— Par Benoît Legemble —
Avec Music to Be Murdured By, l’enfant terrible de l’Amérique revient aux racines du rap qui a fait son succès. Entre idées noires et contes macabres, Eminem frappe fort. Là où l’occident a mal. Un brillant exercice de style et de vélocité, situé dans les pas du maître du suspense, Alfred Hitchcock. Glaçant, sanglant, le nouvel album du Slim Shady. Parler d’Eminem est un exercice périlleux, tant le sale gosse de l’Amérique « White Trash » paraît échapper aux catégories. Originaire du Missouri, où il est né en 1972, le rappeur blanc se distingue rapidement sur la scène de Détroit, où il s’est installé avec une mère instable et un beau-père violent. Tous ceux qui ont vu le prodigieux film autobiographique 8 Miles, en 2002, en connaissent l’histoire. Son quotidien, dès son plus jeune âge, Eminem le passait à perfectionner son art de l’improvisation au cours de joutes verbales appelées « battle », qui consistait à affronter tout ce que Détroit comptait de compositeurs affutés et un rien chambreurs. Eminem a ainsi fait ses armes sur des scènes improvisées et dans des hangars interlopes où il était le seul blanc, pauvre, logeant dans une caravane, éduqué par une mère aux mœurs légères, voire irresponsable. C’est cette trajectoire qui fascine un pays, le monde.
L’invention de l’avatar
Comment Marshal Bruce Mathers III, de son nom de naissance, a-t-il déjoué les coups, défié le sort et accédé à une telle notoriété ? Quid de sa fortune, lui qui culmine en tête des charts à la sortie de chaque album depuis 1999 et le lancement de The Slim Shaddy LP ? Le récit de sa vie est une success story, de celle dont raffole le pays de l’Oncle Sam. Eminem tourne le dos à l’usine, s’adosse au rap, rencontre très tôt le producteur Dr Dre, talent lui aussi précoce devenu une légende vivante en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Ensemble, ils collaborent au sein d’Aftermath Records, label star. Ils affinent la stratégie musicale d’Eminem, la composition d’abord, cultivant l’imagination de celui qui aime tant s’inventer des avatars pour faire parler, à travers eux, une Amérique confrontée à différents démons : la drogue, les assassinats de masse, le suicide, les troubles identitaires, la jeunesse perdue et la famille défaillante. L’ombre tapie derrière les promesses tapageuses. Autant de thèmes qui ne sont que la partie visible de l’iceberg-Eminem, tant son œuvre est riche, profuse.
Expiation verbale
En 1999, le pays découvrait, horrifié, l’épigone monstrueux du Slim Shady et ses clips tournés en camisoles de forces. C’est qu’Eminem a toujours lorgné vers la psychiatrie pour évoquer, évacuer, le malaise dans la civilisation et son propre mal-être. Son âge d’or, l’artiste le connaît en 2002 avec la sortie à quelques mois d’intervalle du biopic 8 miles, consacré à sa vie, et de l’album légendaire The Eminem Show. À ce jour resté sans égal, le quatrième album d’Eminem comportait des productions de Dr Dre et frôla la barre des 10 millions d’exemplaires vendus aux États-Unis. Là encore, les sujets évoqués sont l‘enfance (« Cleanin’ Out My Closet ») – une mère comparée à un tampon hygiénique -, la célébrité et ses revers, ses travers, (« Say Goodbye to Hollywood », le gouvernement et les attaques terroristes (« Square Dance »), ou l’ego trip (le hit « Without Me »), le tout enveloppé dans un flot d’obscénités inédit. Les beats et les mélodies sont soignés à l’excès, la facture de l’album d’une homogénéité rare.
Ascension, chute et renaissance
Il y a bien eu ensuite quelques tentatives pour égaler ce monument du rap, mais Eminem est rattrapé par sa bipolarité et son addiction médicamenteuse. Jusqu’en 2009, l’artiste est interné à plusieurs reprises en psychiatrie. D’aucuns le disent fini, à l’exception de 50 Cents, qui défend mordicus le roi du « Rap Game ». Plus récemment, des albums comme Revival et Kamikaze ont montré un certain essoufflement. Eminem y abuse du vocodeur, technique utilisée pour modifier et digitaliser la voix. Flop. La déception, chez les fans, commence insensiblement à se faire sentir. Mais c’était avant de prendre ceux-ci par surprise avec la sortie aux allures de guet-apens de Music to Be Murdered By, le 17 janvier. Un album qui annonçait un retour aux sources, à la noirceur des premiers disques qui firent son succès. L’heure de la rédemption ?
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