Interview de Sebastian Deviraj, coordinateur de l’association FEDINA, partenaire de Terre des Hommes, qui vient en aide à de nombreuses femmes victimes de violences dans le sud de l’Inde.
Quelle est la place des femmes dans la société indienne ?
Traditionnellement, les femmes ont toujours été réduites à une condition inférieure. De fait, quelques-uns de nos écrits proclament que les femmes sont égales ou parfois même inférieures aux animaux. Une femme est encensée pour son rôle de mère ou d’épouse, mais cela permet de lui soutirer un travail non rémunéré. En tant que mère ou qu’épouse, elle travaille constamment, de 5 heures du matin jusque tard le soir, pour sa famille ou pour la société. Dans les zones rurales, elle effectue de très nombreux travaux économiques qui ne sont pas reconnus et pas rémunérés.
Les femmes occupent de plus en plus d’emplois salariés. quelles en sont les conséquences ?
Aujourd’hui, les femmes intègrent de plus en plus l’économie de marché, elles y sont forcées. Certaines industries, comme l’industrie textile, emploient un grand nombre de femmes : à Bangalore, sur un demi-million de travailleurs, 90% sont des femmes. L’industrie des bidis (cigarettes artisanales) emploie principalement des femmes qui travaillent chez elles. Si on ne s’attaque pas à leur soumission, réclamer des salaires égaux devient très difficile parce que les femmes elles-mêmes pensent que leur contribution n’est qu’un « revenu annexe » pour la famille. Mais en travaillant et discutant avec elles au fil des ans, elles commencent à réaliser que ce sont elles qui contribuent le plus au revenu familial.
Comment cette situation est-elle vécue au sein des familles ?
Elles partent travailler entre 8 et 10 heures par jour pour gagner de l’argent et quand elles rentrent, elles ne sont pas en mesure de remplir leurs tâches traditionnelles de manière « satisfaisante » aux yeux de leur mari ou de leur belle-mère par exemple : cuisiner, faire le ménage, s’occuper des enfants…
Elles sont censées remplir à la fois la fonction d’épouse et en même temps gagner un salaire pour la famille. C’est une situation qui tue véritablement une femme. Cela cause énormément de violence, de nombreux conflits, et c’est un comportement abusif de la part de l’homme.
Quelles sont les difficultés que les femmes rencontrent au travail ?
Nous nous occupons de la problématique des salaires égaux, des droits, des conditions de travail pour les femmes et de la prévention du harcèlement au travail. Ce dernier aspect est majeur, parce que les femmes sont vues comme un objet sexuel même au travail.
Vous menez aussi un travail de protection des femmes face à la violence, pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous n’avons pas le temps de faire un suivi de ces comportements abusifs, mais nous pouvons protéger la femme lorsqu’elle est victime de graves violences. Nous avons créé des groupes de vigilance de femmes, composés essentiellement de victimes qui sont sorties du silence. Il faut beaucoup de temps pour qu’une femme brise le silence et fasse part de la violence à laquelle elle fait face. Elle subit parfois de la violence pendant 5, 10 ans avant d’oser en parler. Ce que nous faisons, par le biais de syndicats de travailleurs ou de groupes de vigilance, c’est essayer d’intervenir et de mettre fin à la violence physique. Nous accompagnons la victime au commissariat et nous l’aidons à porter plainte si nécessaire.
Vous intervenez également en cas de violence domestique ?
Des groupes de femmes vont mettre fin à la violence, en se rendant au domicile pour exiger du mari qu’il ne recommence pas, en l’informant que s’il continue, nous allons intervenir et l’en empêcher, parfois même physiquement. Voilà pourquoi nous avons mis en place des groupes de vigilance de femmes en grande partie composés d’anciennes victimes qui souhaitent aider d’autres femmes. Je pense que, petit à petit, on parvient à un changement, car de plus en plus de femmes expriment ce qui leur arrive.
Les croyances religieuses jouent-elles aussi un rôle ?
Selon la vision hindoue, une épouse ne peut pas prononcer le nom de son mari. Chaque fois qu’une femme prononce son nom, l’espérance de vie de son mari diminue. Donc elle s’adresse toujours à lui d’une manière indirecte ou va montrer du doigt son fils ou sa fille et dire « son père » . Les épouses doivent également faire le jeûne un jour par semaine pour que l’espérance de vie de leur mari augmente, pour que sa vie soit protégée. Il y de nombreuses obligations au quotidien que les femmes doivent accomplir, et qu’elles acceptent comme soumission. Nous essayons de rendre la femme plus forte et luttons pour qu’elle se sente égale, pour qu’elle puisse exiger de l’être.
Sebastien Devaraj, lors d’une rencontre avec un groupe de femmes à Bengalore