Entre résistance et mobilisation : les luttes actuelles en Martinique pour la justice sociale et l’émancipation

Le CNCP a organisé une conférence débat le vendredi 25 octobre à la Bourse du Travail de Paris sur le thème « Le Peuple Martiniquais veut faire entendre sa voix ». Voici le texte de l’intervention de Robert Saé, son représentant aux affaires extérieures.

Paris, le Vendredi 25 octobre 2024

Pour la deuxième fois dans l’histoire récente, la Martinique se trouve propulsée dans l’actualité à l’échelle internationale. La première fois c’était quand, le 6 décembre 1987, des milliers de nos compatriotes avaient envahi la piste de l’aéroport pour empêcher l’atterrissage de l’avion à bord duquel se trouvait le néo-fasciste Jean-Marie LEPEN. Aujourd’hui, c’est parce que notre pays s’est trouvé entièrement paralysé dans le cadre d’une mobilisation contre la vie chère.

Dans de nombreux pays étrangers on a évoqué à ce propos la nature des relations entre la France et les territoires éloignés qu’elle contrôle dans le monde. Mais, en France, la grande majorité des médias n’a parlé que de la grogne d’une population qui exige légitimement une égalité de traitement avec les autres français et dont les protestations sont dévoyées par quelques délinquants. Il y a même un ministre, je crois que c’est Lecornu, ancien chargé de l’outremer, qui a qualifié la situation de «ponctuelle». Il y a là une volonté manifeste de de désinformer car, comme nous mêmes, le gouvernement français, sait qu’il s’agit d’une crise éminemment structurelle et que nous sommes à un moment de basculement décisif dans l’histoire de la Martinique.

La crise économique et sociétale que nous vivons aujourd’hui n’est absolument pas due au hasard. Elle est le fruit d’une politique mortifère, menée en toute connaissance de cause, par le pouvoir français dans notre pays qui est toujours colonisé.

Aujourd’hui, le statut de grande puissance de la France est sérieusement menacé. Chassé de son pré-carré africain, bousculée, comme toutes les autres puissances occidentales, par la concurrence des puissances rivales, elle entend renforcer son emprise sur les territoires qu’elle domine de par le monde dans l’espoir de rebondir.

Le Peuple Martiniquais ne saurait accepter d’être sacrifié sur l’autel de ces ambitions là.

Le CNCP a tenu à organiser cette conférence aujourd’hui à Paris, d’une part, parce que nous estimons inconcevable que nos compatriotes de la diaspora, qui, rappelons-le, constituent le tiers de notre Peuple, ne soient pas associés aux réflexions, aux choix et aux luttes concernant le devenir de notre pays et, d’autre part, parce que nous considérons que la solidarité internationaliste entre les Peuples de tous les continents est un facteur essentiel pour mettre fin au pillage capitaliste et à la domination impérialiste dont tous sont victimes.

A ce propos, nous exprimons publiquement nos remerciements au PCOF qui nous a accordé son soutien pour la préparation de ce meeting et plus généralement pour la qualité de la longue collaboration entre nos organisations.

Dans notre exposé introductif, nous allons aborder

1°) le contexte global qui permet d’appréhender les événements actuels.

2°) le déroulement des faits

3°) les revendications portées par les initiateurs de la mobilisation et leur chance d’aboutir; enfin,

4°) l’analyse que fait notre organisation de la situation ainsi que les orientations que nous défendons concernant la lutte du Peuple Martiniquais.

Commençons donc avec la présentation du contexte global

A l’extérieur, peu de gens connaissent l’histoire de notre Peuple, et pour cause, elle a toujours été occultée par ceux qui nous gouvernent. C’est en tout cas une incessante succession de luttes populaires contre l’oppression. Nous pensons ici:

– aux nombreuses révoltes des esclavagisés qui se sont conclues par l’abolition qu’ils ont imposée le 23 mai 1848,

– à l’insurrection du sud de septembre 1870 qui a été écrasée par l’armée française; cette dernière s’étant illustrée par le massacre de centaines de personnes, la destruction des cases et des jardins de la population et l’exécution des dirigeants à Desclieux quand ils n’ont pas été envoyé au bagne de Cayenne.

