— Par Michel Herland —
A l’initiative de Bernard Hayot et avec le soutien de la Fondation Clément, ont été publiés plusieurs ouvrages mettant en valeur le patrimoine matériel martiniquais et incitant à sa conservation, à commencer par Le Patrimoine des communes de la Martinique (1998, 2e éd. 2013), puis, à partir de 2010, une série de petits guides consacrés à telle ou telle commune particulière.[i].
Voici maintenant Jardins de la Martinique, un gros ouvrage richement illustré comme il se doit, mais dont l’intérêt réside également dans les commentaires abondants d’Isabelle Specht, lesquels sont nourris par les récits des nombreux visiteurs de l’île qui n’ont pas manqué de se montrer frappés par l’exubérance et la générosité de sa végétation, depuis Jean-Baptiste du Tertre (1667) jusqu’aux deux André surréalistes, Breton et Masson (1941), en passant par le Père Labat (fin XVIIe), Jean-Baptiste Leblond (fin XVIIIe) et bien d’autres comme Louis Garaud, vice-recteur de la Martinique à la fin du XIXe siècle. Une admiration parfois tempérée par un sentiment d’oppression, à l’instar de Lafcadio Hearn qui voyait dans les forêts montagneuses une « beauté étrange et effroyable ». D’autres voyageurs se sont montrés obsédés par la crainte du serpent « fer-de-lance », le redoutable trigonocéphale, « véritable cauchemar de la Martinique » selon Adèle Hommaire de Hell (1862) !
Lesté de cette dimension historique Jardins de la Martinique n’est pas seulement une promenade dans les beaux jardins d’aujourd’hui (même s’ils sont évidemment recensés). Le travail d’Isabelle Specht s’inscrit davantage dans une démarche patrimoniale en s’intéressant également à des jardins aujourd’hui disparus, pas seulement à Saint-Pierre ou au Morne-Rouge par suite de la catastrophe de 1902, mais dans bien d’autres lieux, à commencer par Fort-de-France où, par exemple, il ne reste aucune trace du jardin Desclieux, jardin botanique et d’agrément inauguré en 1918.
Très excentré, le jardin de Tivoli existe encore mais dans un état de semi-abandon. L’auteure raconte qu’elle s’est trouvée, en 2012, devant un portail clos et un panneau annonçant l’aménagement d’un parcours sport et santé. Six ans après, le jardin est ouvert au public mais les équipements sportifs sont déjà tout autant ruinés que ceux de la route de Didier. C’est l’occasion de redire que si le climat tropical n’est guère propice à la conservation de ce type d’équipements, où domine le bois, un entretien régulier peut compenser les effets délétères de l’humidité. Les « particuliers » le savent bien qui font ce qu’il faut pour cela. Pourquoi alors les collectivités s’en montrent-elles incapables ? Elles ne sauraient pourtant invoquer le manque de main d’œuvre : la Cour des Comptes a encore souligné récemment que leur personnel y est systématiquement plus nombreux qu’en Métropole (où il est déjà pléthorique) ! Faudrait-il donc embaucher des personnes supplémentaires chargées de mettre les autres au travail ? On s’étonne par ailleurs que l’Europe et l’État qui participent au financement de ces installations ne se montrent pas davantage soucieux de l’usage qui est fait de leurs subventions. Et ce qui est vrai pour les équipements sportifs l’est autant, évidemment, pour les jardins publics. Alors jardiniers, jardinez !
Si Jardins de la Martinique présente les « incontournables », tant privés (Balata, Anse Latouche, Clément, etc.) que publics (Domaine d’Émeraude, Pagerie, etc.), il révèlera sans doute d’heureuses surprises même aux Martiniquais, des jardins bien cachés, soignés à la mesure des moyens de chacun mais toujours avec amour par des propriétaires passionnés. Et quand le terrain vient à manquer, il y a toujours la possibilité de mettre des pots sur sa terrasse, d’en suspendre ici ou là… et de cultiver le bord de la route.
Isabelle Specht, Jardins de Martinique – Un esprit de liberté, Fondation Clément et HC Editions, Paris, 2017, 304 p.
[i] C’est l’occasion de signaler la parution récente de Patrimoine de la Guadeloupe. Suivant la même organisation que Patrimoine des communes de la Martinique, cet ouvrage collectif comprend d’abord des chapitres thématiques (sur l’archéologie, les cimetières, le costume, le patrimoine agro-industriel,… les jardins, etc.) avant les chapitres où les différentes communes sont passées en revue. Fondation Clément, Patrimoine de la Guadeloupe, HC Editions, Paris, 2017, 607 p.