— Par Dominique Daeschler —
Troisième ouvrage publié chez Grasset du jeune auteur Pierre Ducrozet, Eroica nous entraîne dans le New York des squats, dans Harlem et le South Bronx. Un New York respiré, sniffé à en perdre la vie par Basquiat, entre ciel et trottoir.
« Le garçon est sorti de l’imagination du garçon. C’est sa plus belle création. Mais gaffe garçon. Ca glisse aussi dans la fiction ».
Le ton est donné, le pari posé. Pierre Ducrozet possède l’écriture pressée des jeunes gens d’aujourd’hui : on s’y émerveille de faire une phrase avec sujet-verbe-complément ! Cependant cette écriture à l’américaine, cinématographique en diable(les champs, contre-champs y remplaçant toute analyse psychologique), est héritière, dans ses qualités descriptives, d’un Dos Passos, ce qui n’est pas un mince compliment. Ecrit le plus souvent à la première personne (c’est Basquiat qui parle), comme un scénario, avec beaucoup de dialogues, l’auteur nous entraîne dans l’intimité de Basquiat, nous donnant l’impression de le suivre à la trace.
A New York, après les tags signés SAMO « comme de grands sacs de réel emballés », Basquiat devient Jay et célèbre en un an (81-82). Avec Ducrozet, on le suit dans les rues, les bars, les galeries et ses différentes tanières. On entre dans le monde d’Andy Warhol, Matt Kaplan, Keith Haring. Basquiat donne sans compter « du nègre en cage, de l’artiste sauvage, du génie fulgurant ». Pas dupe, il mêle le jaillissement et son contraire.
Eroica, c’est cette symphonie de Beethoven que l’artiste écoute en boucle à côté de Miles Davis, Charlie Parker et Coltrane. Elle concilie des envies de vie et de mort, comme la drogue. Basquiat l’ardent brûle sa vie, seule l’immédiateté a sens. La rumeur du monde traversent ses toiles où se mêlent « l’embryonnaire, le mal façonné, l’imparfait ».Insolent, instable, coléreux, d’aventure en aventure, de drogue en drogue, il se détruit méthodiquement presque négligemment. Il tient de Lou Read et de Kerouac. Dans sa descente aux enfers reste Sarah, amante, amie et confidente, tout à la fois furieuse de sa fidélité et vraie dans ses émotions.
A travers Basquiat, Ducrozet nous livre quelques idées sur l’art et l’artiste. Pour lui, l’artiste reçoit et reformule, établit un nouvel ordre sans revendiquer l’apport d’un message. De Basquiat qui revendique la bande dessinée et le dessin animé comme sources d’inspiration, l’auteur dit qu’il a intégré la réflexion de l’art brut pour en faire tout autre chose. Basquiat a crée un langage dont il connaît le rythme, les couleurs, la logique et la grammaire, un imaginaire lisible et caché, comme un refus de se laisser apprivoiser, jouant à l’envi les « trieurs d’ombre ».
Dominique Daeschler