Dans une tribune au « Monde », l’ancien premier ministre présente les objectifs de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage voulue par Emmanuel Macron.
—Par Jean-Marc Ayrault —
Un homme avec un chapeau colonial, sur un char du carnaval de Fort-de-France, qui explique qu’il va chercher des esclaves et qu’il faut « rire de ce qui s’est passé ». Des footballeurs noirs que l’on traite de « ramasseurs de coton » pendant un match professionnel. Des manifestants qui insultent une automobiliste noire en lui lançant : « L’histoire des Noirs, on ne veut plus entendre parler de ça ! »
Trois scènes insupportables et qui pourtant se sont déroulées en France cette année – la dernière il y a une semaine. Trois scènes qui nous rappellent que le racisme anti-Noir n’a pas disparu, qu’il est toujours là, nourri par l’ignorance et les préjugés, pour justifier l’injustifiable, le rejet et les discriminations. Ces images, ces insultes, ces injustices ne viennent pas de nulle part. Elles sont la trace toujours brûlante de l’esclavage dans notre société.
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Ce sera l’ambition de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, à la création de laquelle, avec d’autres, je me consacre depuis un an et demi, que de le rappeler. Mais elle racontera aussi comment, de cette tragédie à l’échelle du monde, sont également sortis des rêves de liberté, de dignité et d’égalité, des cultures, des figures qui font aujourd’hui partie de notre patrimoine commun.
« Ils ne ressemblent pas tous à des Gaulois »
La France est en effet ce pays où, pour la première fois dans l’histoire, l’esclavage a été aboli en 1794, sous la pression des esclaves eux-mêmes. Elle est ce pays où est né le maloya, une musique inventée par les esclaves de la Réunion comme expression artistique de résistance et qui est aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle est ce pays dont Barack Obama a célébré cet été la diversité incarnée par ses champions du monde, en disant : « Ils ne ressemblent pas tous à des Gaulois, mais ils sont Français. »
Beaucoup ont été frappés par cette phrase, prononcée dans un discours sans rapport avec la France. Elle nous rappelle qu’aujourd’hui, la force de notre pays est d’être une nation mondiale, à l’histoire riche et dont la diversité est l’un des héritages les plus précieux. C’est ici qu’il faut corriger avec bienveillance l’ancien président américain, en disant plutôt, à propos des joueurs de l’équipe de France : « Ils ne ressemblent pas tous à des Gaulois, ET ils sont Français. »
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Car quand on sait que cela fait quatre siècles que l’histoire de France s’écrit dans les Caraïbes autant qu’en Touraine, en Amérique autant qu’en Armorique, dans l’océan Indien autant que sur les rives de la mer du Nord ; quand on sait que, dès la Première République, la France a eu un député noir, Jean-Baptiste Belley, qui était né esclave ; quand on sait que, dès 1879, Paris a eu un maire noir, le républicain Severiano de Heredia, originaire de La Havane ; quand on sait tout cela, vraiment, il ne devrait plus être possible de s’étonner qu’en 2018 les Français « ne ressemblent pas tous à des Gaulois »....
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