Empêcher l’accès à la bassine quel qu’en soit le coût humain

« Le gouvernement persiste dans une logique liberticide et autoritaire de criminalisation et de répression des mobilisations sociales. »

Communiqué et rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières sur la mobilisation contre le projet de méga-bassine à Sainte-Soline (24-26 mars 2023).

Le samedi 25 mars 2023, en dépit d’intimidations de la part des autorités publiques, 18 observateur·ice·s indépendant·e·s étaient présent·e·s à la manifestation contre le projet de méga-bassine à Sainte-Soline.

Après un travail de plusieurs mois fondé sur des observations de terrain, recoupées à l’aide de témoignages et d’éléments matériels, les observateur·ice·s versent au débat public un rapport minutieux relatif à la stratégie de maintien de l’ordre déployée ainsi que le récit précis du déroulement de la manifestation.

Dès le 24 mars 2023, le ministre de l’Intérieur avait averti que l’on verrait « […] des images extrêmement dures, parce qu’il y a une très grande mobilisation de l’extrême gauche et de ceux qui veulent s’en prendre aux gendarmes et peut-être tuer des gendarmes et tuer les institutions ». Les autorités publiques ont alors mis en scène un maintien de l’ordre spectaculaire d’une très grande violence. Derrière une muraille de camions, 3000 gendarmes armés étaient rassemblés autour du chantier de la méga-bassine. Ces derniers ont attendu que les manifestant·e·s arrivent à proximité du chantier transformé en fortin et ont alors déchaîné une violence immodérée, donnant lieu à des images brutales. Face à un ennemi de l’intérieur “éco-terroriste”, construit depuis plusieurs mois par les autorités publiques, l’Etat devait réussir sa démonstration de force. En moins de deux heures, plus de 5000 grenades ont été tirées, occasionnant au moins 200 blessé·e·s.

Interrogées sur cet usage indiscriminé et disproportionné de la force, les autorités publiques ont persisté dans la confrontation et se sont livrées, de manière alarmante, à une réécriture des événements. DEUX RAPPORTS commandés par le ministère de l’Intérieur ont été rédigés et publiés à la hâte dès le 27 mars 2023, visant à accréditer cette version officielle.

Contrairement à ce qui a été affirmé, nos observations de terrains démontrent que ce sont bien les gendarmes, montés sur les quads, qui ont effectué une sortie en se rendant en premier au contact des manifestant·e·s à 12h35 ; que les gendarmes ont bien attaqué les cortèges sans sommation ; que des blessé·e·s et les élu·e·s qui les protégeaient ont bien été pris·e·s pour cibles par des tirs de grenades et que la trêve a bien commencé à 14h08, laissant place au calme durant une heure.

Emportées par leur récit guerrier, les autorités publiques ont choisi de ne pas secourir des blessé·e·s en détresse vitale. Ne pouvant ignorer qu’un déploiement de forces aussi démesuré et l’utilisation de matériels de guerre occasionneraient immanquablement des blessé·e·s, les autorités ont entravé les secours au mépris de la vie humaine.

Pour Patrick Baudouin, président de la LDH : « Depuis Sainte-Soline et malgré de nombreuses alertes, notamment des rapporteurs spéciaux des Nations unies, le gouvernement persiste dans une logique liberticide et autoritaire de criminalisation et de répression des mobilisations sociales. »

Paris, le 10 juillet 2023


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Dans le cadre d’une mobilisation à l’appel de plus de cent organisations, dont les collectifs Bassine Non Merci et Les Soulèvements de la Terre ainsi que la Confédération paysanne contre le projet de méga-bassine de Sainte-Soline, 22 membres des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières du 93, de Gironde, de Paris, du Poitou-Charentes et de Toulouse étaient présent·e·s du 24 au 26 mars sur la zone de Melle et Sainte-Soline, afin d’observer les pratiques de maintien de l’ordre, particulièrement lors de la manifestation autour du chantier de méga-bassine qui se tenait le 25 mars.

Dès vendredi, jour d’arrivée des équipes d’observation, nous avons constaté le déploiement d’un dispositif ultra-sécuritaire dans un périmètre très large autour de la zone de la mobilisation, et bien au-delà : des barrages routiers massifs assortis de contrôles d’identité et de fouilles de véhicules généralisés – laissés en grande partie à l’appréciation des forces de l’ordre – dont la légalité pourrait être interrogée vu leur étendue géographique et temporelle, mais également la présence d’au moins un camion doté d’un dispositif de renseignement et le survol permanent de la zone par au moins un hélicoptère de gendarmerie. Ces opérations se sont poursuivies jusqu’au dimanche.

Cinq équipes d’observateur·ice·s étaient présentes le samedi 25 mars et ont suivi les trois cortèges (rose, jaune et bleu) qui composaient la manifestation.

Les conclusions établies par le présent rapport, basées sur les observations de terrain des différentes équipes, remettent largement en cause la version officielle présentée par les autorités, qui se sont livrées de manière alarmante à une réécriture des événements.

Avant même l’arrivée des manifestant·e·s aux abords du chantier de la méga-bassine de Sainte-Soline, des binômes de gendarmes armés et coiffés de casques de moto, montés sur 20 quads sont venus au contact des cortèges.

