— Par Jean Roy —
Avec Mademoiselle, Park Chan-wook signe certainement son chef-d’œuvre. Il a été présenté en compétition à Cannes, dont il est reparti avec une récompense technique.
Sélectionné pour être l’entrée sud-coréenne retenue en compétition au dernier Festival de Cannes, Mademoiselle est le premier thriller en costumes de Park Chan-wook. Cette adaptation littéraire est librement inspirée de la romancière britannique ouvertement homosexuelle Sarah Waters (livre publié en français en 10-18 sous le titre « Du bout des doigts). L’histoire originelle du livre (paru en 2002 et qui apporte alors à son auteure une consécration qui lui permet d’être élue auteure de l’année) se situe en 1862, mais le réalisateur la transpose dans la Corée des années 1930, sous la domination japonaise. L’histoire devient celle des rapports entre une jeune femme japonaise, Hideko, vivant luxueusement en recluse dans une propriété isolée imaginaire avec un oncle tyrannique et d’une Coréenne, Sookee, engagée pour être sa bonne à tout faire. Mais Sookee a un secret. Avec la complicité d’un escroc se faisant passer pour un comte, elle a d’autres ambitions que de demeurer domestique jusqu’à son trépas.
Comme on peut aisément le constater dans ce tour de force visuel, nous sommes là dans un baroque de conte fantastique libertin se situant entre l’univers de Donatien Alphonse François de Sade (plus connu sous l’appellation du Divin Marquis) et celui de Leopold von Sacher-Masoch, cet écrivain hanté par les récits de sa nourrice Handscha. Rien ne manque de cet univers, ni les épreuves à franchir dans la tradition du roman courtois, ni les douves symboliques, ni la rivalité entre couches sociales, ni l’attrait du luxe se doublant de celui pour la luxure saphique et la misandrie. Tout ici n’est qu’amour, violence et volupté, doublés d’une attirance pour la langue, assertion que l’on peut prendre dans son double sens, celui vulgairement physique car nous sommes à la limite de ce que la stricte censure coréenne peut autoriser au cinéma et celui plus intellectuellement grammatical, car, entre voix off de commentaire et discours directs, la glotte des interprètes n’est jamais au repos. Le film est en trois parties qui représentent les points de vue des personnages. L’approche n’en est pas évidente, et il faut laisser du temps au temps pour s’en imprégner. Mais, à l’arrivée, quel régal, indépendamment du sexe du spectateur, le film n’étant pas réservé aux mâles rompus à la lecture des 120 Journées de Sodome et de la Philosophie dans le boudoir…
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