– aux grèves des ouvriers agricoles qui depuis 1900 et, régulièrement au mois de mars, lors de la récolte des cannes, voyaient les nôtres tomber sous les balles des forces de répression. C’est en février 1974, à l’occasion de la grève des ouvriers agricoles de la banane, que les derniers assassinats ont été perpétrés, ceux de Ilmany RENOR et Georges Marie-Louise.

Si j’ai fait ce rappel historique, c’est pour signifier que notre Peuple a toujours été confronté à l’oppression d’un pouvoir colonial français fortement lié à la caste dominantes béké, héritière des maîtres esclavagistes, mais c’est aussi pour attester que le Peuple Martiniquais a toujours été un Peuple résistant. Eh bien, C’est toujours le même contexte qui prévaut en ce XXI° siècle.

Toutefois, depuis le début des années 70, une nouvelle donne s’est imposée dans le pays :

Nous avons signalé que la dernière tuerie a eu lieu à l’occasion de la grève des ouvriers agricoles en 1974. Mais cette grève signe une profonde rupture avec toutes les précédentes. Premièrement, parce que la revendication majeure concernant les salaires a été en grande partie victorieuse, permettant ainsi une amélioration spectaculaire des conditions de vie des travailleurs agricoles. Deuxièmement, parce que cette grève là avait été précédée par un travail de terrain mené pendant deux ans par deux organisations dites d’extrême-gauche qui se revendiquaient du marxisme-léninisme et prônaient l’indépendance de la Martinique. Il s’agit du GAP et du GS 70. C’est dire que des idées nouvelles d’émancipation politique avaient largement irrigué la population.

Un deuxième pas a été franchi dans la même direction, il y a une quinzaine d’années, avec l’irruption, dans le champ social d’une nouvelle mouvance militante que certains ont appelée les «RVN» en référence au drapeau «Rouge Vert Noir» qu’ils brandissaient.

* Au départ, ce sont quelques dizaines de militants, surtout des jeunes qui, tout en popularisant le drapeau Rouge Vert Noir, multipliaient les actions dans tout le pays afin d’exiger le retrait du drapeau aux quatre serpents, celui là même qui flottait sur des navires pratiquant la traite dite négrière, et qui était partout présenté comme celui de la Martinique. La pression a été si forte qu’Emmanuel Macron, lors d’un voyage en Martinique a annoncé que ce symbole serait enlevé de l’uniforme des gendarmes. Ce qui a été fait. Quant au drapeau Rouge vert Noir, rappelons que son histoire commence dans les geôles de Fresnes où étaient incarcérés des jeunes de l’OJAM qui avaient osé placarder un manifeste titré «La Martinique aux Martiniquais». Qualifié de «drapeau indépendantiste», il avait été installé sur le fronton de la Mairie de Sainte-Anne dont le Maire était à l’époque Garcin MALSA. Depuis il s’est imposé à l’échelle du pays, si bien que la CTM l’a officiellement adopté en assemblée plénière et aujourd’hui il est brandi au niveau international, y compris aux JO de Paris par un champion d’origine martiniquaise!

* Et puis il y a eu la destruction dans l’espace public, des statues représentant l’ordre colonial et l’histoire officielle. Joséphine de Beauharnais qui avait déjà été décapitée a été renversée, Desnambuc, le père de la colonisation, a été «déchouké», Schoelcher injustement déifié comme le libérateur des noirs a été anéanti. Et à la tête du mouvement, qui trouvait on? Deux jeunes filles d’une vingtaine d’années, Alexane et Jay! Le symbolisme est frappant!

