En France, faire le point sur le racisme et les discriminations.

La CNCDH¹, Commission nationale consultative des droits de l’homme a rendu public, ce jeudi 18 juin, son rapport annuel sur « la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ». Initialement prévue avant le confinement, la sortie de ce rapport, qui revient sur le racisme et le rôle des forces policières, avec un focus sur la population noire, fait écho à l’actualité en France et dans le monde.

La CNCDH dénonce les contrôles aux faciès. « Le premier contact de la police avec la population ayant souvent lieu au cours des contrôles d’identité, la CNCDH encourage le Ministère de l’Intérieur à collecter des données et à produire des statistiques officielles sur les contrôles d’identité », est-il inscrit dans le rapport. De quoi potentiellement laisser émerger l’introduction des récépissés lors des contrôles d’identité… et ce, pour une traçabilité réclamée par des personnalités de gauche comme par le Défenseur des Droits.

Esther Benbassa, du CRCE², qui a porté à son arrivée au Sénat en 2011 une proposition de loi sur le sujet, se félicite de ce constat fait par la CNCDH. « C’est une première étape très intéressante, même si l’idée n’est qu’au stade de la réflexion », et cela pourrait répondre en partie à la colère qui s’exprime dans la rue depuis plusieurs semaines.

Pour rétablir la confiance entre les citoyens et les forces de l’ordre, François Grosdidier, sénateur LR de Moselle, préférerait lui la généralisation des caméras-piétons³ : il explique que malgré ses limites, ce dispositif permettrait de « couper court à tout débat » lors d’accusation de racisme ou d’usage disproportionné de la force. « À partir du moment où tout est filmé, il n’y a plus de discussion et on voit bien dans quelles conditions et dans quel cadre la force a été utilisée par les policiers, de manière légitime ou non ». Des propos entendus par Christophe Castaner, puisque lors des questions au gouvernement mercredi, il a dévoilé devant les sénateurs son souhait d’équiper « de façon massive les forces de sécurité intérieure de caméras-piétons efficaces ».

Autre constat fait par la CNCDH : le dépôt de plaintes reste largement insuffisant après des agressions racistes. « Les plaintes contre le racisme ne sont pas toujours bien reçues dans les commissariats », dénonce le président Jean-Marie Burguburu. « Il y a encore une réticence. On dit “ce n’est pas grave”, mais si c’est grave ! ». Ainsi, son organisation suggère que la hiérarchie « adresse des consignes fortes » aux policiers pour qu’ils ne recourent plus aux mains courantes, jusqu’à recommander sa prohibition dans les commissariats et brigades de gendarmerie. La CNCDH invite également la Place Beauvau à mettre en place plus de formations pour les policiers. « C’est mieux qu’il y a dix ans, mais on est loin du compte ».

Car l’urgence est là. Selon le rapport, plus d’un million de personnes ont été victimes au moins une fois d’une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, mais seulement 6.603 affaires ont été transmises en justice, pour déboucher sur 393 condamnations. Le nombre d’actes « qui échappent au radar de la justice » reste donc à évaluer. En 2019 toutefois, au moins 1983 actes ont été recensés, avec une nette hausse par rapport à 2018 pour les actes antisémites : +54%, soit 687 actes, et pour les actes anti-musulmans recensés : + 23%, soit 154 actes.

Certes, le racisme est encore présent en France, mais la société française serait de plus en plus tolérante…Pour mesurer ce racisme, la CNCDH conduit tous les ans, depuis 1990, un sondage à partir de 69 séries de questions, qui lui permet d’établir un indice de tolérance, noté de 0 à 100 — 100 étant le plus haut niveau de tolérance. Cet indice, qui progresse depuis des années de manière assez constante, s’établit aujourd’hui à 66 points. Il place généralement les personnes noires en tête, devant ou juste après les personnes juives. Ces deux minorités récoltent par exemple cette année 79 points, loin devant les Roms (36 points).

