— Par Marion Briswalter —
En Basse-Terre, à cause d’éboulements sur le littoral qui menacent la vie d’habitants, une opération de relocalisation a démarré. Mais à Petit-Bourg, sur 60 foyers « prioritaires », seuls sept résidents ont accepté de partir. Reportage.
Guadeloupe, correspondance.– « J’ai 69 ans, j’ai travaillé toute ma vie, et à ma retraite ils me délogent. Je vois le danger, je le sens, mais je ne me sens pas prête à sortir », confie Roberte, en se tressant les cheveux debout sous l’auvent de sa maison. Cette habitante de la rue Bel-Air, dans la commune de Petit-Bourg en Basse-Terre, fait partie de ceux qui doivent quitter leur domicile à cause du risque d’effondrement de falaise.
Elle se souvient qu’an tan lontan (il y a longtemps) pour « se baigner » en contrebas de chez elle, elle cheminait à travers les amandiers, sur une pente douce. Désormais, c’est agrippée sur ce terrain accidenté et écumeux qu’elle gagne le contrebas. Le quartier Bel-Air, familial et convivial, qui a vu les enfants grandir et remonter les filets pleins de poissons, vit un vrai chamboulement. Certains logements y faisaient l’objet depuis 2005 d’arrêtés portant interdiction d’habiter. Depuis le jardin de Bertine*, quatre décennies de présence, on ne distingue plus si les fondations de son foyer reposent encore sur terre. « Avant il y avait la cuisine, mais j’ai changé l’aménagement car la maison descend », montre cette créole de 66 ans qui a vidé de ses meubles le fond du logis, comme pour alléger cette maudite proue.
Sur les murs, les fissures courent comme autant de mises en garde. Bertine fait partie des sept riverains (d’après les chiffres de la mairie) qui ont sauté le pas : elle a signé un contrat qui l’engage à quitter les lieux pour un appartement standardisé de la Semsamar, un des bailleurs sociaux de l’archipel. En contrepartie, elle touchera une indemnisation (20 000 euros) pour son bien actuel, construit sans droits ni titre, ainsi qu’une aide de 32 000 euros (du fonds de prévention des risques naturels et majeurs). À l’issue de 25 années de location (387 euros mensuels), cette grand-mère, par ailleurs éligible à l’allocation logement, acquerra le quatre pièces.
En Basse-Terre, sur la côte au vent, l’écroulement de falaises urbanisées est l’un des problèmes majeurs qui guettent. Ce risque est « important à court et long termes et ça devrait s’aggraver à cause de l’intensification des cyclones notamment », confirme Ywenn de la Torre, directeur régional du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
L’instabilité du littoral trouve son origine dans la formation géologique des falaises des communes de Goyave à Trois-Rivières. Ces roches « volcaniques potentiellement assez altérées avec des couches savons vont générer des glissements, favorisés par les infiltrations, les pluies, la houle, etc. », explique Ywenn de la Torre, qui rappelle que « toute falaise est amenée à reculer, mais ce qui va faire la différence, c’est ce qu’il y a au-dessus : des habitations, des zones naturelles ou agricoles ».
Petit-Bourg, la plus vaste et l’une des plus peuplées des communes guadeloupéennes (30 000 habitants), se retrouve ainsi au cœur des expérimentations de mise à l’abri d’habitants soumis à la pression des inondations et au recul des façades maritimes, menées dans différentes régions de France (lire notre Boîte noire).
Dans trois quartiers (Bel-Air, Bovis et Pointe-à-Bacchus), 91 constructions, dont une majorité construites sans autorisation ni titre foncier, présentent un « risque naturel grave et prévisible menaçant les vies humaines », selon Virginie Klès, secrétaire générale de la préfecture de la Guadeloupe. Les « situations individuelles devraient toutes avoir trouvé une solution » avant la « fin 2020 », ajoute-t-elle.
La première phase de l’opération de relocalisation concerne « 60 foyers prioritaires » selon la mairie de Petit-Bourg, sachant qu’une première estimation du coût (relocalisation et démolition) pour trente foyers avait été arrêtée à 1,7 million d’euros.
D’autres options sont actuellement discutées entre les autorités et les habitants, comme « un relogement dans une résidence pour seniors ou dans un logement locatif, ou bien l’indemnisation du bâti sans relogement », selon la préfecture. À la demande de certains citoyens, la possibilité de « vente de terrains vierges a été envisagée », mais « elle ne répondait pas totalement aux attentes ni aux moyens des occupants du site », affirment les services de l’État.
« Je veux bien partir mais pour être bien, pas pour être coincée dans une kaloj a poul [cage à poule – ndlr] », prévient Roberte. « C’est la mer qui me fait dormir. Il faut habiter ici pour comprendre ce que je dis. »
Le déménagement vers un logement social sera d’autant plus douloureux qu’il s’accompagnera d’une déstructuration du quotidien : ne plus pouvoir accéder aux services de proximité pour des seniors qui se déplacent à pied, laisser derrière soi les souvenirs et la poétique de ce quartier créole bod lanmé (de bord de mer) où poussent moringas et courges sans entraves, et où la porte ajourée d’à côté est toujours ouverte.
« Je ne partirai pas, je ne suis pas en danger », tranche l’épicier « Monsieur Botom », institution du quartier, remonté après le gel de la procédure de régularisation de son bien il y a plusieurs années. « Les élus locaux s’étaient engagés à me céder le terrain, mais la zone est passée en aléa naturel fort et le préfet a dit que ce n’était plus possible. Donc on n’a pas pu acheter le terrain et maintenant on nous propose de nous indemniser à bas prix. » La mairie joue l’apaisement : « La dureté sociale, très forte depuis des années, est aujourd’hui largement atténuée suite aux relogements des sept premières familles sur le nouveau quartier de Saint-Jean. Après une année de concertation hebdomadaire avec les habitants, la prise de conscience du risque est désormais acquise à 70 %. »…
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