trompeurs qui les persuadent qu’il n’y a plus rien à faire, qu’à subir un destin décidé par d’autres.
En Occident, la variable d’ajustement des entités financières, c’est le salarié, qu’on prend et qu’on jette mais qu’on fait consommer, surtout. Là-bas, c’est le pillage des matières premières, les ventes d’armes et de substances illicites, l’entretien des groupuscules terroristes, le travail des enfants et leur enrôlement comme soldats, les chefs d’Etat qu’on choisit, les prébendes… et le présent est si incertain qu’il faut aller à contre-cœur et au péril de sa vie chez le pilleur pour reprendre une petite part de ce qui a été confisqué chez soi.
Pour cesser de faire le jeu des cyniques qui remplissent leurs caisses de devises et de monnaies fortes dans une compétition imbécile et tragique, les pouvoirs démocratiques, soutenus par des populations unies, doivent revendiquer leur légitimité et leurs principes pour imposer des choix politiques garantissant la justice et l’équité, la prévalence de l’humain sur celle des profits et des fortunes. Alors, ne nous trompons pas d’ennemis parce que nos divisions, pour des raisons de cultures, d’origine ou de couleur de peau, affaiblissent nos démocraties et donnent raison à ceux qui nous méprisent.
Devant un avenir commun où l’incertitude est plus forte que jamais à mesure que l’on comprend et mesure les phénomènes, où les conséquences d’un changement climatique ne feront pas la différence selon qu’on est blanc, noir ou jaune, il y a urgence à s’unir pour associer nos forces. Ne laissons pas l’exaspération, voire la négrophobie, gagner du terrain dans les esprits de ceux dont l’inquiétude et la peur servent d’enjeu électoral et analysons plutôt la situation de ceux sur lesquels on se focalise, c’est-à-dire souvent ces français, soit natifs de nos départements, régions et territoires d’Outre-mer, soit natifs des anciennes colonies françaises.
De culture française, ils n’ont conservé de la culture d’origine de leurs parents ou ancêtres que quelques coutumes. Pourtant, à ceux-là, le destin est tout tracé : la soumission à une ségrégation raciale de fait qui s’imposera à tous moments et tout au long de la vie, au cours des études, dans la recherche d’un emploi, celle d’un logement, dans la rue…et même sur les bancs de l’Assemblée : souvenons-nous du traitement spécial réservé à Christiane Taubira, ministre de la justice en exercice et dont les ancêtres étaient des esclaves.
Tout le fonctionnement de notre société est fondé hypocritement sur une différence de traitement : ce sera toujours plus dur pour celui qui n’a pas la couleur dite « universelle » ! Une promotion ou une augmentation qui tardent, l’attente d’un prêt bancaire, un emploi, un toit… mais surtout et c’est le plus inique, le soupçon permanent et assumé de ceux dont la blancheur sert de passe-droit pour faire régner un ordre anti- républicain. Et vous voudriez qu’on n’en devienne pas vert de rage !
L’école qui devrait servir de creuset républicain et d’apprentissage à la démocratie par la mixité, par le seul fait des stratégies de relégation géographique, creuse l’écart. Ainsi peut-on trouver à quelques kilomètres de distance, cette aberration de deux écoles, collèges et lycées dont les populations ne se mélangent pas, s’ignorent et se méfient l’une de l’autre. Avec la carte scolaire, il pourrait y avoir une réelle mixité ; mais le doute des parents, le manque de courage de certains élus dont ils constituent la clientèle, et des fonctionnaires pusillanimes font que rien ne change. On laisse les choses en l’état, en serrant les fesses dans la crainte d’une nouvelle révolte sociale… Et ce sera aux forces de l’ordre de faire le sale boulot de la répression, au nom du « monopole de la violence légitime » de l’Etat !
Des tentatives de discrimination positive, à l’instar des États-Unis d’Amérique, du Brésil, et de la République d’Afrique du Sud, ont été proposées pour les études et l’emploi des minorités visibles, mais encore et toujours, ces mesures sont prises quand la cocotte-minute siffle un peu trop fort. Puis quand la colère retombe, ceux qui ont la mission de faire changer les choses abandonnent devant les inerties, les non-dits et l’indifférence générale d’une majorité qui ne se sent pas concernée.
N’allons pas encore créer des « instances de propositions » où des supplétifs seront mis à l’affiche pour faire croire qu’on défend la diversité. Nous ne sommes pas dupes. Faire semblant que les choses vont changer, on connaît !
En droit, la discrimination est illégale, mais dans les faits, elle permet d’avoir une bonne raison de passer devant l’autre, a fortiori quand le contexte économique est difficile. Pourtant cet état d’esprit ne tient pas quand, ensemble, il faut affronter un ennemi commun. Á l’hôpital, au moment de la crise sanitaire provoquée par la pandémie du coronavirus, on a bien constaté que la couleur importait peu puisqu’il s’agissait d’œuvrer ensemble pour sauver un maximum de vies ! Et pour assurer les besoins quotidiens des confinés, tous ont participé, dans les commerces, le transport, la maintenance, l’aide aux personnes âgées …
Pour lutter contre toute stigmatisation et faire évoluer les mentalités, ne plus éduquer nos enfants dans la méfiance, la peur, ni la détestation, je pose le principe de la NégroÉvolution, un concept qui met en exergue la réussite de ceux que la couleur de la peau n’a pas empêché et n’empêche pas de compter dans la marche de l’Histoire. Leur exemple est encourageant.
Par ailleurs, pour lutter contre l’injustice et ses effets délétères (incivilités, criminalités…) et pour prévenir des explosions inter raciales, des instances de médiation doivent établir un dialogue pédagogique permanent entre représentants de l’ordre et victimes, ceci dans une approche de vérité, de conciliation.
Et enfin, avec ceux avec lesquels il existe un lourd contentieux historique post-esclavage qui n’a que trop duré, il faut la tenue d’une conférence qui puisse une fois pour toutes définir, d’une part la responsabilité en termes d’estimation de coût humain, et d’autre part, adopter des mesures de réparation.
Nous sommes tous d’accord pour transmettre aux générations futures, le moins de casse possible, et nous ne serons pas de trop, quelle que soit la couleur de notre peau, à coopérer pour affronter les difficultés. C’est peut-être cela que les jeunes blancs américains, européens, australiens ou africains nous disent, en demandant la fin des ségrégations, des discriminations et des injustices sociales.
La paix sociétale passe par un changement de paradigme basé sur le renoncement de l’a priori, l’abolition du délit de faciès, la stigmatisation et le dénigrement de la couleur de peau.