* Dans la foulée, les dits «RVN», entourés d’un millier de personnes, libéraient des plages illégalement privatisées à Sainte – Luce par des gens qui se qualifient eux-mêmes d’«expatriés»

* Et puis, on les a retrouvés par centaines devant des centres commerciaux contrôlés par la caste béké afin d’exiger justice et réparation pour le crime d’empoisonnement commis contre notre Peuple. Inutile de dire que la répression a été d’une rare brutalité contre eux. Ils ont subi et subissent encore une cascade de procès. Pourtant, ils sont restés au front.

Beaucoup d’entre eux sont impliqués dans la lutte qui se mène aujourd’hui contre la vie chère. Je me contenterai de citer l’exemple de celui qu’on surnomme «Volcan», qui vient d’être condamné à 7 mois de prison ferme, parce qu’il était de ceux qui ont investi la piste de l’aéroport afin d’empêcher l’atterrissage d’un Boeing censé amener un convoi de CRS. Eh bien, le même «Volcan» tenait le porte-voix dans toutes les mobilisations précitées. Vous admettrez qu’assimiler ces militants là à des délinquants relève d’une méprisable désinformation.

Je ne saurais avoir évoqué les RVN sans vous citer le nom d’une jeune femme, Anicia BERTON, Cette véritable «Lumina SOPHIE»» de notre époque, qui est atteinte de graves pathologies, est la figure de proue de ce mouvement et entre ses nombreuses opérations chirurgicales, on la voit sur tous les terrains de lutte.

Parallèlement au mouvement des RVN, pendant toute cette période, s’est développée une mouvance panafricaine dans notre pays. Ses militants y ont vulgarisé: la connaissance de l’Afrique, l’apport de ses civilisations et de sa spiritualité. Avec ces révélations, beaucoup au sein de notre Peuple retrouvaient la fierté de ce qu’ils étaient vraiment et cela se remarque, aujourd’hui, dans leur façon de rester naturel, de s’habiller et même parfois de vivre. Cela a fortement contribué à lutter contre des aliénations qu’avait propagé l’idéologie assimilationniste depuis 1946.

Enfin, deux causes sont venues contribuer au développement d’une convergence, jusque là inédite, au sein de notre société.

* C’est d’abord celle qui rassemble tous nos compatriotes dans la lutte pour obtenir «JUSTICE et REPARATION» concernant le crime d’empoisonnement par les pesticides. Le scandaleux non-lieu prononcé dans cette affaire a eu pour effet que tous et toutes travaillent de concert pour que le crime ne reste pas impuni et que les victimes soient indemnisées. Parmi ceux-là, on peut citer le «lyannaj» qui regroupe une quarantaine d’organisations, le COAADEP, l’Assaupamar, l’ensemble des élus Martiniquais et bien d’autres.

* La deuxième cause qui a poussé à la convergence est celle qui concerne, le vol des terres appartenant à des Martiniquais, vol qui se fait avec la complicité de quelques notaires véreux. La dite «affaire Pinto» a été la plus médiatisée. De nombreuses organisations se sont regroupées pour prendre la défense du propriétaire grugé. Mais ce n’est que la tête émergée de l’iceberg, les cas sont légion. (Si le temps nous le permet, je reviendrai dans le débat sur une lutte menée, entre 1994 et 1997, par notre organisation contre une flopée de locataires aussi escrocs qu’expatriés).

Il est donc essentiel de comprendre que la mobilisation contre la vie chère d’aujourd’hui vient s’inscrire dans une dynamique globale et profondément politique. C’est la problématique du respect de l’identité du peuple Martiniquais, de son histoire, de son refus de la domination coloniale, de sa lutte pour l’émancipation et pour les réparations qui est posée aujourd’hui.

Voilà pour le contexte! Alors, maintenant nous pouvons évoquer le déroulement des faits

Comme point de départ, nous avons une association, le RPPRAC, (Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéens) qui s’est faite connaître sur les réseaux sociaux en juin et qui en juillet, a lancé l’injonction aux acteurs de la grande distribution d’aligner à la date du 1er septembre, les prix des produits alimentaires sur ceux pratiqués en France. N’ayant, bien sur, pas été écouté, le RPPRAC a appelé à la mobilisation.

