— Par Jean Chatain —
L’ouvrage, soutenu par la Fondation Gabriel-Péri, analyse les diktats du Trésor français.
Créé en 1945, le franc CFA désigna d’abord la monnaie des « colonies françaises d’Afrique » ; une appellation qui, convenons-en, sonnait fâcheusement lorsque l’ère des indépendances fut formellement venue. D’où ce tour de passe-passe : le sigle est maintenu, mais est désormais censé se traduire par « franc de la communauté financière africaine ». Depuis, le franc français a disparu, mais le CFA perdure, symbole d’économies maintenues sous la coupe d’une tutelle en passe de se dédoubler : française et européenne…
L’héritage de la colonisation
La distinction entre monnaie métropolitaine donneuse d’ordres (le FF, franc français, hier, l’euro aujourd’hui) et monnaie serve (le CFA) reflète la nature spécifique des structures de l’économie coloniale, cantonnée au rôle exclusif de fournisseuse de matières premières. Ainsi les banques centrales africaines sont-elles contraintes de déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor français sous prétexte de garantie de convertibilité de leur monnaie. Et leurs objectifs en matière de politique monétaire sont fixés non par elles-mêmes, en fonction des intérêts nationaux correspondants, mais au niveau de la zone franc globale par Paris, en fonction des exigences de l’ancienne puissance coloniale. La dévaluation brutale de 1994 (avec un CFA divisé par deux, du jour au lendemain, sur décision de Balladur) montre que, lorsque celle-ci est mécontente, le recours au bâton peut être rapide…
« La recherche d’une nouvelle organisation monétaire n’a de sens que si elle contribue à libérer les populations de ces régions des dominations économiques et politiques héritées du colonialisme et approfondies sous l’empire de la mondialisation financière », soulignent Denis Durand et Hédi Sraieb en conclusion de l’ouvrage. Rompre avec un système bancaire cartellisé (sous une domination française demeurant obsédée par la recherche de rentes de situation) est le préalable à l’engagement d’une stratégie de développement répondant aux aspirations des peuples.
Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA ? Ouvrage collectif réalisé sous la direction de Kako Nubukpo, Martial Ze Belinga, Bruno Tinel, Demba Moussa Dembele. Éditions la Dispute, 248 pages, 15 euros.
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