« Et ce n’est pas qu’on allait quelque part », sur les épaules de Mylène Wagram

— Par Roland Sabra —

Et ce n’est pas qu’on allait quelque part
si vous voyez ce que je veux dire

je veux dire nous n’allions nullepart
même si le bateau se déplaçait je suppose
& la mer aussi se déplaçait impéccable
& aussi les vagues
& pourtant dans mon rêve c’était juste
un bâtiment un moment un jusant

Dans un décor minimaliste, presque dépouillé qui renvoie à précarité de la situation exposée la version présentée en Martinique de « Et ce n’est pas qu’on allait quelque part » repose dans sa quasi totalité sur les épaules de Mylène Wagram. Lors de la création elle était épaulée par Katia Scarton Kim. DreamHaït de Kamau Brathwaite, traduit par Christine Pagnoulle sous le titre RêvHaïti est adapté pour la scène par la metteure en scène Frédérique Liebaut. A la richesse première du texte qui mêle et entremêle langue vernaculaire, avec une multitude de registres de langue, de procédés littéraires, de figures de style et d’inventions graphiques Frédérique Liebaul a eu l’idée lumineuse de croiser ce poème au lyrisme foisonnant avec des textes de Christophe Colomb, d’Aimé Césaire, de Las Casas. Les balancements du texte, ses décrochements, ses plongées, ses fulgurances, ses abîmes et ses envolées sont à l’image des mouvements de la barque où s’entassent, fragiles et déterminés, un petite centaine d’Haïtiens en partance vers un ailleurs incertain. Ils étaient là, ce soir, avec la Pelée en toile de fond, invisibles présence d’une absence qui insiste. Plutôt que les montrer Mylène Wagram les suggère laissant au spectateur le dévoilement de l’imagination caressée par ses mots. Et la lenteur du geste est aussi la longueur du voyage.

La mise en scène, pourtant sobre en son principe mérite une épure et un creusement. La présence d’un tiers, voyeur, touriste floridien en uniforme, sirotant son cocktail apporte peu.

Les différences de niveau de langage, leur richesse mutuelle valorisée par leur confrontation se trouvent affadies par un parti pris d’uniformisation du dire imposé à la comédienne. Le drame se perd dans sa dramatisation. Saillies venues des gradins, décrochages, commentaires, semblent obéir à une économie interne propre à la metteure en scène, auto-référencée, et qui souligne par contraste l’absence d’adresse et le manque d’allocutaire d’un texte-patchwork aux couleurs de discours et de récits . Faut-il entendre par là le silence et le vide dans lesquels se perdent les cris des naufragés ? Où plus prosaïquement s’agit-il du symptôme de la fascination et des associations d’idées consécutives que le texte de Kamau Brathwaite exerce sur la metteure en scène ? Quid du public?

Lors de la création Mylène Wagram était accompagnée par Katia Scarton Kim. Dans cette dernière mouture de la pièce, quasiment seule en scène, elle fait un beau travail et montre une densité expressive à la hauteur des enjeux du texte qu’elle porte sur les épaules, pieds ancrés sur le plateau, seul point fixe dans la tempête des drames, du poème et des langues qui tentent d’en rendre compte.

Fort-de-France,

le 04/06/2017

R.S.

« Et ce n’était pas qu’on allait quelque part » d’après DreamHaïti de Kamau Brathwaite traduction : Christine Pagnoulle
Avec : Mylène Wagram et autres présences
mise en scène : Frédérique Liebaut
conception sonore: Christophe Sechet
conception lumières: Luc Degassard
costumes : Dominique Louis

CDST de Saint-Pierre

le 03/06/2017