En Haïti, la crise politique et la violence des gangs ont un impact dévastateur sur la scolarisation des enfants 

— Par Robert Berrouët-Oriol(*) —

En Haïti l’actuelle crise éducative, identifiable à tous les étages de l’édifice scolaire, est la résultante de multiples maux antérieurs liés entre autres à l’exil forcé d’environ 1 400 enseignants et cadres de l’éducation nationale fuyant la dictature de François Duvalier en 1964-1965. Pour la plupart ils se sont retrouvés dans les pays de l’Afrique francophone nouvellement indépendants où ils ont contribué au développement des systèmes éducatifs des nouveaux États (voir Camille Kuyu, « Les Haïtiens au Congo », Éditions L’Harmattan, 2006). De nos jours, la crise éducative impacte très durement les conditions de vie des enseignants du secteur public en butte à d’incessants arriérés de salaire. Sur ce registre, il est utile de préciser que ces récurrents arriérés de salaires, qui affectent également la scolarisation des élèves, étaient d’un montant de 4 milliards de gourdes en 2016 selon les déclarations du ministre sortant de l’Éducation nationale Nesmy Manigat au nouveau ministre Jean Beauvois Dorsome (voir Le Nouvelliste du 7 avril 2016). Étant donné la croissance négative du PIB (produit intérieur brut) depuis six ans, il est logique et vraisemblable de poser que les arriérés de salaires ont doublé ou triplé chaque année de 2016 à 2024. Le fait que la croissance soit négative chaque année depuis six ans a donc pour effet direct que les arriérés de salaire des enseignants se sont multipliés par deux ou trois, aggravant ainsi la précarité financière dans laquelle se trouvent les enseignants haïtiens qui, très souvent, sont forcés de cumuler plusieurs charges d’enseignement dans plusieurs écoles afin de subvenir aux besoins vitaux de leurs familles…

Les analystes les plus avisés du système éducatif national soutiennent de manière fort pertinente que l’actuelle crise éducative est surtout liée à la démantibulation systémique de l’École haïtienne instituée ces douze dernières années par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. Une telle dislocation de l’École haïtienne est en lien direct avec celle de l’Administration publique profondément assujettie et dévoyée par le PHTK qui en a fait le terrain de prédilection d’une vaste entreprise de népotisme, de corruption et de dilapidation des ressources financières de l’État haïtien.

La « métastase de la corruption » a été modélisée en Haïti au creux de la gangstérisation/criminalisation de l’État haïtien activement mise en œuvre par le PHTK ces douze dernières années. (NOTE – Sur la gangstérisation/criminalisation de l’État haïtien, voir l’étude de Frédéric Thomas « Haïti : la gangstérisation de l’état se poursuit », CETRI, Université de Louvain, 7 juillet 2022 ; sur les auto-proclamés « bandits légaux » du PHTK, voir l’article de Roromme Chantal de l’Université de Moncton, « L’ONU, le PHTK et la criminalité en Haïti », AlterPresse, Port-au-Prince, 25 juillet 2022 ; voir aussi l’article de Laënnec Hurbon, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti », Médiapart, Paris, 28 juin 2020 ; voir « Haïti dans tous ses états » : halte à la duvaliérisation des esprits ! », par Arnousse Beaulière, AlterPresse, Port-au-Prince, 19 février 2020 ; voir également l’entrevue de Jhon Picard Byron, enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti, « Gangs et pouvoir en Haïti, histoire d’une liaison dangereuse », Radio France internationale, 23 septembre 2022. Lire aussi « L’« État de dealers » guerroyant contre contre l’« État de droit » en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol, Médiapart, Paris, 18 janvier 2024.)

C’est le lieu de rappeler qu’Haïti vit depuis 2015 sous un « régime d’exception » dans lequel la Constitution de 1987 est systématiquement violée et reléguée dans l’espace clos et mortifère du « règne de l’impunité » (voir l’article « Haïti : une démocratie sans élections ni institutions ? », par Nicolás Pedro Falomir Lockhart, Centre d’études interaméricaines / Institut québécois des hautes études internationales / Université Laval et Observatoire des Amériques, Université du Québec à Montréal, février 2015).

Ce « régime d’exception » a connu ses heures les plus sombres dans le système éducatif haïtien. Sous la houlette du ministre de facto de l’éducation nationale Nesmy Manigat, le système éducatif national a connu sa plus profonde régression et ses échecs les plus marquants au cours des douze dernières années. Le plus dommageable d’entre eux est celui de l’aménagement du créole qui n’a pas avancé d’un centimètre en dépit des nombreuses gesticulations médiatiques de Nesmy Manigat (voir notre article « Le ministre de facto de l’Éducation Nesmy Manigat et l’aménagement du créole dans l’École haïtienne : entre surdité, mal-voyance et déni de réalité », Le National, Port-au-Prince, 2 décembre 2021).

Les meilleurs analystes du système éducatif national observent que le PHTK néo-duvaliériste n’a jamais eu un quelconque projet éducatif au service de l’apprentissage scolaire dans l’École haïtienne et que les 3 millions d’enfants en cours de scolarisation en Haïti n’ont pas bénéficié d’une éducation de qualité et inclusive dispensée dans leur langue maternelle et usuelle, le créole. Alors même que l’éducation est une obligation régalienne de l’État haïtien au terme de l’article 32 de la Constitution de 1987, le système éducatif haïtien sous la férule de Nesmy Manigat, ministre de l’Éducation nationale de 2014 à 2016, a connu ses plus grands scandales de corruption, entre autres au Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire, le PSUGO, et au Fonds national de l’éducation (FNE).