Des actions originales ont vu le jour: par exemple remplir des caddies, passer à la caisse et refuser de payer pour dénoncer l’exagération des prix. Des rassemblements ont été organisés devant des centres commerciaux, quelques barrages ont été érigés.

Cela a eu un impact inattendu dans la population car, en grande majorité, celle-ci est porteuse d’une très grande souffrance provoquée par la cherté de la vie dans tous les domaines sans exception et beaucoup ont trouvé là une occasion de crever l’abcès. Le soutien exprimé envers le RPPRAC est donc très large.

Alors même qu’en lançant leur mouvement, ses initiateurs avaient tenu à se démarquer des syndicats, les travailleurs du port ont exprimé leur soutien, des transporteurs et des camionneurs ont organisé des opérations «molokoy» pour appuyer la mobilisation. Deux centrales syndicales , la CGTM et la CDMT, ont organisé des journées de grève générale contre la vie chère, et pour revendiquer l’augmentation des salaires et des minima sociaux.

C’est d’ailleurs le jour de la grève générale du mardi 15 octobre que la situation a connu un véritable tournant. Ce même jour, alors que le Maire du carbet était en train de mener des négociations entre, d’une part, des manifestants, des gens tout à fait pacifiques venus en famille sur un barrage, et les CRS, d’autre part, ceux-ci, sans sommation, sans motif valable, ont gazé le maire et ceux qui l’entouraient. Des vidéos en font foi. Nous reviendrons tout à l’heure sur la question des CRS, mais ce sur quoi nous insistons ici, c’est sur le fait que, réseaux sociaux obligent, la nouvelle à fait le tour du pays en temps réel et que les barrages se sont érigés partout, à un niveau que l’on n’avait jamais connu auparavant. Ces barrages ont tenu jusqu’à l’ouverture des «tables rondes». Un «accord» a été signé à l’issue de ces rencontres, mais le RPPRAC a refusé de s’y associer.

Voici quelques éléments d’information permettant de réaliser l’ampleur des événements

Au moins 17 gendarmes ont été blessés (dont plusieurs par balle). On a parlé de 3 morts au cours de la période, mais apparemment, ils ne seraient pas directement liés aux événements. La gendarmerie du Carbet a été totalement détruite par un incendie, d’autres établissements publics ont été pris pour cibles. Les radars ont été détruits en grande majorité.

* Concernant les incidences sur le secteur économique: la CCI fait état de 134 entreprises incendiées ou pillées dans 19 villes, d’un impact pour plus de 560 employés et elle a évalué les dégâts entre 65 et 75 millions d’euros.

La liste des cibles visées permettra d’éclairer la motivation des émeutiers. Mais, il est à déplorer également le pillage ou l’incendie de petites et moyennes structures détenues par des Martiniquais.

Sur le plan judiciaire: la Procureur, Christine TARON a annoncé 250 procédures initiées par la Police et 400 par les gendarmeries.

Avant d’aller plus loin, je vais parler, comme annoncé, de la question des CRS.

Il faut savoir que depuis 73 ans, ils étaient interdits d’entrer sur le territoire Martiniquais en application d’accords qui avaient été signés pour mettre fin aux émeutes de décembre 1959. Cet accord avait été négocié sous l’égide des institutions représentant l’État, de tous les partis politiques de droite et de gauche, des autorités religieuses, etc. Pourquoi? Parce que les CRS étaient directement responsables du déclenchement des émeutes.