Cependant la Commission relève un paradoxe : « Alors que la minorité noire est avec la minorité juive celle qui a la meilleure image, elle est en butte au quotidien à des préjugés offensants et des discriminations nombreuses. Sur les réseaux sociaux ou dans les stades, s’exprime un racisme anti-noirs extrêmement cru, “animalisant” et violent, construit par opposition à une norme blanche… Au-delà des infractions, c’est tout à la fois une histoire, une culture et un ensemble de préjugés qui sont à la racine du racisme anti-noirs… Comme la lutte pour l’égalité femme-homme, le combat contre le racisme envers la minorité noire nécessite une prise de conscience du phénomène par la société dans son ensemble, une décolonisation des esprits ».

« On va vers une société plus tolérante, c’est vrai », reconnaît Pap Ndiaye4 auteur en 2009 de La condition noire : essai sur une minorité française. Pour Nonna Mayer, Directrice de recherche émérite au CNRS, « cette tolérance est expliquée par le renouvellement générationnel, mais aussi par le niveau d’instruction et surtout par le positionnement politique ». Plus une personne se situera à gauche de l’échiquier, plus son indice de tolérance sera élevé.

« Mais il y a quelque chose qui résiste, il y a un noyau dur de gens qui se disent racistes », ajoute Pap Ndiaye… Il existe de nombreuses  micro-agressions au quotidien, « qui ne paraissent pas comme du racisme, mais qui goutte-à-goutte peuvent avoir des effets délétères… ». Les questions liées à la discrimination s’avèrent être des handicaps au jour le jour, ainsi de la difficulté à trouver un logement, ou un travail. Sur ce dernier sujet, la CNCDH recommande de faciliter l’accès aux éléments de preuves relevant, dans les entreprises et les administrations, du contentieux anti-discriminations, afin de permettre un travail d’investigation globale. Pour assurer une plus grande représentativité, elle préconise également au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) d’encourager la représentation des hommes et des femmes noirs, y compris dans des fonctions d’expertise. « La lutte contre le racisme, ce n’est pas que le travail des spécialistes, c’est le devoir de chacun ». S’ajoutera une série de recommandations « pour lutter contre les préjugés ».

Toutefois, l’idée de mettre en place les statistiques ethniques n’est pas retenue : le débat avait été relancé par Sibeth Ndiaye peu avant l’allocution du Président de la République…

La haine en ligne est aussi un point sur lequel les auteurs du rapport portent une attention particulière. La CNCDH recommande depuis plusieurs années à l’État français de se doter d’une autorité indépendante de régulation, qui serait notamment chargée de prévenir et de répondre rapidement, et de manière adaptée, aux discours de haine sur Internet.

Enfin, le Président Jean-Marie Burguburu appelle l’ensemble des citoyens à agir. À la manière du Général de Gaulle, il lance « un appel du 18 juin ». « Il faut lutter contre le racisme parce que même lorsqu’on croit que les choses vont mieux, elles ne le sont pas forcément (…) La lutte contre le racisme, ce n’est pas que le travail des spécialistes, c’est le devoir de chacun. En le faisant, nous ne faisons que respecter la devise de notre République : Liberté, Égalité, Fraternité ».

D’après 20 Minutes, Yahoo, La Croix, et  la publication d’Ariel Guez, le 18 juin 2020, dans Public Sénat


1 Fondée en 1947 à l’initiative de René Cassin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme est l’Institution nationale de protection et de promotion des droits de l’homme, accréditée de statut A auprès des Nations Unies.

2 Au Sénat français, le GRCE, groupe républicain, citoyen et écologiste, est un groupe parlementaire rassemblant historiquement des sénateurs issus du Parti communiste français.

3 Une caméra-piéton, aussi appelée caméra mobile ou caméra d’intervention, est une caméra légère et compacte attachée à la poitrine ou à l’épaule d’un agent des forces de l’ordre pour enregistrer les interactions avec le public, voire des scènes de délit ou de crime. 

4 Pap Ndiaye est spécialiste d’histoire sociale des États-Unis, particulièrement des minorités. Il s’intéresse également aux situations minoritaires en France (histoire et sociologie des populations noires).