Selon l’économiste Leslie Péan, « Dès la première année, 766 fausses écoles ont été créées et financées dans le cadre du prétendu Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) » (voir son article « Corruption et crise financière aux temps du choléra haïtien (2 de 3) » paru dans Latin America in Movement, 18/06/2015).  Lors de sa première « bamboche de mal-gouvernance » à la direction du ministère de l’Éducation nationale de 2014 à 2016, Nesmy Manigat avait mis fin au PSUGO, vaste système de corruption et de détournement de fonds et qui, à ses yeux et à cette époque, était un repaire d’écoles zombis, de directeurs zombis, d’élèves zombis et de professeurs zombis encaissant chaque mois des centaines de chèques zombis (voir l’article « 10 000 profs zombies touchent leurs salaires sans travailler », Rezonòdwès, 16 mai 2017). Missionné une seconde fois par le PHTK néo-macoute à la direction du ministère de l’Éducation nationale en 2021, Nesmy Manigat a sans état d’âme reconduit le même PSUGO dans les mêmes conditions et sans avoir demandé, pas une seule fois, à la Cour supérieure des comptes d’effectuer un audit administratif et financier du même PSUGO pourtant publiquement décrié et dénoncé par de nombreux directeurs d’écoles, des associations de parents et des syndicats d’enseignants. Le preux Nesmy Manigat, qui a un temps effectué une cure-pèlerinage au Comité d’éthique du Partenariat mondial pour l’éducation, a rempilé une seconde fois dans le système éducatif national en 2021 à titre de ministre-expert-rénovateur nommé par le PHTK pour y… appliquer les mêmes méthodes de « bonne gouvernance » qui, en 2024, ont valu à l’ONU, au terme de rigoureuses enquêtes de terrain, de sonner l’alarme car en Haïti « la crise éducative sur le point de devenir une tragédie (ONU) » (voir en seconde partie de cet article l’alerte lancée par l’ONU le 26 juillet 2024). 

NOTE – Sur la corruption systémique dans le système éducatif haïtien, voir notre article « L’expansion de la corruption dans le système éducatif haïtien légitimée par la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste Nesmy Manigat » (Médiapart, Paris, 13 août 2024) ; voir aussi notre article « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti / Le ministre Augustin Antoine dépose une demande d’audit financier et administratif à la CSCCA » (Madinin’Art, Martinique, 16 octobre 2024). Sur la corruption au PSUGO voir notre article « Le système éducatif haïtien à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO » (Potomitan, 23 mars 2022). Voir également les articles « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (parties I, II et III) – Un processus d’affaiblissement du système éducatif », Ayiti kale je (Akj) (AlterPress, 16 juillet 2014). Voir aussi sur le même site, « Le PSUGO, une catastrophe programmée » (parties I à IV), 4 août 2016. Voir également l’article fort bien documenté « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », par Charles Tardieu, Port-au-Prince, 30 juin 2016.

Toujours en ce qui a trait à la corruption au PSUGO, il est utile de rappeler que la FJKL (la Fondasyon je klere), qui est une institution haïtienne connue pour sa rectitude et la rigueur de ses analyses et dont la mission consiste à « Promouvoir la défense et la protection des droits humains en Haïti », a étudié de près le système de corruption du PSUGO. Le 14 mars 2022, elle a diffusé un rapport en 46 points intitulé « Programme de scolarisation universelle, gratuite et obligatoire (PSUGO) : détournement de fonds publics ? La CSC/CA finira-t-elle par décider dans ce dossier d’une technicité qui tranche avec la routine ? » Dans ce rapport, la FJKL estime que « Le dossier du PSUGO est l’un des dossiers sur lesquels la population souhaite qu’une décision de justice soit prise, précisément sur la gestion de ces fonds. La CSC/CA [Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif] doit se prononcer, dans le meilleur délai possible, pour qu’un début d’éclaircissement y soit apporté, prenant ainsi en compte les attentes légitimes de tout le pays et de la diaspora haïtienne fortement concernée dans ces prélèvements pour le compte du PSUGO ».

À l’instar des malversations qui gangrènent le PSUGO, la corruption systémique est également solidement implantée au Fonds national de l’éducation (FNE), qui est selon la loi l’un des 9 organismes d’État placés sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale. La Loi du 17 août 2017 (Le Moniteur n° 30, vendredi 22 septembre 2017) consigne en effet que le Fonds national de l’éducation est doté d’une personnalité juridique : « Le Fonds national de l’éducation (FNE) est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle du ministère chargé de l’Éducation nationale. Le FNE jouit de l’autonomie financière et administrative. Il est doté de la personnalité juridique et sa durée est illimitée » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation).