Rappelons brièvement les faits: un banal accident entre un Martiniquais et un Français aux abords de la savane à Fort-de-France. Les deux protagonistes discutent entourés de badauds. Finalement, ils s’entendent et vont boire un pot ensemble. Sauf, qu’entre temps, un appel téléphonique venant de «l’Hôtel de l’Europe» qui se situe en face et où se retrouvaient ceux qu’on appelle les «Pieds noirs», est adressé aux CRS pour signaler une altercation entre «un Blanc» et «un Noir». La compagnie de CRS arrive illico sur les lieux et agresse brutalement tous les présents, y compris des militaires Martiniquais en tenue qui passaient par là. La réaction est immédiate et à la hauteur des enjeux. 3 Nuits d’émeute qui se soldent par la mort de 3 jeunes qui n’étaient pas impliqués dans les affrontements.

Les CRS étaient déjà tristement connus pour leur racisme affiché et leur brutalité dans le quotidien. Voici ce qui explique la décision d’expulsion dont nous avons parlée.

La troisième partie de notre exposé concerne les revendications portées par les initiateurs de la mobilisation et leur chance d’aboutir.

Pour introduire ce point, je vais vous citer l’extrait d’un tract que les militants qui préparaient la grève de 1974 avaient distribué sur les «habitations»

«Travayè agrikol an nou pran douvan!

An tout sans nou ka pran fè! Chaque jour, chaque semaine, le gouvernement, les commerçants augmentent le prix des marchandises. Le kilo de riz est passéde1F30 à 4 F. L’huile de 2F 30 à 5F. De même le prix des transports et du matériel de classe pour les enfants augmentent.

Mais le salaire lui n’augmente que par centimes: 28F32 à 28F 97 pour une journée de travail. Nous devons chaque fois lutter pour arracher ces quelques centimes aux patrons békés rapaces. Il faudra aussi lutter durement pour avoir le nouveau salaire de 35F 46 qui a été fixé depuis le 1er décembre 73.»

Cette citation est faite pour rappeler que le problème de la «vie chère» est structurel dans notre pays et que, tout au long de son histoire, notre Peuple s’est mobilisé, pour la combattre. La lutte contre la «pwofitasion» a été en permanence au cœur des luttes syndicales. De grand moments de mobilisation populaire ont émaillé notre histoire, comme la «Marche de la faim» en 1935 et, plus récemment, la puissante mobilisation de 2009 qui a duré 38 jours et qui s’est illustrée par des rassemblements de 20.000 personnes.

Chaque fois, le pouvoir a opposé aux mobilisations les deux mêmes méthodes: D’abord la répression et quand cela n’a pas suffi à éteindre les braises, l’organisation de discussions sous son égide pour reprendre la situation en mains.

Je ne prends que l’exemple de 2009 où il a mis en place des «États Généraux» censés porter réponse à tous les problèmes. Aujourd’hui encore, on claironne que le prix de certains produits avaient baissé. C’est vrai, les propriétaires des grandes surfaces avaient installé sur les étagères quelques familles de produits moins chers, mais de plus mauvaise qualité, au côté de meilleurs produits plus chers achetés par ceux qui le pouvaient. Mais surtout, comme ce sont les mêmes qui contrôlent tous les secteurs de l’économie en Martinique, les membres de la caste se sont largement rattrapés partout ailleurs. Le résultat, c’est la «pwofitasion» décuplée que nous subissons aujourd’hui.

Ajoutons que parmi les ateliers mis en place dans le cadre des «États généraux», il y en avait un qui était censé tracer des pistes pour relever les minima sociaux. J’y ai personnellement participé. Qu’en est-il aujourd’hui des retraites, des différentes allocations, etc? Je vous laisse répondre.

Tout cela pour dire que nous sommes dans un système où le gouvernement impose une politique ultralibérale de saccage des acquis sociaux et qu’il ne permettra jamais que cela soit remis en cause par quelque «table ronde» ou quelque visite ministérielle que ce soit! Cela, les organisations qui luttent au côté des travailleurs depuis des décennies le savent par expérience. C’est la raison pour laquelle, pour notre part, nous estimons que la revendication de l’alignement des prix de la Martinique sur ceux de la France ne risque absolument pas d’être satisfaite.

