Vendredi 18 mars 19h, salle mobile St-Esprit
« Je m’appelle Anton. Je suis né une première fois à la fin des années 60 à Grigny, dans une barre d’immeubles. J’ai grandi là-bas, entre la bande de l’escalier et le ventre de ma mère. J’ai voulu être acteur, je suis parti aux USA, où je me suis enfermé dans une cave avec un poète. La CIA m’a coincé, je suis parti en mission en Afrique, dans le désert. J’ai été fait prisonnier aux mains d’islamistes radicaux puis des djihadistes. Puis j’ai été délivré par un service secret, mais enfermé à nouveau, pour me faire cracher tout ce que je savais. Qu’est-ce que je savais ? Ça a duré presque trente ans, et chaque fois comme une mort et une nouvelle naissance. Je m’appelle Anton et je suis devant vous, je ne sais pas grand-chose mais j’ai des choses à dire. »
Sous nos yeux, Anton qui se dit acteur, raconte sa vie rocambolesque. Invente-t-il ? Anton brouille les pistes, commente abondamment la marche de l’humanité, fait le clown. Il cherche à sauver sa peau en baratinant brillamment ses geôliers, djihadistes ou services secrets américains. Adresse vertigineuse, échevelée, poétique et insolente au monde contemporain.
En 2014, Frédéric Fisbach demande à Dieudonné Niangouna un texte qui servirait d’exutoire à leur colère partagée contre le monde tel qu’il ne va pas. Quelques mois plus tard l’auteur congolais livre un pamphlet qui dresse un sévère état des lieux du monde contemporain, humour non exclu. Dieu, notamment, en prend pour son grade, lui qui à la fin des années 60, quand Anton, le personnage principal, grandissait en banlieue, ne « pesait pas lourd », pas encore…
Aux origines du projet, Frédéric R. Fisbach, mai 2016
C’est une pièce pour un acteur, pour un corps et une voix, une partition pour un « vociférateur ». Quelques mois après Sheda, j’ai demandé à Dieudonné Niangouna
d’écrire pour moi une pièce. Le monde allait dans le mur, déjà ? Encore ? Toujours ? La bêtise semblait triompher, ça me foutait en rage. Je ressentais un sentiment de frustration intense devant mon impuissance à pouvoir agir, à ne pas être capable d’envisager une alternative crédible aux apories de nos sociétés contemporaines. Je voulais parler de ça au théâtre mais aucun texte ne convenait, je passais de l’un à l’autre sans pouvoir me décider, je tournais en rond. Dieudonné revenait de Brazzaville où la situation était explosive, il était très affecté, en colère lui aussi… Nous avons beaucoup bu, râlé, insulté la terre entière, tout le monde en a eu pour son compte, à commencer par nous. C’est ce soir-là que je lui ai demandé de m’écrire une pièce. Une pièce que je jouerai et que je mettrai en scène. « – Tu veux que j’écrive sur quoi ? – Sur tout ça, sur ce que tu veux » Plus de nouvelle. Huit mois après, il m’a envoyé Et Dieu ne pesait pas lourd… « Cadeau ! ».
C’est la première fois que Dieudonné Niangouna écrit pour un blanc, tout son monde est là mais comme retourné, ajusté, qui s’appuie sur le blanc, « noir sur blanc ». Ce projet est un véritable défi puisque je vais le jouer et le mettre en scène. Je serai seul à porter cette parole, mais je ne serai pas seul. Je vais travailler avec la complicité artistique de Charlotte Farcet et de Madalina Constantin pour la dramaturgie, la mise en scène et le jeu, ainsi qu’avec une équipe artistique et technique que je suis en train de réunir. Le 8 avril, j’ai lu en public des fragments de la pièce. J’ai pu vérifier l’impact du texte sur les spectateurs, leur jubilation à entrer dans le monde d’Anton et le voir se déployer devant eux, avec eux.
Une étrange pièce épique, baroque à la structure gigogne, tendue entre le récit tragique d’un Théramène et les fantaisies délirantes d’un comédien de stand-up. C’était bon de les entendre rire aussi, l’humour et la dinguerie d’Anton sont parfois irrésistibles. Il est tôt encore pour dire ce que sera le spectacle. Mais je vais rechercher l’évidence, orienter le travail pour donner le sentiment d’une immense complexité qui se traduirait au plateau par une grande simplicité, une représentation en santé, jubilatoire, ouverte et joueuse. Et Dieu ne pesait pas lourd… est le cadeau d’un compagnon de théâtre, ce qui m’oblige d’une certaine façon. Mais je me sens encore plus obligé vis-à-vis des spectateurs, cette histoire du monde de ces cinquante dernières années, c’est la leur, la nôtre. Et c’est à partir de cette histoire que nous allons construire ou non un avenir pour nos enfants.