Nombre d’« intellectuels serviles » ont été missionnés par le PHTK néo-duvaliériste dans le secteur éducatif en Haïti (sur les « intellectuels serviles », voir l’article de Robert Berrouët-Oriol, « Le rôle des « intellectuels serviles » dans l’arsenal idéologique érigé par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste », Fondas kreyòl, Martinique, 27 novembre 2024). Ces « intellectuels serviles » y ont développé des fiefs très rentables comme en témoigne l’extraordinaire salaire de Jean Ronald Joseph, Directeur à l’époque du Fonds national de l’éducation. L’on observe que de preux « hommes d’affaires-patriotes », des politiciens de tout acabit, « gran manjè douvan letènèl » et des ambassades étrangères donneuses de leçons de « démocratie » ont tous pris connaissance de la « Note de presse [datée du 25 avril 2024] d’un regroupement de 9 institutions haïtiennes des droits humains connu sous l’appellation de « Ensemble contre la corruption » relative à une gouvernance de rupture dans le pays au moment de la mise en place du Conseil présidentiel de transition (CPT) ». La note de presse consigne l’information suivante : « Au moment de l’élaboration de cette note de presse, un scandale financier a éclaté au Fonds national de l’éducation (FNE). ECC [« Ensemble contre la corruption »] s’est entretenu avec l’actuel directeur général de l’institution [Jean Ronald Joseph] qui lui a affirmé que le salaire mensuel de 650 000 gourdes qu’il perçoit était en vigueur bien avant son arrivée à la tête du FNE, en décembre 2021. Et la décision d’octroyer des émoluments aussi exorbitants au directeur général du FNE a été validée par le Conseil d’administration, sans considération aucune de la grille des salaires en vigueur dans la fonction publique ». [Les soulignés en gras et italiques sont de RBO] (NOTEÀ propos de la corruption au Fonds national de l’éducation voir notre article paru en Haïti sur le site AlterPresse le 2 mai 2024, « Le linguiste Robert Berrouët-Oriol dénonce un niveau de « corruption » au sein du Fonds national de l’éducation en Haïti ». Voir aussi l’article « Des enquêteurs de l’ULCC ont perquisitionné le FNE » : « Des enquêteurs de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont perquisitionné les locaux du Fonds national de l’éducation (FNE) ce mardi 4 juin 2024. « Oui, j’ai donné un ordre de perquisition aux enquêteurs de l’ULCC ce matin concernant le FNE. L’ULCC a reçu plusieurs signalements, plaintes et dénonciations sur d’éventuels faits importants de corruption », a confié à Le Nouvelliste le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph. « Cette perquisition, a-t-il poursuivi, fait partie d’une série d’actes d’enquête en cours. Les enquêteurs, dont des investigateurs numériques, sont sur les lieux pour collecter des données informatiques, faire la saisie de documents comptables et administratifs et auditionner des personnes indexées et tous autres concernés », a indiqué Me Joseph », Le Nouvelliste, 4 juin 2024. Voir également notre article « Survivance et modélisation de la cleptocratie au Fonds national de l’éducation en Haïti : lettre ouverte à l’Unité de lutte contre la corruption », Médiapart, Paris, 6 septembre 2024).

Il faut prendre toute la mesure que le site officiel du Fonds national de l’éducation ne comprend aucun document d’information financière couvrant la période de 2017 à 2024. Il ne fournit aucun document officiel relatif (1) au total des sommes prélevées chaque année sur les appels téléphoniques entrants (2) au total des sommes prélevées chaque année sur les transferts d’argent vers Haïti pour la période allant de 2017 à 2024 ; (3) aux états financiers du Fonds national de l’éducation pour la période allant de 2017 à 2024, et (4) aux audits comptables qui auraient éventuellement été réalisés par la Cour supérieure des comptes ou par une firme externe pour la période allant de 2017 à 2024. À cet égard, il y a lieu de rappeler que depuis sa création le 15 juin 2011, deux mois après l’installation au pouvoir du gouvernement Martelly, le Fonds national de l’éducation a été financé essentiellement par le prélèvement de 5 centimes sur le tarif de chaque minute d’appel international vers Haïti, et 1.5 dollars sur chaque transfert de fonds internationaux. Cette mesure est entrée en application le 15 juin 2011.

Malgré ce qui semble relever d’une vieille tradition de l’Administration publique haïtienne de ne pas communiquer de documents administratifs même lorsqu’ils sont d’intérêt public, nous avons eu accès à un document de deux pages ayant pour titre : « Banque de la République d’Haïti. Direction financière – Service contrôle financierRapport mensuel des frais perçus sur les transferts privés internationaux versés au compte du Trésor publicÉtabli du 28 juillet 2011 au 12 septembre 2018 ». Ce document est intéressant à plusieurs titres : il fournit des chiffres précis sur le total des sommes perçues par la Banque de la République d’Haïti pour le compte du Fonds national de l’éducation de 2011 à 2016 et de 2017 à 2018. Le FNE ne dispose d’une existence légale que depuis 2017, avec l’adoption de la Loi du 17 août 2017 : entre 2011 et 2016 le Fonds national de l’éducation fonctionnait dans l’informel au sens où il ne disposait pas encore du statut légal d’une institution d’État. Cela a porté plusieurs institutions à le classer déjà, en 2011, parmi les instances opaques de l’Administration publique haïtienne qui amassent illégalement des sommes d’argent au montant indéterminé et qui ne sont pas consignées dans le Budget national, ce qui les soustrait au contrôle du Parlement. Avec l’adoption de la Loi du 17 août 2017, le Fonds national de l’éducation possède un cadre légal de fonctionnement, un conseil d’administration, un personnel administratif et des règlements internes, des objectifs, des droits et des obligations. Les tableaux 1 et 2 ci-après sont une indication du total des sommes perçues sur les transferts privés internationaux par le CONATEL pour la Banque de la République d’Haïti entre 2011 et 2016 et de 2017 à 2018 qui les dirige par la suite vers le Trésor public. Les tableaux 1 et 2 ne prennent pas en compte les sommes prélevées sur les appels téléphoniques en provenance de l’étranger car la recherche documentaire que nous avons menée pour rédiger le présent article ne nous a pas permis d’avoir accès à des documents décrivant les opérations de retenue sur les appels téléphoniques.

