Entre « TERF » et « transactivistes », féministes et militants LGBT se déchirent sur la question trans

— Par Hadrien Mathoux —

L’exigence envers toujours plus d’inclusivité crée de fortes tensions entre certains défenseurs de la cause des transgenres et celles qui s’inquiètent de conséquences négatives sur les droits des femmes, accusées de transphobie. Jusqu’à conduire à des situations ubuesques.

Le sujet a débarqué aux yeux du public sous forme de quasi-blague. Rappelez-vous, c’était en juin 2018 : lors d’une émission d’Arrêts sur images, Arnaud Gauthier-Fawas, solide gaillard barbu, provoque la stupeur (et l’hilarité) d’une bonne partie d’Internet en réprimandant Daniel Schneidermann : « Je ne suis pas un homme, monsieur ! (…) Il ne faut pas confondre identité de genre et expression de genre, sinon on va déjà mal partir. Je suis non binaire, ni masculin ni féminin, et je refuse qu’on me genre comme un homme« .

Cette interpellation, qui peut sembler lunaire aux non-initiés, cache en fait une bataille politique et militante tellement passionnelle qu’elle peut dégénérer en affrontements violents dans les réseaux militants. Elle oppose des partisans de la cause des trans, désignés par leurs adversaires comme des « transactivistes radicaux« , à certaines féministes accusées par les premiers d’être des « TERF » : TERF, pour « trans-exclusionary radical feminist« , soit une militante qui exclurait les personnes trans de la cause féministe. Avant d’entrer dans le coeur de la querelle, un point lexical s’impose pour poser les enjeux de ce débat au lexique touffu.

La clef repose sur la distinction entre la notion de sexe et celle de genre. Comme l’écrit l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur son site, le sexe désigne les « caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes« , tandis que le genre sert au contraire à évoquer « les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. » Si le genre est une construction sociale, le sexe est une caractéristique biologique. En reprenant cette distinction, on constate qu’il existe une majorité de personnes dites « cisgenre », dont le sexe biologique correspond au genre avec lequel elles s’identifient. A l’inverse, lorsque le genre d’un individu ne correspond pas à son sexe, on parle de « transgenre ». Une femme transgenre est ainsi une personne née avec un sexe d’homme qui se sent femme, tandis qu’un homme transgenre est né dans un corps de femme. Pour être mieux en accord avec leur genre, certains entreprennent une transition physique via des traitements hormonaux ou la chirurgie pour changer de sexe, mais ce n’est pas toujours le cas. Enfin, d’autres personnes estiment que la dualité homme-femme constitue en soi une construction sociale oppressive, et chercheront à s’affranchir de cette division sexuée en s’affirmant « non-binaire » ou « gender fluid« .

 

« Les terf au bûcher »

Le débat opposant les « transactivistes » aux « TERF » se joue sur ses bases : si l’on peut se déclarer femme tout en possédant le corps d’un homme, doit-on être considérée comme une femme à part entière du simple fait de déclarer qu’on en est une ? « Être une femme, c’est quelque chose de biologique« , tranche Marguerite Stern, militante féministe initiatrice du mouvement « Collages contre les féminicides ». « Les oppressions contre les femmes sont liées à notre corps, à notre capacité à enfanter, et toutes les questions du féminisme sont liées aux corps des femmes : l’IVG, la PMA, les violences gynécologiques, le voile, le harcèlement de rue, la prostitution, le viol… » Camille Lextray, autre militante du Collage contre les féminicides, est d’un avis opposé : pour elle, « Être une femme n’a rien à voir avec les organes génitaux. Ce qui fait qu’on est une femme, c’est uniquement la manière dont on se définit : on se reconnaît dans ce que la société identifie comme femme. » Pour elle, assimiler les organes génitaux au genre s’inscrit « dans une conception patriarcale : on essentialise les femmes en établissant un lien entre leurs organes génitaux et leur caractère, par exemple.« 

Ce désaccord engendre un contexte de violence verbale dans les milieux militants. Ceux qui adhèrent au transactivisme ont ainsi adopté un mot d’ordre sans équivoque : « Les TERFs au bûcher« , appel (métaphorique) au meurtre que l’on peut voir collé aux murs dans plusieurs grandes villes françaises. Ce mot d’ordre est fréquemment repris sur les réseaux sociaux par Fatima Benomar, cofondatrice de l’association Les Effronté-e-s, qui estime par exemple dans une conversation sur Facebook que « les terfs, les racistes, les fashottes » méritent « la mort« .

Mise en cause, Fatima Benomar se défend : « En France, on est pamphlétaires, les personnes indignées par la transphobie retournent le stigmate avec des mots forts, mais personne ne croit sérieusement que l’on souhaite immoler les TERFs ! » La militante relève d’ailleurs qu’un des collages effectués par Marguerite Stern dans son groupe féministe relevait du même registre provocateur : « Tu me siffles, je te crame« .

Les personnes transgenres, lourdement discriminées

Le mouvement Collages contre les féminicides, que Stern avait lancé, a progressivement été noyauté par des militantes favorables au transactivisme, jusqu’à exclure sa fondatrice. Un nouveau message s’est imposé, visant à faire le ménage parmi les féministes : « Des sisters, pas des cisterfs« , autrement dit, en bon français : des soeurs, des alliées dans la lutte, plutôt que des femmes cisgenres jugées hostiles aux trans. En janvier dernier, Stern avait alerté contre la violence de cette nouvelle vague de militants : « Dès que je m’exprime sur le transactivisme, on me lynche. Ces attaques sont de plus en plus violentes, et je sais que de nombreuses autres féministes ne s’expriment pas à ce sujet parce qu’elles ont peur, à juste titre, d’être harcelées. » Début août, un nouveau message hostile a été placardé en face de son domicile, dont elle affirme que « l’adresse commence à circuler« . Camille Lextray « condamne ces actes » de harcèlement, mais estime « qu’il n’y avait pas d’attaques violentes à l’égard de Marguerite Stern avant qu’elle tienne des propos transphobes. » Elle juge que « la haine vient avant tout de la stigmatisation des personnes non binaires et transgenres« . De quoi rappeler que les personnes transgenres (on estime qu’elles sont environ 15.000 personnes en France) constituent toujours une population lourdement discriminée : dans Sociologie de la transphobie, Arnaud Alessandrin et Karine Espineira estiment que 85% des trans subiront une agression au cours de leur vie.

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