—Par Jean-Marie Nol, économiste —
A l’heure où l’enjeu de la transformation des institutions figure désormais dans chacune des prises de parole des élus et du gouvernement, la question centrale est très clairement de savoir s’il ne faut pas au préalable de mettre en œuvre un nouveau modèle économique en Guadeloupe avant toute modification institutionnelle pour mettre un terme au mal développement. Un changement de modèle économique et social implique une transition significative dans la manière dont une société fonctionne sur les plans économique et social. Cela doit nécessairement inclure des ajustements majeurs dans les structures économiques actuellement en cours, les politiques gouvernementales, les normes sociales, les valeurs culturelles locales et les comportements individuels, notamment le refus de la politique d’assistanat.
Ce changement peut être motivé par divers facteurs tels que des crises économiques, des évolutions technologiques, des changements démographiques, des mouvements sociaux ou des pressions environnementales. Et pour cause, aujourd’hui, nous y sommes et l’objectif doit être à présent de promouvoir la durabilité à l’aide de l’économie circulaire, l’inclusion sociale, l’équité sociétale, la relance de la croissance économique par la production locale, ou de répondre à d’autres défis et opportunités spécifiques à une époque donnée. Il peut être nécessaire d’adapter le modèle économique existant sans pour autant bouleverser au préalable les institutions pour répondre aux besoins locaux, encourager le développement productif durable et favoriser l’inclusion sociale. Et pour ce faire il faudrait mettre fin aux situations de monopole dans les outre-mer, et à ce sujet plusieurs mesures peuvent être envisagées, telles que l’encouragement de la concurrence en facilitant l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché grâce à l’accélération de l’intelligence artificielle et à des réglementations plus favorables aux incitations financières. De plus, il convient de renforcer la réglementation antitrust pour empêcher les pratiques anticoncurrentielles et les abus de position dominante, mais aussi et surtout promouvoir le développement de petites et moyennes entreprises locales dans les secteurs de la production de manière à diversifier l’offre de produits et encourager l’investissement de l’épargne des Guadeloupéens dans les créations d’entreprises pour stimuler la concurrence et favoriser l’innovation.
Evoquer la défense de la « souveraineté économique » dans le cadre d’une « économie sous serre » est-il pertinent à l’ère de la mise en chantier par le gouvernement et les élus locaux de l’évolution institutionnelle ?… la réponse est non car les enjeux de la responsabilité politique, s’ils ne sont pas encore clairement identifiés, ne sont toutefois pas encore reconnus par les acteurs économiques. Et là la problématique de l’évolution institutionnelle de la Martinique est radicalement différente de celle de la Guadeloupe qui ne dispose pas des entreprises fortement capitalisées qui dominent le marché Martiniquais et encore plus est en position dominante en Guadeloupe. Dans ce contexte, la différenciation s’avère indispensable, car c’est la résultante dune histoire différenciée sur les plans ethnographique, anthropologique et économique. Quoiqu’il en soit, l’évolution des modes de gouvernance dans tous les cas de figure va néanmoins maintenir le pouvoir des anciens acteurs économiques, voire le renforcer sur les deux îles. Ceux-ci mettent désormais en jeu la responsabilité des entreprises capitalistiques martiniquaises et de la France hexagonale dans la vie chère devant l’opinion publique Guadeloupéenne. C’est compris maintenant par le gouvernement qui s’apprête à lancer une initiative pour identifier et combattre les monopoles économiques dans les territoires d’outre-mer, qui engendrent des « prix excessivement élevés ».
« Nous allons proposer aux élus locaux des Antilles de collaborer pour combattre ces monopoles, car là où les monopoles prédominent, les prix flambent, et ces prix élevés affectent la vie quotidienne des personnes qui peinent à s’en sortir », a déclaré Gérald Darmanin le ministre de l’Intérieur et de l’Outre Mer. De fait, Gérald Darmanin, le numéro 3 du gouvernement pense clairement que les monopoles créent de la frustration et alimentent les crises identitaires et revendications d’autonomie ou d’indépendance. Gérald Darmanin s’est voulu clair : « Je ne suis pas un socialiste révolutionnaire, mais je peux cependant constater qu’il y a des monopoles capitalistiques insupportables. Quelques familles, qu’elles soient extérieures aux territoires, ou de l’intérieur du territoire, qui organisent la non-concurrence. On ne peut pas accepter le monopole de la distribution, de la production (…) ».Le ministre en charge de l’outre-mer pense que l’accaparement des richesses par une petite minorité génère frustration sociale et radicalisme politique. En conséquence, la modernisation des régions d’outre-mer est compromise par des pratiques archaïques que le gouvernement juge injustifiables. Mais toute cette logorrhée ne relève-t- elle pas de l’enfumage quand on sait que les blocages au développement ne sont pas dû aux institutions mais sont d’ordre et de nature purement politique. Certainement s’agit -t- il d’une réaction politicienne face à ce mouvement irrépressible de la volonté maintes fois réitérés de responsabilisation de la sphère politique locale. Mais est-il possible politiquement et économiquement d’inverser ce mouvement dès lors que le postulat de départ est biaisé par l’idéologie et des intérêts occultes ? Et si oui, au profit de qui… ?