D’autre part, beaucoup de ceux qui participent actuellement au mouvement, défendent l’idée que c’est pour respecter le principe de «continuité territoriale» que l’État français devrait être contraint de mettre la main à la poche. Nous voyons là un danger de pérenniser l’idée de rattachement et de soumission à une métropole coloniale. Nous considérons qu’il serait plus judicieux d’exiger la «compensation des déséquilibres dus aux séquelles du statut colonial».

Ceci nous amène à parler du dernier point annoncé, à savoir l’analyse que fait notre organisation de la situation ainsi que les orientations que nous défendons concernant la lutte du Peuple Martiniquais.

Ici, nous nous contenterons dénoncer brièvement quelques éléments que nous pourrons développer, si vous le souhaitez, dans le cadre du débat.

Au début de notre intervention, nous avons indiqué que la Martinique se trouvait à un moment de basculement décisif de son histoire. La raison en est que le Pouvoir colonial français systématise une politique visant à annihiler toute possibilité de remettre en cause sa domination coloniale, notamment

– en intensifiant le «génocide par substitution» déjà dénoncé par Aimé Césaire

– en cherchant à détruire le peu qui reste de l’économie endogène

– en renforçant la dépendance administrative et technologique

– en quadrillant le pays de ses forces de répression

Il est évident que notre Peuple ne se laissera pas faire et l’avenir qui s’annonce c’est soit notre accession à la souveraineté, soit le chaos.

Il est donc capital que nous démystifions tous les leurres qui stérilisent les luttes populaires dans notre pays.

– Croire que des luttes simplement corporatistes permettront d’améliorer notre situation, c’est un leurre!

– Croire qu’on pourra faire entendre raison aux maîtres du système, amener ceux-ci à la compassion et aux compromis, c’est un leurre!

Ce n’est pas pour le «pouvoir d’achat» que nous devons nous battre, mais pour le «Pouvoir de vivre mieux» dans un pays où notre droit à l’autodétermination est respecté et où règne la justice sociale. Il ne s’agit donc pas de courir après un espoir «malpapay» d’intégration mais, au contraire, de se battre pour la décolonisation de notre pays. Tant que la Martinique restera sous domination coloniale, les avancées obtenues par les luttes revendicatives resteront fugaces et le pouvoir s’emploiera à écraser les initiatives alternatives.

Aussi considérons-nous que, si les luttes pour l’amélioration immédiate des conditions de vie restent une nécessité absolue, il est essentiel qu’elles soient intégrées à une stratégie globale remettant en cause le système dominant et impulsant le développement d’initiatives alternatives «marronnes».

Nous pensons aussi que cette stratégie doit prendre pleinement en compte le fait que nous faisons partie d’un monde et d’une humanité sur lesquels planent 5 menaces majeures. Nous voulons parler:

– de l’éventualité des catastrophes liées au dérèglement climatique

– de l’imminence de crises économiques majeures

– de la fascisation qui se renforce dans l’ensemble des pays et de la remise en cause éhontée du droit international par les puissance impérialistes occidentales

– de la marche en cours vers un conflit militaire mondial et enfin,

– du dérèglement mental généralisé que génèrent tous ces fléaux.

C’est pour cela que nous affirmons que notre lutte de décolonisation est partie intégrante du combat que mènent tous les Peuples du monde pour le mieux-vivre et que nous nous tenons au côté

– du Peuple Kanak en lutte pour le respect de son droit à l’auto-détermination

– de nos frères et sœurs d’Haïti à qui l’occident n’a jamais pardonné d’avoir instauré la première République noire au monde

– du Peuple Palestinien victime du génocide perpétré par l’armée israélienne et, plus généralement,

– de tous les Peuples exploités et opprimés, tant dans les pays dominés que dans les pays occidentaux eux-mêmes.

Car, nous en sommes convaincus, seules la solidarité internationaliste et la convergence de toutes les luttes populaires de par le monde permettront que la planète et l’humanité ne soient pas détruites.

Je vous remercie de votre attention.