—Par Jean-Jacques Régibier —
L’exposition consacrée à Jérôme Bosch au musée du Prado à Madrid vient couronner une année d’expositions, de travaux de recherche et de colloques organisés à l’occasion du 500ème anniversaire de la mort d’un des peintres les plus stupéfiants et les plus admirés de la peinture occidentale.
Le regain d’intérêt suscité par son œuvre auprès d’un très vaste public, a confirmé l’incroyable modernité de celui qu’André Breton qualifiait de « visionnaire intégral », « plus subversif » que la plupart des artistes contemporains, ajoute le metteur en scène et plasticien flamand, Jan Fabre.
Dans un livre qu’iI vient de consacrer à Jérôme Bosch (1), le grand écrivain nééerlandais Cees Nooteboom raconte comment une curieuse coïncidence ( André Breton aurait dit un “ hasard objectif “ ) a fait que se côtoient, sur sa table de travail, d’une part un livre ouvert à la page représentant une toile célèbre de Bosch où l’on voit Saint Christophe faisant traverser la rivière à l’enfant Jésus qu’il porte sur son dos, et juste à côté du livre, le journal du jour montrant la terrible photo du policier turc portant dans ses bras le corps mort du petit Aylan, cet enfant syrien retrouvé noyé sur une plage de la mer Egée après le naufrage de l’embarcation de fortune sur laquelle ses parents pensaient pouvoir aborder un monde meilleur. Le saint et le policier ont tous les deux la même attitude, remarque Nootboom, tête penchée vers la gauche, comme sous la charge d’un fardeau trop lourd, celui du fils de Dieu lesté de son terrible destin, pour Saint Christophe, et pour le policier, celui de l’enfant mort. Il en veut pour preuve que Jérôme Bosch n’a jamais été aussi proche de nous, qu’il nous aide en réalité, par delà l’imagerie propre à la fable chrétienne dans laquelle, comme tous les peintres de son temps, il doit s’exprimer, à percevoir ce qu’allait advenir ce monde qui, depuis un demi millénaire, n’a fait qu’accélérer sa course folle vers un désastre que le maître néerlandais n’a cessé d’annoncer.
Aucun appel moralisateur là-dedans, relève aujourd’hui la plupart des commentateurs, à l’opposé de ce qu’ont été pendant des siècles les analyses dominantes qui faisaient de Bosch un redresseur de torts qui se serait fixé pour règle de ramener les âmes égarées dans le droit chemin, une espèce de directeur de conscience particulièrement doué pour la peinture. La passion qu’il continue de susciter aujourd’hui à une époque où les codes de conduite chrétiens ont disparu de la panoplie de nos representations – sauf peut-être chez quelques un(e)s qui le prétendent, mais qui ne sont pas ceux dont on entend spécialement dire qu’ils admirent Bosch – tend à prouver qu’il est immensément plus que cela, loin en tous cas de cette image d’Epinal à laquelle une tradition conservatrice, d’essence religieuse, a voulu longtemps, contre l’évidence de ses oeuvres, le réduire etl’enfermer…
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