TABLEAU 1 – Total des sommes investies dans les « Axes d’intervention majeurs » du Fonds national de l’éducation selon les déclarations de son directeur général (2019-2024) + Ventilation des frais administratifs annuels

5 ANS (2019-2024)

GOURDES

DOLLARS US

MOY/ 5 ANS

GDES

$

$ US

PROGRAMME SPÉCIAL DE GRATUITÉ DE L’ÉDUCATION

3 147 598 122

23 607 576

4 721 515

RÉNOVATION DES INFRASTRUCTURES

2 775 914 120

20 819 876

4 163 975

MOBILIERS SCOLAIRES

525 715 000

3 942 961

788 592

CANTINE SCOLAIRE

255 666 422

1 917 546

383 509

UNIVERSITÉS/ RECH.

30 000 000

225 006

45 001

UNIV./BOURSES (1500)

285 500 000 sur 5 ans

2 141 304

428 261

SUBVENTIONS (229)

133 157 717

998 708

199 742

TOTAL

7 153 551 381

652 977

730 595

PAR BOURSE (1500 bo.)

190 333

1 428

286 *

PAR ÉTUDIANT (229 ét.)

581 475

4 361

872 *

Taux de conversion : 133 GDES/ 1 $ US. || L’astérisque * renvoie à une moyenne annuelle.

FRAIS ADMINISTRATIFS ANNUELS

SALAIRE DU DG

7 800 000

58 501

BUREAU (7 pers.)

24 000 000

180 005

CABINET (17 pers.)

49 000 000

367 509

TOTAL

80 800 000

606 015

Source 1 : Déclaration du directeur général du FNE, point de presse du 31 janvier 2024, site officiel du Fonds national de l’éducation ; Source 2 : Hebdo 24, 1er avril 2024.

TABLEAU 2 – Fonds national de l’éducation / Banque de la République d’Haïti : frais perçus sur les transferts privés internationaux / 2011-2018

NOMBRE DE TRANSFERTS

FRAIS PERÇUS de 1,50 $ en milliers de dollars US

JUILLET 2011-JUIN 2012

7 431

11 146

JUILLET 2012-JUIN 2013

8 313

12 469

JUILLET 2013-JUIN 2014

8 745

13 117

JUILLET 2014-JUIN 2015

10 927

16 392

JUILLET 2015-JUIN 2016

12 198

18 297

JUILLET 2016-JUIN 2017

13 451

20 176

JUILLET 2017-JUIN 2018

16 062

24 093

TOTAL

77 127

115 690

Source : Banque de la République d’Haïti. Direction financière – Service contrôle financier. Rapport mensuel des frais perçus sur les transferts privés internationaux versés au compte du Trésor public. Établi du 28 juillet 2011 au 12 septembre 2018.

Commentaire analytique Le tableau 1 fournit un éclairage fort instructif sur le total des sommes investies dans les « Axes d’intervention majeurs » du Fonds national de l’éducation selon les déclarations de son Directeur général. Ces données déclaratives exposées par le directeur général du FNE, durant son point de presse le 31 janvier 2024, n’étaient pas accompagnées du moindre document officiel attestant leur véracité : ce constat est de première importance car toutes les recherches documentaires que nous avons menées, y compris sur le site officiel du Fonds national de l’éducation, n’ont pas permis de retracer les états financiers et encore moins les rapports d’audit comptable du FNE.

Comme nous le verrons plus loin dans le déroulé de cet article en examinant la « chaîne de camouflage » à l’œuvre au FNE, nous sommes en présence d’un système de gestion financière opaque qui n’offre pas les instruments de compréhension des dépenses publiques qu’un organisme public prétend avoir effectuées pour remplir la mission de service public que lui confère la Loi du 17 août 2017. Les déclarations du directeur général du Fonds national de l’éducation ne permettent pas non plus de savoir, en référence à des documents officiels consultables, si l’institution a effectivement rempli sa mission, si les sommes injectées dans des programmes et des activités ont été dépensées avec rigueur, ou encore si des instances indépendantes ont émis des rapports de conformité à propos de telle ou telle réalisation. Par exemple, le Directeur général du Fonds national de l’éducation a déclaré que son institution aurait investi la monumentale somme de 2 775 914 120 Gourdes sur 5 ans –soit 20 819 876 $ US— dans la rénovation des infrastructures scolaires. Il aurait été utile de fournir des documents énumérant le nombre d’infrastructures scolaires rénovées, leur localisation géographique, le nombre d’élèves ayant bénéficié de ces rénovations ainsi que les rapports techniques émis par des firmes d’ingénierie attestant le respect de la conformité aux normes sismiques. Il aurait également été utile d’être informé quant au contenu du dossier d’appel d’offres et quant au choix des firmes qui, ayant remporté des appels d’offre, ont effectué des travaux de rénovation des infrastructures scolaires. L’on peut également s’interroger sur l’inspection finale des travaux : a-t-elle eu lieu avant le versement de la retenue de garantie ? Il aurait tout autant été utile de savoir si l’attribution des contrats à ces firmes a été effectuée de gré à gré, ce qui habituellement ouvre la porte au favoritisme et à diverses formes de malversation. Il en est de même des sommes injectées dans les cantines scolaires : combien d’élèves ce programme que l’on dit d’envergure nationale a-t-il permis de rejoindre ? A-t-il donné la priorité aux produits locaux de proximité et permis l’embauche d’une main-d’œuvre locale ? Et sur quels critères le FNE s’est-il basé pour attribuer 1 500 bourses scolaires de l’ordre de 286 $ en moyenne annualisée sur 5 ans (190 333 Gourdes1 428 $ US) ? Dans un pays qui compte environ 3 millions d’enfants en cours de scolarisation, comment expliquer que le FNE n’ait accordé que 286 $ en moyenne annualisée pour 1 500 bourses scolaires au modeste montant de 190 333 Gourdes (1 428 $ US) ?

