— Par Jean-Marie Nol, économiste —
En dépit des rodomontades des élus locaux sur la question de la responsabilité, et des fausses apparences d’un pouvoir territorial , l’autorité de l’Etat, même bafouée , a encore de beaux jours devant elle . Désormais cela doit être dit et compris : soyons clairs, c’est l’Etat qui commande et nul autre ! En effet, le rôle de l’Etat est devenu majeur en Guadeloupe et en Martinique avec la crise du coronavirus. La question fait de plus en plus débat : la prééminence de l’Etat dans la gestion de la crise prévue pour les prochains mois sera-t-elle temporaire, illustrant un net rebond après la récession de l’économie engendrée par la Covid-19, ou persistera-t-elle, reflétant des facteurs durables d’entraînement de la société Antillaise ? Plusieurs arguments plaident en faveur d’une augmentation séculaire persistante du rôle de l’État français. Les effets de la révolution numérique en Guadeloupe et en Martinique vont altérer la structure de l’emploi et modifier en profondeur la société . De nouveaux emplois et de nouvelles familles d’emploi vont apparaître, d’autres disparaître ou ne seront plus viables, et les entreprises devront trouver les moyens d’organiser le travail et la production locale de manière différente, et là le rôle de l’État sera prépondérant dans la nouvelle définition des politiques publiques. Les Guadeloupéens et Martiniquais ne sont pas dupes quant à l’étendue des limites du véritable pouvoir de décision du conseil régional et de la CTM, c’est pourquoi l’abstention à la prochaine élection sera massive en raison du décalage entre la profusion des discours et la réalité du terrain.
Aux Antilles , les choses évoluent avec la crise du coronavirus sans qu’on n’y prête attention , car les guadeloupéens et surtout les martiniquais rétifs à se projeter dans l’avenir à l’aide de l’analyse prospective , ne se rendent pas compte que le pouvoir économique qui a pour objet d’influencer, d’encadrer, de limiter ou de contrôler le jeu des acteurs économiques appartient plus que jamais au premier chef à l’Etat français. C’est bien une danse à contretemps, qui se profile en coulisses, car c’est un rapport d’un organisme commun à l’Iedom, l’AFD et l’Insee qui l’affirme : les économies des Outre-mer, particulièrement des DOM, ont moins souffert des conséquences de la crise sanitaire que l’Hexagone. Le constat est sans appel : les départements et régions d’Outre-mer (DROM) apparaissent comme les territoires les moins affectés du fait du poids plus important du secteur non marchand dans leurs économies et de la mise en œuvre d’un dispositif massif d’aides .
Depuis lors, contre toute attente, l’État a pris le virage interventionniste, en palliant les manquements des élus locaux dans des domaines comme le manque d’eau dans les robinets, ou la gestion défectueuse des collectivités locales et en aidant les entreprises en difficulté avec des aides financières et des prêts . Une chose semble sûre: plus les déficits publics des collectivités locales explosent, plus le soutien financier sera important pour maintenir à flot les entreprises, et plus le poids de l’Etat se fera sentir dans l’économie guadeloupéenne et martiniquaise .
Nul doute que c’est une autre vision historique de la politique au temps long qui est en train d’émerger de cette crise du Covid 19 . La dynamique de la vie politique n’est plus alimentée par la querelle sur le statut, impliquant le débat sur nos rapports avec la France et l’Europe. Désormais, les divergences entre les formations politiques qui existent sur le territoire guadeloupéen et martiniquais sont beaucoup moins nettes. Les clivages idéologiques se sont estompés au fil du temps dixit un journaliste commentateur de la vie politique . Et pour cause, la France consacre 35 % de son PIB aux dépenses sociales publiques, record du monde et c’est loin d’être fini, crise du coronavirus oblige !