Contrairement à ce qu’avancent les rapports de la gendarmerie et de la préfète des Deux-Sèvres, l’engagement de la force a bien été décidé à l’encontre des cortèges rose puis jaune, en l’absence d’acte d’hostilité de leur part, et ce sans sommation. Si la venue des quads à quelques mètres du cortège bleu a été source de tensions et a entraîné quelques tirs de feux d’artifice à distance de la part de certain·e·s manifestant·e·s, la réponse immédiate (voir quasi-simultanée) des forces de l’ordre, consistant à gazer de manière indiscriminée et abondante l’ensemble du cortège, est apparue, dès le début des « affrontements », totalement disproportionnée et surtout génératrice de tensions. Le comportement de la gendarmerie lors de cette première rencontre avec les manifestant·e·s ne peut en aucun cas être assimilé à une tentative de désescalade.

Ensuite, lors de l’arrivée des cortèges sur le site de la bassine, les gendarmes ont tiré en continu sur l’ensemble des manifestant·e·s avec des armes relevant des matériels de guerre : tirs de grenades lacrymogènes, grenades assourdissantes et explosives de type GM2L, ASSD et GENL, ainsi que des tirs de LBD 40.

Les observateur·ice·s remarquent que les tirs de grenades lacrymogènes et explosives ont été massifs, indiscriminés et parfois tendus sur l’ensemble des manifestant·e·s. Ces grenades ont notamment été envoyées très loin dans les cortèges, à l’aide de lanceurs et de dispositifs de propulsion à retard. Que ce soient des journalistes, des observateur·ice·s, des élu·e·s, des blessé·e·s, ou des manifestant·e·s à distance du chantier, l’ensemble les personnes présentes aux abords du chantier de méga-bassine ont été touchées, sans distinction, par des tirs de grenades. Les détonations très rapprochées de grenades explosives étaient très souvent suivies de cris d’appel au secours pour assistance médicale.

Ce rapport revient également sur la partie du rapport de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) relative aux tirs de LBD depuis les quads, démontrant que la motivation retenue par les autorités s’appuie sur des éléments factuellement faux, permettant largement de douter de l’argument invoqué par les gendarmes quant à leur situation de « légitime défense ».

Enfin, les observations ont établi que la protection des blessé·e·s a été mise en défaut plusieurs fois par les opérations des forces de l’ordre. Notamment, lorsque les élu·e·s ont formé une chaîne humaine autour des blessé·e·s pour les protéger et permettre leur évacuation, des grenades lacrymogènes ont été tirées dans leur direction, les contraignant à reculer et déplacer les blessé·e·s. Dès lors, en contradiction avec ce que prétend la préfète des Deux-Sèvres, rien ne justifiait l’utilisation de la force à l’encontre de ces personnes.

Au surplus, il a pu être constaté des entraves aux secours pour les blessé·e·s les plus graves par les autorités publiques : tant les pompiers sur place que le SAMU ont déclaré ne pas pouvoir s’approcher des blessé·e·s dont un blessé grave pour le prendre en charge, en raison d’un défaut d’autorisation par le commandement qui invoquait des heurts dans la zone où se trouvait le blessé. Pourtant, l’ensemble des équipes d’observation ont constaté que dans le laps de temps en question, la zone était totalement calme et sans danger, éloignée de plusieurs centaines de mètres des forces de l’ordre et des manifestant·e·s.

Ainsi, la responsabilité des pouvoirs publics et notamment de l’Etat est engagée.

Plus généralement, la stratégie de maintien de l’ordre retenue par les autorités, traduite par le positionnement des gendarmes acculés au chantier de la bassine, a mis gravement en danger l’ensemble des personnes présentes sur place : cette opération de maintien de l’ordre n’a semblé reposer que sur l’usage massif des armes.

En seulement deux heures ce sont plus de 5 000 grenades qui ont été utilisées contre les manifestant·e·s, tirées de manière indiscriminée et continue, témoignant d’une intensité exceptionnelle et d’un usage immodéré du recours à la force, occasionnant de très nombreuses blessures, souvent graves, allant même jusqu’à plusieurs urgences absolues.

Cet usage disproportionné d’armes de guerre avait un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain.

Ce choix stratégique de maintien de l’ordre fut ainsi lourd de conséquences. Les observateur·ice·s ont constaté de très nombreuses blessures et appels de « médics » tout au long de la manifestation. Nombre de blessé·e·s n’ont pas pu être pris·e·s en charge, car le manque d’indépendance des moyens de secours vis-à-vis du dispositif de police a conduit à une forme d’auto-organisation des manifestant·e·s pour le soin (contrainte notamment par les arrêtés d’interdiction de circulation). Enfin, de nombreux·ses blessé·e·s ont renoncé aux soins, par peur de la répression.

Les communications des autorités, en amont et en aval de la manifestation, témoignent d’une volonté de criminaliser les participant·e·s, afin de légitimer auprès du grand public un déploiement massif et inconsidéré de la force à leur égard. Cette volonté de manipuler l’information du public s’est exprimée tant dans les communications du commandement de la gendarmerie, de la préfecture des Deux-Sèvres que du ministère de l’Intérieur.