— Par Patrick KESSEL, Président du Comité Laïcité République —
Si le racisme antiarabe doit être combattu, les accusations systématiques d’islamophobie visent en revanche à discréditer l’idée que la laïcité s’applique à tous les cultes, à l’islam comme aux autres.
L’affaire de l’Observatoire de la laïcité, qui oppose certains de ses membres à ses responsables, traduit une opposition de fond entre ceux qui affirment qu’il n’y a pas de problème de laïcité en France et ceux qui pensent au contraire que les problèmes posés par les revendications communautaristes sont de plus en plus nombreux. C’est la résurgence d’un ancien débat qui remonte à la Révolution française.
D’un côté les tenants d’un humanisme qui place la grandeur de chaque individu dans son cheminement vers l’émancipation, toujours inachevée. Ce sont les héritiers des Lumières, pour qui la liberté de conscience et l’égalité en droit entre tous les citoyens, quelles que soient leurs origines, leur couleur de peau, leur sexe, leurs appartenances religieuses ou philosophiques, et en premier lieu l’égalité entre femmes et hommes, ne sont pas négociables.
De l’autre, les tenants du communautarisme pour qui la valeur de l’homme tient à ses racines, aux origines, à l’ethnie, à la religion, à la terre. Ceux-là prônent des accommodements avec la loi, voire des droits différenciés en fonction des communautés d’origine.
Certains vont même jusqu’à revendiquer la renégociation des principes républicains, la laïcité en premier lieu. Désormais portée par certains intellectuels de gauche, cette idée sort en fait des officines de l’extrême droite des années 70, lorsque cette dernière cherchait à légitimer l’apartheid sud-africain au nom de «différences» entre Blancs et Noirs ! Régis Debray, en son temps, nous avait prévenus : le droit à la différence débouchera sur la différence des droits ! Le débat a pris un tour nouveau avec les attaques dont Elisabeth Badinter a été l’objet, parce qu’elle avait osé dire qu’il faut «défendre la laïcité sans avoir peur d’être traité d’islamophobe», signifiant ainsi que la laïcité doit s’appliquer à toutes les religions et contribuer au combat contre tous les racismes. Le procès en «islamophobie», au cœur de la polémique, est une véritable imposture. Alors que le racisme antiarabe doit être combattu avec fermeté comme tous les racismes, cette campagne idéologique vise à discréditer ceux qui défendent l’idée que la laïcité s’applique à tous les cultes et que les musulmans en France sont des citoyens comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. C’est une démarche inquisitoriale qui vise à interdire toute critique d’une religion et à condamner pour blasphème la liberté de penser. Charb nous avait mis en garde dans sa Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (1).
En s’engageant de fait dans cette campagne, les dirigeants de l’Observatoire sont sortis de l’exigence de neutralité. Ce n’est pas là le rôle de cette instance placée sous la tutelle du Premier ministre, qui a mission d’observer et de proposer, de rassembler plutôt que de diviser. La situation était suffisamment grave pour que Manuel Valls se soit clairement et courageusement engagé, condamnant ces déclarations et rappelant cet organisme public à ses devoirs.
Au-delà de ces péripéties, cette affaire témoigne de la profonde déchirure culturelle qui accompagne la fracture sociale. Dès 2004, le Rapport Obin, conçu par des inspecteurs de l’éducation nationale, avait révélé la profondeur de la crise provoquée par la montée du communautarisme. Douze ans plus tard, le déni n’est plus possible, a fortiori quand les tensions sont plus fortes dans nombre d’écoles, d’hôpitaux, de prisons mais aussi de crèches, d’établissements d’enseignement supérieur, d’entreprises… de quartiers. Il n’est plus possible de dire qu’il n’y a pas de problèmes de laïcité en France. Il est urgent de trouver des solutions, de faire appliquer les règlements quand ils existent, de légiférer quand cela s’avère nécessaire.
La confusion s’est installée dans les têtes au fil des ans. Une partie de la droite retrouve son vieux penchant pour une catho-laïcité, inscrivant la religion catholique au cœur de l’identité nationale. Une centaine d’élus de droite viennent de protester contre l’Association des maires de France, présidée par François Baroin, dont le rapport invite les conseils municipaux à ne pas installer de crèche de Noël dans les mairies ! Comment expliquer à des jeunes filles voilées qu’on ôte les signes religieux ostensibles en entrant dans l’école, alors que des symboles chrétiens seraient les bienvenus dans les mairies ?
Ce qui est nouveau, c’est qu’une partie de la gauche, autrefois universaliste, balance entre accommodements dits raisonnables et communautarisme. Certains n’hésitent pas à affirmer que les islamistes seraient en quelque sorte les héritiers du prolétariat en lutte contre le capitalisme mondial ! Un Congrès international d’extrême gauche s’est ainsi interrogé sur les alliances entre le mouvement révolutionnaire et le mouvement islamiste ! Tout cela prospère dans la confusion.
Contrairement à ce qu’on suggère, la laïcité ne s’oppose pas aux communautés humaines fondées sur des «affinités électives» qui ont plaisir à se retrouver, à entretenir une mémoire, une culture, une langue, une religion ou une philosophie. Elle est l’art de conjuguer le singulier et l’universel. En revanche, elle pose que les communautés ne font pas la loi de la République, laquelle est commune. C’est cet universalisme des Lumières qu’ils voudraient jeter aux poubelles de l’histoire! A l’occasion de l’affaire de l’Observatoire, la chape de plomb s’est soulevée. Les yeux se sont dessillés, les témoins ont entrepris de parler. Une certaine prise de conscience s’est faite jour. Le débat doit maintenant s’ouvrir dans le pays, sur les deux rives de la République.
(1) Les Echappés, 96 pp., 13,90 €.
Patrick KESSEL Président du Comité Laïcité République