Lundi 20 mai à 23h45 sur Arte & disponible jusqu’au 18 août 2024
Émilie Schindler : l’héroïne de l’ombre
— Par Hélène Lemoine —
Dans le film de Steven Spielberg de 1993, elle n’apparaît que dans de rares scènes, toujours réduite au rôle d’épouse trompée et délaissée. Ce qu’elle était. Mais pas que. Un documentaire diffusé ce lundi 20 mai au soir à 23h45 sur Arte redonne enfin sa juste place à Émilie Schindler, l’épouse d’Oskar Schindler, connu du grand public grâce au film « La Liste de Schindler ».
L’histoire a retenu que ce dirigeant d’entreprise d’armement à Brünnlitz, dans l’actuelle République tchèque, avait permis le sauvetage de 1 200 juifs des camps de concentration, en les faisant travailler, dans des conditions moins indignes qu’ailleurs, dans son usine. Mais sa femme est restée dans l’ombre alors qu’elle a fait partie intégrante du projet.
« Le film de Spielberg a complètement dépossédé Émilie Schindler de sa version des faits, insiste l’historienne Kirsten Heinsohn, qui intervient dans le documentaire. Ça ne s’est pas passé comme ça. » « Elle était bien plus qu’une simple épouse bafouée », insiste une fille de rescapés de l’Holocauste. Le film, dont la forme est très (trop) classique, enchaîne les témoignages de proches du couple, membres de la famille, ou rescapés de la « Liste ». Les nombreuses images d’archives enrichissent le propos.
Émilie grandit dans une grande ferme de la minorité germanophone des Sudètes, actuelle République tchèque. Elle épouse Oskar Schindler en 1928, vendeur de matériel agricole. Beau parleur et charismatique, Oskar prend du galon dans la haute société allemande et quand la guerre éclate, il ouvre une usine d’armement à Cracovie.
Mais le couple n’adhère pas aux idées nazies. Dans cette usine, puis celle qu’il ouvrira à Brünnlitz en République tchèque, et où il sauvera des employés juifs, inscrivant leur nom sur la fameuse liste, les conditions de travail et de vie sont plus humaines qu’ailleurs. Le couple dépense aussi sa fortune en soudoyant les officiers SS pour les empêcher de les tuer. Émilie veille à ce que les prisonniers, logés dans le camp qui dépend de l’usine, aient des céréales à manger, aliments plus faciles à digérer pour ces organismes malmenés.
Pour une femme gravement malade, elle brave les interdits et part chercher du lait et des médicaments, qu’elle échange au marché noir, selon le témoignage d’un rescapé. « C’est elle qui a veillé à ce que les prisonniers survivent », assure Raul Kollmann, un journaliste argentin qui a enquêté sur le couple Schindler et témoigne dans le documentaire. Une ancienne prisonnière de Brünnlitz y raconte aussi comment Émilie leur a fourni des aiguilles en métal et de la laine pour qu’elles puissent se tricoter des robes et se préserver du froid.
Après la guerre, Oskar décide de fuir l’Allemagne craignant d’être poursuivi pour collaboration avec les Nazis. Le couple s’installe en Argentine et y crée un élevage de volailles et de ragondins. Mais Oskar, toujours volage et fêtard, dilapide les économies du ménage. Il décide de rentrer en Allemagne, seul, laissant Émilie face à une montagne de dettes. Elle ne le reverra plus.
Dans les années 1950, les rescapés de Brünnlitz commencent à mentionner le nom d’Oskar comme bienfaiteur. Il voyage et est accueilli partout en héros, décoré de la croix du mérite, et récompensé d’un arbre planté au mémorial de Yad Vashem. Il vit grâce aux dons de ces survivants, reconnaissants.
Émilie, elle, n’est jamais mentionnée. Exclue des honneurs, aux oubliettes. C’est le film de Spielberg qui lui permettra de rencontrer d’anciens prisonniers, au début des années 1990. Ces survivants deviennent sa voix et témoignent, enfin, du rôle qu’elle a joué. Elle est finalement décorée du titre de Juste parmi les Nations avant de s’éteindre, en 2001.
Ce documentaire, réalisé par Annette Baumeister, nous plonge dans la vie et les actions d’Émilie Schindler, une femme dont le courage et la détermination ont permis de sauver des vies dans l’ombre de son célèbre mari. À travers des témoignages poignants et des archives rares, le film réhabilite cette héroïne méconnue, offrant enfin à Émilie Schindler la reconnaissance qu’elle mérite.