— À Cayenne, Guillaume Reuge —
Subie ou choisie, l’économie informelle est multifactorielle en Guyane et représenterait un quart du PIB de ce territoire français aux usages sud-américains. Un système parallèle de références qui ne concerne pas que les marginaux de la société.
C’est 2 € la mangue. » Protégé de la pluie par un parasol, Kerwin1, 52 ans, vend sur le bord d’un axe routier fréquenté de Cayenne, ville capitale de la Guyane, quelques fruits cueillis à proximité. Comme d’autres habitants du quartier informel de la Source de Baduel, situé à deux pas, Kerwin « jobbe » (travaille) pour nourrir sa famille. Sans papiers en règle, difficile pour lui de trouver un emploi déclaré.
Comme Kerwin, arrivé d’Haïti il y a huit ans, 15 % des 300 000 habitants de Guyane seraient dans cette situation « d’informel par défaut, pour une question de survie », selon le géographe de l’université de Reims, Olivier Piantoni, qui a travaillé sur les stratégies d’intégration des immigrés en Guyane. « 33 % de la population est étrangère d’après l’Insee et parmi ces 33 %, la moitié est en situation irrégulière. Alors on n’attend pas l’État, on se débrouille sans lui. »
BTP, espace vert, esthétique, métiers de bouche, garde d’enfants… Les « jobbeurs » sont présents dans de nombreux secteurs de l’économie, tournée vers les services et la consommation. « Mais attention, ce ne sont pas deux mondes, l’informel et le formel, qui s’opposent. Les deux sont imbriqués, poreux, au sein de la société guyanaise », avise Philippe Cambril, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie de la Guyane.
« Les salaires ne sont pas très élevés et la vie très chère (40 % de plus que dans l’Hexagone en moyenne), donc beaucoup de salariés travaillent au noir en complément de leurs revenus : vendent des gâteaux aux collègues ou utilisent la pelleteuse de l’entreprise le week-end. »
Un système social historique
Des actions collectives sont mêmes organisées : les mayouri. « Tu invites des amis pour nettoyer une surface, construire quelque chose. Tu payes de quoi manger, le carburant et après, avec le bouche-à-oreille, ils sont rémunérés par d’autres personnes pour des petits travaux. C’est comme cela que fonctionne l’informel », raconte Yannick Xavier, secrétaire général de l’Union des travailleurs guyanais, le plus important syndicat local.
« Le bouche-à-oreille, le mayouri, c’est millénaire chez nous. L’informel, c’est un mode de vie ici, c’est dans nos mœurs de faire du troc, de ne pas tout monétiser. Or l’État veut formaliser tout cela », regrette Yannick Xavier. En Guyane, la construction sociale favorise le réseau comme mode de relation, dans une forme d’autogestion historique, aujourd’hui aussi symptomatique d’un manque de confiance voire d’une défiance envers l’État.
Loin de Cayenne et ses administrations, « l’informel est la norme sur le Maroni », raconte Eric Tani, entrepreneur à Maripasoula, une commune de ce fleuve frontalier qui sépare la Guyane du Suriname. « Pourquoi se mettre en règle quand on voit ce que ça apporte ? L’État est dysfonctionnel. »
Emploi, habitat, relations sociales… La Guyane est dans « un système global d’informalité », selon Olivier Piantoni. « La logique formelle de l’État aura du mal à se mettre en place car ici les usages sont sud-américains, les systèmes de références différents. L’informel est aussi une manière de vivre. Il faut maîtriser les rouages pour monter une entreprise. »
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