L’idée selon laquelle la départementalisation aurait démantelé les économies de comptoir des outre-mer est inexacte. Contrairement à certaines idées reçues, il n’existe guère historiquement d’économie « Guadeloupéenne », autre que de comptoir, ni à l’époque ancienne (la Guadeloupe faisant partie de l’Empire colonial français ), encore moins à l’époque moderne lorsque deux marchés dominent mais de manière totalement inégales : les marchés locaux et régionaux d’une part, et le commerce de longue distance avec la France d’autre part. A toutes ces époques, l’économie de la Guadeloupe n’a jamais été unifiée comme elle l’est de nos jours, mais elle demeure cependant éclatée dans ses fondements.
En vérité, cette dernière est une construction artificielle à la fois politique et économique qui relève en partie du XVIIe siècle et surtout du monde contemporain, à partir du XXe siècle, à un moment où la société de consommation se consolide après la deuxième guerre mondiale au moment de la période dite des 30 glorieuses. Cette dimension s’impose encore plus sur le plan idéologique et économique au siècle suivant avec l’affirmation de l’Etat providence et l’idée que les politiques économiques décrétées d’en haut pourraient réguler les puissances commerciales monopolistiques qui dominent le marché de la Guadeloupe, et interdisent tout développement économique fort basé sur la production locale. Alors une fois le constat établi, alors que pouvons-nous faire ? Une fois de plus n’hésitons pas à ruer dans les brancards de la bien – pensance et à remettre les choses en place. C’est désormais une obligation que de sortir des sentiers battus qui ont trop souvent cours en Guadeloupe. Il faut en finir avec cette fable de l’autosuffisance alimentaire et du piège du gouvernement français que recèle la volonté de modifier le dispositif de l’octroi de mer, ainsi que la notion de développement endogène et de responsabilités élargies des compétences sans vraisemblablement aucun nouveau transfert financier. Comme disait en son temps un homme politique de Guadeloupe, l’autonomie politique axé sur le développement endogène c’est « d’émerdez vous avec vos propres moyens fiscaux et financiers ».
Pour moi, il faut nécessairement inverser le processus de développement et pour ce faire il convient selon la logique de promouvoir un nouveau modèle économique et social basée sur l’agro-transformation alimentaire et le tourisme culturel. En d’autres termes, ne plus investir à perte dans un secteur à faible valeur ajoutée pour la Guadeloupe comme l’agriculture basée sur la canne et la banane, mais procéder à la modification financière de l’enveloppe des fonds européens ( POSEI ) et proposer aux acteurs économiques un nouvel environnement pour importer des denrées agricoles dans les pays à bas coût de main d’œuvre et pouvoir transformer ces produits en Guadeloupe dans des industries agro-alimentaire. Toute nouvelle façon d’aborder la problématique de la fiscalité devrait désormais reposer sur ce postulat de départ. Par ailleurs, compte tenu du réchauffement climatique et de l’urgence de protéger notre fragile biodiversité, il convient de bifurquer vers de nouvelles plantations de plantes de Sisal, et reboiser les terres chloredéconnés de manière à créer une véritable filière agroalimentaire, agrotouristique et sylvicole ( notamment avec les bois précieux comme le bois de rose, le Gaïac, et le mahogany, etc…)…
La liberté d’entreprendre et la responsabilité locale dans la pauvreté et la pénurie, cela ne marchera pas.On le voit bien aujourd’hui, les Guadeloupéens n’ont aucune confiance dans le pouvoir local des élus. Et cette confiance dans la gouvernance locale, clé de voûte du changement statutaire, ne pourra se construire que progressivement, avec force pédagogie, d’une part en donnant aux institutions actuelles des moyens pour développer des projets et non de la pénurie à répartir (pas facile de construire de la confiance dans ces conditions), d’autre part, en réfléchissant soigneusement à la structure des contre-pouvoirs ( conservation en l’état actuel des deux assemblées région et département ) au sein des institutions pour éviter le syndrome de la grenouille. Au delà de la force incontestable de l’assimilation qu’il serait tout à fait problématique de nier, et du risque en gestation de paupérisation des guadeloupéens (avec la flambée inflationniste et l’émergence des nouvelles technologies comme internet, la révolution numérique et l’intelligence artificielle qui sont en mesure de déchirer le tissu économique actuel ), en voulant inverser le processus, si on se place dans la conjoncture économique Française dégradée où les finances publiques sont au plus mal au point de gommer toute perspective de retour de la croissance forte des trente glorieuses.
En fait, je ne vois pas bien, comment des îles sans véritables ressources propres à ce jour comme la Guadeloupe et la Martinique pourraient vivre mieux avec plus de compétences locales, mais moins de recettes et plus de dépenses notamment sociales, et dans le même temps supporter une baisse inéluctable des moyens financiers en provenance de l’État ?…Ce qui se conçoit bien est porteur d’espérance et non de désespoir…. « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise…. (Citation de Jean Monnet )« ….là est notre crédo pour une ultime mise en garde sur le changement des institutions, et c’est pour ces motifs que nous devons de nouveau méditer cette citation suivante de Carl von Clausewitz : « Quand la supériorité absolue n’est pas possible, vous devez rassembler vos ressources pour obtenir la supériorité relative au point décisif. »
Jean Marie Nol économiste