En référence au scandale des détournements de fonds au PSUGO –programme lui aussi créé par le PHTK néoduvaliériste mais dénoncé par les enseignants et vilipendé dans un premier temps par l’ex-ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat qui, dans un second temps, l’a reconduit dès son retour à la direction du ministère de l’Éducation nationale en novembre 2022–, quelles sont les données vérifiables relatives à ces 1 500 bourses scolaires ? S’agit-il de bourses scolaires zonbis, comme il y a eu en quantité industrielle au PSUGO, s’agit-il d’écoles zonbis, de directeurs d’écoles zonbis, de professeurs zonbis et de chèques zonbis ? (NOTE – Sur la vaste entreprise de détournement de fonds qu’est le PSUGO, voir notre article « Le système éducatif à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO », journal Le National, Port-au-Prince, 24 mars 2022 ; voir également les articles « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (parties I, II et III) – Un processus d’affaiblissement du système éducatif », Ayiti kale je (Akj), AlterPresse, 16 juillet 2014. Voir aussi sur le même site, « Le PSUGO, une catastrophe programmée » (parties I à IV), 4 août 2016. Voir enfin l’article fort bien documenté « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », par Charles Tardieu, Port-au-Prince, 30 juin 2016). Dans notre article du 24 mars 2022 publié en Haïti dans le journal Le National, Le système éducatif à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO, nous avons mentionné les liens qui existent entre le PSUGO et le Fonds national de l’éducation comme suit : « Selon un rapport du ministère de l’Éducation acheminé le 22 décembre 2014 au journal Le Nouvelliste et qui présente, semble-t-il, « le bilan annuel des deux (…) exercices 2011-2012 et 2012-2013, le PSUGO est financé essentiellement grâce au Fonds national pour l’éducation (FNE), à hauteur de 1,9 milliard de gourdes, et du Trésor public, à hauteur de 800 millions de gourdes, pour un total de 2,7 milliards de gourdes ». Il est fort révélateur que deux institutions majeures du système éducatif national haïtien, le FNE et le PSUGO, soient pareillement et pour les mêmes motifs dénoncées par les enseignants, les syndicats d’enseignants et des observateurs indépendants en raison de leur gestion financière opaque et de leurs mécanismes opaques d’attribution et d’exécution de projets.

La seconde partie du tableau 1 présente le montant total, par catégories, des « Frais administratifs annuels » du Fonds national de l’éducation. Ces frais administratifs (80 800 000 Gourdes, soit 606 015 $ US) sont extrêmement élevés pour un organisme autonome rattaché à un ministère, celui de l’Éducation nationale. Mais ce qui interpelle avant tout l’observateur, c’est la pléthore du personnel en poste au bureau (7 personnes) et au cabinet du Directeur du FNE (17 personnes). Cette pléthore est en lien avec les vieilles et complexes pratiques de favoritisme et de népotisme, deux des visages de la corruption dans l’Administration publique haïtienne. Habituellement le favoritisme et le népotisme servent à « récompenser » ceux que l’on désigne par l’expression des « ayant droit du système » et qui servent de courroie de transmission des opérations de détournement de fonds publics.

Le deuxième tableau, « Fonds national de l’éducation / Banque de la République d’Haïti : frais perçus sur les transferts privés internationaux / 2011-2018 », est lui aussi fort instructif. Il atteste d’une part une nette augmentation de juin 2012 à juin 2018 du nombre de transferts, soit 7 431 à 16 062. D’autre part il atteste une nette augmentation de plus du double des frais perçus en milliers de dollars US, de juin 2012 à juin 2018, soit 11 146 à 24 093. Pareille augmentation se traduit par l’ample progression du montant total des frais perçus, qui passent de 11 146 à 115 690 milliers de dollars US. En raison de la forte dégradation de la crise économique de 2018 à 2024, il est loisible de poser que durant cette période le volume de transferts d’argent vers Haïti a considérablement augmenté. Il en est résulté que les frais perçus sur les transferts privés internationaux ont augmenté de manière significative passant, en toute bonne hypothèse indicative, de 24 093 à 48 000. Pareille augmentation est en lien direct avec le poids économique énorme des transferts de la diaspora haïtienne vers Haïti comme l’atteste un document officiel de la Banque de la République d’Haïti daté de novembre 2019 : « Transferts de la diaspora et taux de change réel : le cas d’Haïti ». Ainsi, « (…) les transferts sans contrepartie vers Haïti ont presque décuplé entre 1998 et 2018 alors que leur poids par rapport au PIB est passé de 8,8% à 32,5% sur la même période. Ils sont désormais, de loin, la principale source de devises du pays, soit 3,6 fois la valeur des exportations, 10 fois celle des flux d’aide au développement et 37 fois le montant des investissements directs étrangers ». Selon la « Balance des paiements 2024 » de la Banque de la République d’Haïti (BRH) et le rapport « Les comptes économiques en 2024 » de l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (IIHSI), les envois de fonds des travailleurs de la diaspora « ont franchi la barre de quatre milliards de dollars cette année : 4 111 milliards contre 3 753,25 –soit une hausse significative de 9,5% ».