En effet, la crise sanitaire consacre le retour de l’État sur la scène non seulement économique et sociale, mais également politique . Elle s’est traduite ces derniers temps depuis l’ère du préfet Gustin en Guadeloupe (le gouverneur dixit certains commentateurs de la vie politique guadeloupéenne) par un dessaisissement du personnel politique local dont la parole est devenue inaudible, et une montée en puissance de l’État ainsi que de la société civile notamment sur la question de l’eau . Sans conteste, cette crise du Covid 19 consacre le retour, d’une certaine manière métamorphosée , de la question de l’évolution du rôle de l’État français , quelque peu occultée au cours de ces dernières années par un surinvestissement des élus locaux dans le champ des revendications identitaires.On ne peut pas promouvoir la responsabilité et en même temps entretenir le syndrome Tanguy aux Antilles ( Le phénomène Tanguy désigne un phénomène social selon lequel les jeunes adultes tardent à se séparer du domicile familial. Cette dénomination vient du film Tanguy, d’Étienne Chatiliez, dont le personnage éponyme s’enferme dans ce type de situation) où tout le monde doit tout attendre du papa-maman Etat. Cette infantilisation , est contre-productive. Pourtant, toute cette nouvelle puissance de l’Etat dans la sphère économique et sociale en Guadeloupe et en Martinique repose sur un équilibre fragile. En effet, la France danse désormais sur un volcan appelé Covid-19. La crise sanitaire et économise pèse lourd dans les finances de l’État. Elle impacte aussi le budget des communes, qui doivent gérer les nouvelles dépenses sociales. La crise provoquée par le Covid-19 va coûter 424 milliards d’euros à l’Etat sur trois ans. Le gouvernement a rehaussé sa prévision de déficit public de 8,5% à 9% du PIB pour cette année, après 9,2% l’an dernier. En conséquence, il va falloir faire très attention à un retour d’une politique d’austérité en 2022 /2023 avec la décision du gouvernement de ramener le déficit sous la barre des 3% du PIB .En 2018, l’Etat a dépensé l’équivalent de 54 % du PIB. Selon nos sources, ce taux devrait augmenter et atteindre 58,5 % du PIB en 2021.En foi de quoi une réduction de 6% des dépenses publiques /PIB devrait représenter une économie de 162 milliards d’euros pour le budget de l’Etat . Le manque à gagner financier pour les Antilles serait au bas mot de 4,7 milliards sur les six prochaines années. Cette situation de réduction du train de vie de l’Etat aura forcément des répercussions sur le niveau de l’investissement des collectivités locales.
En vérité, il y aura un sentiment d’usure dans la population. Les crises se sont superposées les unes aux autres pour aboutir à une situation détonante. Il y a la crise sanitaire, qui touche à des fondements de l’homme : la manière de vivre, la peur de la contamination pour nos aînés, la mort qui revient dans le paysage quotidien des familles… Il y a la crise économique et sociale, qui est là depuis des années mais qui est en train de prendre une dimension extrêmement importante avec la problématique de la dette publique, et va apparaître de plus en plus lisible : le monde d’après n’est pas un monde souriant. A cela s’ajoute une crise culturelle : comment fait-on France aujourd’hui ? La réponse n’est sûrement pas à partir d’un ensemble de communautés d’origine étrangères qui vivent –plus mal que bien – les unes à côté des autres et qui ne trouvent pas un véritable pacte civique et laïc ? Le sujet traverse les forces politiques et travaille dangereusement la société française. Pour reprendre la terminologie macroniste, le vieux monde a beaucoup de mal à se renouveler et à réexister. Le nouveau monde échoue à s’inventer. Mais sur la santé comme sur l’économie, les Français savent qu’il n’y aura pas de solution miracle. Ce n’est pas le cas sur la sécurité, où ils attendent des résultats et où le président est très attendu au tournant en 2022 . Sur la délinquance et les banlieues, l’opinion publique est exaspérée : elle veut du concret, sur une ligne assez dure. Il ne faut pas sous-estimer cette colère. Tout cela ressemble fort à ce qui s’était passé en 2002 avec Jean marie le Pen au second tour de la présidentielle . La thématique sécuritaire et de l’immigration s’annonce cruciale en 2022 et le duel promis entre Emmanuel Macron et marine Le Pen promet d’être épique, car la sortie de crise sanitaire et économique ne sera pas le seul enjeu de la présidentielle. Nul doute qu’un vent de fronde pourrait faire émerger un régime autoritaire en France. Cela fait beaucoup en même temps .
Rien ne va plus dans le pays de Descartes !… Ainsi 68 % des Français estiment que leur système politique a besoin de changements majeurs. 65 % des Américains émettent la même opinion. Mais seulement 47 % des Britanniques et 39 % des Allemands.
C’est ce que révèle une étude du think tank américain Pew Research Center, réalisée en décembre dernier. Une nouvelle preuve que les démocraties sont fatiguées. Pour illustrer ce
phénomène, au combien lourd de menaces, cette étude met en parallèle le pourcentage de citoyens qui considèrent que leurs politiciens sont corrompus et déconnectés des réalités de terrain. Nous sommes entrés dans l’ère du désenchantement du politique !
La France est sur un volcan, et la Guadeloupe et la Martinique vont inéluctablement pâtir des effets collatéraux. L’impact politique de cette danse à contretemps entre la France hexagonale et la Guadeloupe voire surtout la Martinique est d’autant plus difficile à appréhender que la crise économique et sociale puis finalement financière prendra le relais de la crise sanitaire. Et de fait , le mécontentement social qui guette dans ces économies pour le moment encore sous cloche , menace d’avoir un impact politique négatif, le jour où cessera le dispositif d’aides du fameux « quoiqu’il en coûte » !
Et d’ailleurs ,pour ne rien cacher de la réalité de notre dépendance au pouvoir central, la Guadeloupe et la Martinique seront très certainement contraintes par la crise du Covid 19 à entreprendre une danse à contretemps avec la France hexagonale lors des prochaines élections .
Jean marie Nol économiste