— Par Selim Lander —
Salle comble au théâtre municipal, à l’occasion de la Journée de la femme, pour la reprise de cette pièce qui avait déjà connu un grand succès l’année dernière en Martinique. Toujours emmenées par Marie Alba, les comédiennes nous rappellent dans la bonne humeur les principales étapes des luttes des femmes et des avancées du féminisme depuis l’obtention du droit de vote en 1946. Elles sont trois représentatives respectivement du milieu populaire, de la classe moyenne et de la classe supérieure. Trois comédiennes qui incarneront chacune successivement trois générations de femmes prises en 1970, 1990 et 2010. Trois plus une, laquelle, depuis son pupitre, apportera les précisions historiques indispensables (chiffes, dates, lois). Sait-on par exemple que les femmes n’ont été légalement autorisées à porter le pantalon qu’en 2013 ? Encore s’agit-il d’un sujet bénin pour lequel les mœurs avaient depuis longtemps précédé le droit. Mais ce n’est pas toujours le cas, loin de là : jusqu’à l’adoption de la loi Veil légalisant l’avortement, combien de femmes se sont trouvées assumer une maternité non désirée à moins de se remettre entre les mains d’une « faiseuse d’ange » clandestine avec l’angoisse de n’en pas sortir vivantes ?
La pièce fort bien construite met bien en évidence l’évolution des problématiques féministes depuis les combats pour l’avortement et la contraception jusqu’au mariage pour tous et plus récemment le droit à la PMA pour les couples lesbiens. Tout cela est très bien résumé par l’une des protagonistes de la pièce : « ma grand-mère allait avorter en Belgique et moi je vais me faire inséminer en Espagne » (la France étant régulièrement à la traîne par rapport à ses voisins).
En dehors de Simone Veil, Simone de Beauvoir est l’autre grande figure tutélaire de la pièce. Peut-être cette deuxième référence explique-t-elle pourquoi on y entend parfois, à côté de l’exaltation de la cause féministe, une tonalité plus grave. Sexuelle ou autre, la liberté n’est pas facile à vivre (« la femme libre n’est pas une femme délurée », écrit l’auteur – autrice ? – du Deuxième Sexe). A chaque génération ses joies et des peines. La pilule ne suffit pas à empêcher la souffrance de la femme cantonnée au rôle de maîtresse d’un homme marié, pas plus que celle de l’épouse trompée, et pas davantage la culpabilité du mari infidèle. Non que ces situations ne puissent être vécues dans une sorte de sérénité mais cela suppose de part et d’autre une certaine aptitude « morale » (au sens existentialiste) qui n’a rien à voir avec le fait qu’une femme puisse désormais coucher avec un homme sans craindre de se retrouver enceinte.
Ces moments de doutes mis à part, d’ailleurs moins liés à la condition féminine que plus généralement à la condition humaine, la pièce s’inscrit dans un registre comique, le but étant de faire réfléchir et d’instruire tout en divertissant. Les répliques fusent entre les personnages dans une complicité de bon aloi qui n’exclut pas, pour ajouter un peu de piment, quelque agacement chez l’une ou l’autre. On le savait depuis l’année dernière : l’interprétation est à la hauteur et l’on s’amuse à observer le jeu des quatre comédiennes qui se métamorphosent d’un tableau à l’autre (mention spéciale pour les costumes) tout en gardant la même personnalité, à peu de choses près, le texte voulant que l’une soit toujours la fille de la précédente.
L’intervention de la vidéo pendant les changements de tableau (et de costumes) n’est pas seulement dictée par la nécessité ; elle complète utilement les éclaircissements apportés par le quatrième personnage (qui incarne « Simone ») dans une pièce dont la finalité ultime est militante et pédagogique.
La représentation du 8 mars 2019 était la première après une interruption d’une année, dans une distribution d’amateurs qui par ailleurs n’était pas tout à fait la même. Les quelques ratés inévitables n’ont pas empêché le plaisir des spectateurs. S’il fallait, malgré tout, recommander une amélioration, ce serait du côté des parties chantées en chœur avec des mouvements dansés, qui laissent encore à désirer. Mais cela, encore une fois, n’obère pas la qualité d’un spectacle plébiscité par le public.
Théâtre municipal de Fort-de-France, 8 mars 2019.
Une pièce de Trinidad, Corinne Berron, Bonbon, Hélène Serres, Vanina Sicurani
M.E.S. Marie Alba assistée de Patrick Womba
Avec Marie Alba, Hélène Jacob, Lydia Rousseau, Sandrine Zédame
Accompagnement à la guitare : François Dalencour
Régie : Rachid Arab