Le présent article actualise –en prenant appui sur des références documentaires pertinentes et vérifiables–, le fléau du népotisme et de la corruption dans le système éducatif haïtien. Ce qui a caractérisé le népotisme et la corruption ces douze dernières années, ce n’est pas tant leur nouveauté et leur ancrage dans le corps social haïtien. Dans le droit fil de la soi-disant « révolution économique » décrétée par la dictature des Duvalier père et fils, le népotisme et la corruption ont été modélisés au titre de la gouvernance administrative et politique de l’État haïtien par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. La modélisation du népotisme et de la corruption s’est structurée au creux de l’impunité selon les mécanismes du « Règne de l’impunité » –nous empruntons ici le titre du remarquable docu-film du cinéaste Arnold Antonin. C’est précisément parce que la « métastase de l’impunité » –dans un pays qui n’a toujours pas mis en route sa déduvaliérisation, trente-huit ans après la promulgation de la Constitution de 1987–, a envahi la totalité de la société haïtienne que le népotisme et la corruption ont pu atteindre un si profond niveau de prégnance et être banalisés dans la vie de tous les jours en Haïti. Les effets directs, politiques et structurels de la conjugaison « métastase de l’impunité » + népotisme + corruption sont aujourd’hui repérables dans tous les secteurs d’activités au pays, en particulier dans le secteur de l’éducation où sont scolarisés plus de 3 millions d’élèves. Le cri d’alarme de l’ONU –« Haïti : la crise éducative sur le point de devenir une tragédie (ONU) »–, que nous reproduisons intégralement ci-après en témoigne avec clarté.

L’aggravation de la crise politique actuelle et la violence des gangs auront un impact beaucoup plus dévastateur sur la scolarisation des enfants en 2025-2026…

Tout indique que la crise politique actuelle et la violence des gangs armés continueront de s’aggraver et d’impacter davantage la situation amplement précaire des élèves à travers le pays. En effet, le PHTK néo-duvaliériste mène actuellement une sorte de « guérilla kleptocratique » contre le Conseil présidentiel de transition (CPT) dans le but avoué de reprendre le pouvoir ou, au minimum, de paralyser l’action déjà lourdement précaire du fragile gouvernement du Premier ministre Didier Fils-Aimé… La stratégie adoptée par le PHTK est la suivante : imposer la fédération des gangs connue sous le nom de « Viv Ansanm » comme interlocuteur national et auprès de la Caricom en vue d’une soi-disant « résolution » de l’actuelle crise politique…

Ainsi, « Le président du PHTK Liné Balthazar, membre du Collectif des partis du 30 janvier, a tenu des propos polémiques à la Radio Magik 9 vendredi 10 janvier 2024 quand il a évoqué la possibilité pour le groupe criminel « Viv Ansanm » de faire partie de la solution pour une reconfiguration du Conseil présidentiel de transition (CPT). Dans le document, il est clairement mentionné « Viv ansanm » comme un des adhérents à la proposition.

« C’est une position qui fait grand scandale en Haïti. Le groupe criminel « Viv Ansanm » occupe les débats après une entrevue fracassante de Liné Balthazar, responsable du parti PHTK. Lors de cette entrevue [à la Radio Magik 9 vendredi 10 janvier 2024], l’homme politique a confirmé que « Viv ansanm » a adhéré à la proposition préconisant une reconfiguration du Conseil présidentiel de transition. Certains se demandent comment un groupe criminel peut se trouver au centre des débats dans un contexte pareil. (…) « Ne nous mentons pas. Toutes les organisations internationales impliquées dans l’aide humanitaire en Haïti, quand elles veulent aller à Cité Soleil ou à la Croix-des-Bouquets, demandez-leur à qui elles s’adressent ? Il faut cesser cette hypocrisie. Les ambassades interagissent avec les groupes armés », a tenté de justifier Liné Balthazar face à l’animateur de l’émission visiblement choqué, comme pour souligner la pertinence de la présence d’un groupe comme Viv Ansanm. « Il y a un phénomène de groupes armés illégaux dans le pays, il faut de façon adulte et pragmatique résoudre ce problème. Personne ne va le faire à notre place », poursuit M. Balthazar. Aussi, selon le responsable politique, il y a déjà « de fait une cohabitation entre le CPT qui dirige à Pétion-Ville et le haut de Delmas et les gangs qui contrôlent le territoire. » Contrairement à Liné Balthazar, André Michel se montre catégorique sur la question de Viv Ansanm. « Notre position est claire depuis toujours : pas de dialogue avec les GANGS ! Pas de négociation avec les GANGS ! Les Gangs, il faut les écraser ! Il Faut arrêter les mensonges ! Nous n’aurions jamais accepté de signer un document avec des criminels, et ceci, même au péril de notre vie! », a écrit André Michel sur X (anciennement Twitter). (…) « L’accord du 21 décembre endosse pleinement les 3 scénarios contenus dans le document envoyé à la CARICOM pour le redressement du CPT, délégitimé et discrédité par le scandale de la BNC. Nous attendons les discussions avec les parties prenantes haïtiennes », a-t-il poursuivi.

