Environnement. Le parc national, nouvellement créé, privilégie les orpailleurs aux populations.
Par Eliane Patriarca
Après quinze ans de gestation, le Parc de Guyane va voir le jour : le décret de création a été publié au Journal officiel le 28 février. Grand comme la Belgique, avec 3,39 millions d’hectares, le huitième parc national français s’étend sur l’un des derniers massifs tropicaux forestiers encore relativement intacts. Sa création devrait être accueillie avec enthousiasme. Pourtant, c’est une avalanche de réactions négatives de la consternation à la colère qu’elle suscite. Motif : le parc, dont la mission est de protéger l’environnement, mais aussi les populations vivant dans la forêt guyanaise, a «oublié» les Amérindiens du Haut-Maroni. Au profit du lobby des orpailleurs.
Le Parc de Guyane se compose, selon la loi de 2006 qui a réformé le statut des parcs nationaux, de deux types d’espaces : la «zone coeur», très protégée, où ne sont autorisées que les activités de subsistance des populations autochtones (chasse, pêche, cueillette) ; et la zone de «libre adhésion», où sont autorisées les activités industrielles, et donc la recherche d’or.
«Mépris». Afin d’être protégés des ravages de l’orpaillage gangrène de la Guyane, synonyme de violence, de criminalité, de pollution des fleuves et des sols, de paludisme , les Wayanas avaient demandé, en octobre 2006, lors de l’enquête publique, à «bénéficier de la proximité du coeur du parc». Mais leur revendication n’a pas été entendue : les villages de Elahé, Cayodé, Twenké ou Antécume-Pata se retrouvent en zone de libre adhésion. «Les conclusions des commissaires enquêteurs suggéraient à l’Etat de donner suite aux revendications des Amérindiens ; mais celles-ci n’ont finalement pas été retenues», remarque l’ONG Survival International, déplorant «le mépris avec lequel ont été traitées les populations amérindiennes de Guyane».
«C’est une trahison. Le lobby minier l’a emporté. L’Etat n’a pas tenu compte de la demande des plus faibles», dénonce Brigitte Wyngaarde, chef coutumier du village de Balaté et membre du collectif des Amérindiens du Haut-Maroni. L’orpaillage va désormais être légalisé sur les terres des Wayanas…»
Au ministère de l’Ecologie, Philippe Caron, conseiller de Nelly Olin pour la biodiversité et les paysages, temporise. «La revendication des Wayanas est intervenue tardivement, durant l’enquête publique. Après la délibération de la commune de Maripasoula, dont dépendent les Wayanas. Or, la commune a choisi de ne pas faire partie du coeur du parc. Pour prendre en compte la demande des Amérindiens, il aurait fallu procéder à une nouvelle enquête publique, une nouvelle délibération des communes. On n’aurait pas pu créer le parc, en projet depuis 1992, avant la présidentielle… Au risque qu’il ne voit jamais le jour !»
Du côté des anthropologues qui ont travaillé durant trois ans comme experts auprès de la mission pour la création du parc, la colère et l’amertume dominent. Francis Dupuy a claqué la porte l’été dernier pour éviter de cautionner la version finale du parc. «Les Wayanas attendaient du parc qu’il les protège de l’orpaillage et de ses multiples méfaits. Ce ne sera pas le cas. L’inquiétude est grande quant à l’avenir de cette communauté.»
«Trahis». Membre du comité de pilotage pour la création du Parc de Guyane, l’anthropologue Françoise Grenand est, elle aussi, consternée : «Le parc a trahi ses promesses. Il ne reflète aucunement les recommandations des membres du comité de pilotage qui, tout au long du processus d’élaboration, ont été manipulés, tout comme les populations locales.» Et Françoise Grenand d’expliquer : «On nous a fait travailler durant tout l’avant-projet sur une carte, alors que la « vraie », celle du tracé final, circulait à notre insu dans les ministères, dans le syndicat des orpailleurs, à la direction régionale de l’industrie et de l’environnement. Nous avons été dupés !»
Au ministère de l’Ecologie, Philippe Caron se félicite du «renforcement depuis 2003 de la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, avec la multiplication des opérations Anaconda sur les chantiers clandestins et la coopération qui s’est mise en place dans ce domaine avec le Brésil».
Sur le terrain, les choses sont ressenties différemment. Amer, l’anthropologue Francis Dupuy résume : «C’est toujours le Far West !» Benoît de Thoisy, responsable scientifique de Kwata, association de protection de la nature (spécialisée dans la faune), de retour d’une mission d’inventaire au coeur du futur parc, décrit «des criques davantage orpaillées qu’il y a trois mois, des échanges de coups de feu entre légionnaires et orpailleurs, des pasteurs évangélistes brésiliens envoyés par les orpailleurs et qui prêchent la « bonne parole » dans des familles amérindiennes, des pirogues avec des chargements de gasoil et de prostituées…». Ambiance minée, donc, pour la première réunion du conseil d’administration du parc, lundi à Cayenne, en présence de la ministre de l’Ecologie, Nelly Olin.
© Libération jeudi 8 mars 2007