Dans le document soumis à la rédaction, il est clairement mentionné le nom de « Viv ansanm ». Dans le document, il est formellement précisé que « Viv ansanm » soutient la proposition. Le groupe criminel se retrouve aux côtés d’autres structures politiques comme ASE, Réveil et ses alliés, Collectif 4 décembre, Force louverturienne qui soutiennent la proposition. La position de ces partis révolte au plus haut point le président du CPT, Leslie Voltaire, qui a vivement condamné le document transmis à la CARICOM. Sur X (anciennement Twitter), il qualifié cette initiative d’« alliance inacceptable », estimant que l’association de certains secteurs avec « Viv Ansanm » constitue une menace pour la République. 

« Selon Leslie Voltaire, cet acte marque un éloignement flagrant « des principes républicains », « trahit la mémoire des victimes et porte atteinte à note souveraineté ». M. Voltaire a même appelé à ce que les auteurs de cette initiative soient traduits en justice.

Ce débat ne plait pas non plus à Pierre Espérance interviewé par le Miami Hérald. « En aucun cas, les gangs n’aideront jamais à résoudre la crise de la sécurité », a déclaré Pierre Esperance, responsable du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). Selon lui, impliquer les chefs de gangs dans un accord politique « c’est renforcer l’impunité et les légitimer. » Liné Balthazar du PHTK provoque un tollé après ses propos jugés « complaisants » envers le groupe criminel « Viv Ansanm ». (Source : « Liné Balthazar du PHTK provoque un tollé après ses propos jugés « complaisants » envers le groupe criminel « Viv Ansanm », Gazette Haiti News, 13 janvier 2025.)

Haïti : la crise éducative sur le point de devenir une tragédie (ONU)

Source : NATIONS UNIES / ONU Info

Document diffusé le 26 juillet 2024 Culture et éducation

« La « crise éducative » qui se déroule actuellement à Haïti est sur le point de devenir « une tragédie éducative », ont alerté vendredi l’UNICEF et le fonds Éducation sans délai.

« Alors que les taux de scolarisation étaient déjà bas avant la dernière escalade de violence, les fermetures d’écoles et les déplacements de masse privent ainsi des milliers d’enfants de leur opportunité d’apprendre, a mis en garde le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

Cet avertissement intervient alors que le Fonds mondial de l’ONU pour l’éducation dans les situations d’urgence (Éducation sans délai), et les partenaires stratégiques des Nations Unies, ont annoncé l’octroi d’une subvention d’urgence de 2,5 millions de dollars lors d’une mission de haut niveau dans ce pays des Caraïbes.

« Nous ne pouvons tourner le dos aux enfants en Haïti qui ont vu leurs droits humains bafoués par des actes de violence. L’accès à l’éducation est essentiel pour les protéger des risques de violence sexuelle, de recrutement dans des groupes armés et d’autres violations », a déclaré Yasmine Sherif, Directrice générale d’Éducation sans délai.

Il s’agit d’une nouvelle bouffée d’oxygène qui porte le financement total du Fonds à près de 16 millions de dollars.

« L’UNICEF est reconnaissant à Éducation sans délai pour son soutien continu et son engagement à garantir que chaque enfant en Haïti ait accès à un apprentissage de qualité et en sécurité », a déclaré dans un communiqué, Bruno Maes, Représentant de l’UNICEF en Haïti.

Écoles fermées ou utilisées comme sites pour les déplacés

Haïti connaît des niveaux de violence et de brutalité sans précédent de la part de coalitions de groupes armés. Les impacts du changement climatique, des cyclones récurrents et du tremblement de terre le plus récent aggravent encore la situation.

Au total, près de la moitié de la population haïtienne –environ 5,5 millions de personnes– a besoin d’une aide humanitaire, et 5 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Près de 580 000 personnes sont déplacées à travers le pays, soit une augmentation de 60 % depuis la fin de février.

Les groupes armés ciblent les écoles et les hôpitaux, et des rapports inquiétants font état de formes impitoyables de violence sexuelle, y compris des viols collectifs. Les Nations Unies estiment que 30 % à 50 % des membres des groupes armés pourraient être des enfants.

Le volet éducation estime que 1,2 million d’enfants en âge scolaire ont un besoin urgent d’une éducation de qualité. Les écoles sont fermées ou utilisées comme centres de déplacement dans tout le pays.

Plus de 900 écoles fermées à Port-au-Prince et dans l’Artibonite

L’ONU estime que plus de 900 écoles sont fermées dans les départements de l’Ouest (qui abrite la capitale Port-au-Prince) et de l’Artibonite. Cela signifie que 10 % de toutes les écoles sont fermées dans ces zones.

Malgré ces besoins urgents, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) estime que les 30 millions de dollars nécessaires pour la réponse éducative dans le cadre du Plan de réponse humanitaire du pays ne sont financés qu’à hauteur de 27 %.

En attendant, la subvention d’urgence de 2,5 millions de dollars d’Éducation sans délai permettra d’assurer un accès vital à une éducation de qualité aux filles et garçons touchés par la montée de la violence, de l’insécurité et des déplacements forcés qui mettent des millions d’enfants en danger.

Ne pas tourner le dos aux écoliers haïtiens

La subvention de 12 mois sera mise en œuvre par l’UNICEF en collaboration avec le Programme alimentaire mondial (PAM) et d’autres partenaires locaux et internationaux. Le programme innovant atteindra près de 75 000 enfants et adolescents dans les départements durement touchés de l’Ouest et de l’Artibonite.

« Les dirigeants mondiaux ne doivent pas tourner le dos aux filles et aux garçons en Haïti. Ces enfants, enseignants et familles ont vu leurs droits humains et leur dignité humaine bafoués par des actes de violence, de désordre et de chaos », a affirmé dans un communiqué, Yasmine Sherif, Directrice générale d’Éducation sans délai.

L’investissement comprend des transferts monétaires innovants, des incitations pour la rentrée scolaire, des programmes d’alimentation scolaire, l’éducation de la petite enfance, l’inclusion du handicap, des approches transformatrices en matière de genre, du soutien en santé mentale et psychosocial, des activités de sensibilisation à l’environnement et d’autres offres éducatives holistiques conçues pour garantir que les filles et les garçons aient accès à des environnements d’apprentissage sûrs et protecteurs ».

Annexe 1

« Haïti : la crise persistante et brutale a un impact dévastateur sur les enfants » (ONU)

« La « crise éducative » affecte très lourdement l’ensemble des apprenants en cours de scolarisation dans le système éducatif national, élèves et étudiants, comme en font foi les enquêtes de terrain conduites par des institutions haïtiennes et les organisations internationales. Les élèves et les étudiants font désormais partie des « réfugiés de l’intérieur », obligés de fuir leurs lieux habituels de vie et de scolarisation en raison de la violence des gangs armés, et un nombre indéterminé d’entre eux sont recrutés ou embrigadés de force par les gangs violents.

Ainsi, « Alors que la violence armée en Haïti ne cesse de s’intensifier, les enfants se trouvent au cœur de la crise et [sont] particulièrement vulnérables face aux bandes armées qui tentent de contrôler et de terroriser les communautés, a averti lundi la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés. Selon Mme Gamba, les enfants en Haïti ont été confrontés à des violations croissantes de leurs droits au cours des derniers mois, alors que le pays est témoin de niveaux sans précédent de brutalité et d’anarchie aux mains des éléments armes. « Les enfants sont utilisés par les gangs armés en Haïti et nous sommes témoins de certaines tendances récentes inquiétantes, notamment l’utilisation de la violence sexuelle, y compris le viol et le viol collectif, comme arme de guerre par les gangs », a déploré Virginia Gamba dans un communiqué. (…) Des bandes armées ont pris pour cible des hôpitaux, des centres de santé et des écoles à Port-au-Prince et ailleurs. Depuis le début de l’année, plus de 300 000 enfants n’ont pas eu accès à l’éducation, les écoles ayant été fermées, attaquées ou transformées en abris temporaires pour les personnes déplacées. Les tendances récentes en Haïti concernant les violences sexuelles à l’encontre des enfants, en particulier des filles, sont très alarmantes, avec une augmentation de plus de 1000 % en 2024 par rapport à 2023, selon des chiffres vérifiés des Nations Unies. (…) —Un tiers des membres des gangs ont moins de 18 ans– Environ 2,7 millions de personnes, dont 1,6 million de femmes et d’enfants, vivent dans des zones contrôlées par des bandes armées. (…) L’ONU estime qu’entre un tiers et la moitié des membres de gangs armés sont des enfants, c’est-à-dire des personnes âgées de moins de 18 ans » (source : ONU Info : « Haïti : la crise persistante et brutale a un impact dévastateur sur les enfants », 11 novembre 2024).

Annexe 2

Le système éducatif haïtien face à la violence armée et à l’instabilité sociopolitique

« En 2018, environ 500 000 enfants âgés de 6 à 12 ans n’étaient pas scolarisés en Haïti. Dans la tranche d’âge 5-15 ans, un million d’enfants n’avaient pas l’accès à l’éducation. En 2019, le rapport Ocha soulignait que 1 236 000 femmes et enfants étaient dans le besoin à cause des crises sociopolitiques et économiques résultant de l’intensification des conflits armés dans le département de l’Artibonite et dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. En janvier 2024, le nombre de familles déplacées était passé de 200 000 en novembre 2023 à environ 314 000 et, parmi les personnes déplacées, 172 000 étaient des enfants. De nombreuses écoles servent d’abris provisoires pour les familles déplacées, alors que d’autres établissements scolaires ont été séquestrés et pillés par les gangs armés. Par conséquent, les élèves et les jeunes déplacés sont privés de leur droit à la scolarisation et à la formation, les personnels éducatifs (directeurs d’école, enseignants, cadres administratifs, professeurs d’universités…) abandonnent leurs quartiers résidentiels à cause des menaces des gangs, et ceux et celles qui en ont les moyens, même très modestes, se dirigent vers un pays étranger, notamment les États-Unis et le Mexique. Cette situation entrave non seulement l’accès à l’éducation et la gestion du système éducatif, mais aussi l’accès aux services sociaux de base tels que la santé, l’alimentation, le logement et l’hébergement » (Audyl Corgelas : « Le système éducatif haïtien face à la violence armée et à l’instabilité sociopolitique », Revue internationale d’éducation de Sèvres, no 96, septembre 2024).

Montréal, le 21 janvier 2025

(*) Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue, Conseiller spécial du Conseil national de direction du REPUH
(Réseau des professeurs d’universités d’Haïti)