— Par Yves-Léopold Monthieux —
Ainsi donc, en ce mois de décembre 2019 une série de commémorations a commencé. Recommence donc la répétition d’une série d’ « arrangements » avec l’histoire, alors que les faits réels auraient, à eux seuls, mérité qu’on les enseigne à nos enfants. Mais nos politiques sont obnubilés par leur soif de raconter leur roman à leur convenance, en lieu et place des historiens. Et ils n’ont de cesse de déplorer que cette histoire trafiquée ne soit pas inscrite dans les manuels scolaires.
Notons que la grande presse, surtout l’audiovisuelle, étant tenue d’une main de fer au profit de l’histoire fabriquée, jamais, sans l’Internet, la vérité historique, ci-dessous rapportée et qui peut n’être contestée par personne, n’aurait pu être portée à la connaissance des Martiniquais. Mais rien n’est gagné face à une malhonnêteté intellectuelle quasi indéracinable.
D’abord, le crash aérien de décembre 1969 a conduit le parti communiste martiniquais, qui s’était montré jusqu’alors discret, à organiser une enquête en vue, dit-il, de rechercher les vraies causes de la catastrophe. Une enquête ? Il fallait faire quelque chose après les initiatives du parti frère de Guadeloupe qui avait perdu dans l’affaire son secrétaire général. Sauf que, préférant s’attaquer à une nébuleuse internationale insaisissable, le PCM renonce délibérément à enquêter concrètement à partir des prémonitions qu’aurait eues le parti frère de France. Pire, la personne du fils de la victime martiniquaise1, qui avait pris l’avion dans des conditions troublantes, est promenée à ces réunions comme la vénus hottentote. Comme si l’instrumentalisation de cet aîné de 11 enfants devenus orphelins pouvait aider, en quoi que ce soit, au succès de l’enquête.
Ce sera ensuite le tour des événements des 20, 21 et 22 décembre 1959 à être commémorés et, pour faire bonne mesure, seront complétés par l’affaire de l’OJAM qui ont eu lieu deux ans plus tard. Pour ces deux affaires, voilà l’article d’un média métropolitain daté de décembre 2016, obligeamment rappelé sur Facebook pour les besoins de cette commémoration. J’y réagis formellement, conforté par un témoin que je ne connais pas et que je nommerai par ses initiales E.L.
« Émeutes de 1959 : la Martinique règle ses comptes avec le colonialisme »2, c’est le titre de l’article qui commence ainsi : « En 1959 la Martinique décide une fois pour toutes de régler ses comptes avec le colonialisme » (…). Signé S.K.
La première phrase donne le ton de l’article et l’expression « une fois pour toutes », sa légèreté. En effet, aujourd’hui encore, en toutes circonstances et en un vocable inchangé, les ex-révolutionnaires de l’époque, aujourd’hui artisans de l’assimilation, déclarent vivre sous un régime colonial. Ce curieux texte est celui qu’ils ont choisi pour annoncer leurs célébrations, comme s’ils avaient vaincu le colonialisme.
Yves-Léopold Monthieux (réaction à l’article parue sur facebook) : le titre de l’article est ridicule, scandaleusement ridicule. Cette affaire ne fut qu’un « incident de ville de garnison qui a dégénéré »3. Aucun historien n’a pas pu me démontrer le contraire. Justification en a été faite par des témoins oculaires, mé-ti-cu-leu-se-ment occultés par les historiens officiels. Le général en chef de cette affaire fut nommé le Diable en personne4, un individu connu et craint du monde interlope foyalais. Des militants communistes, qui ont échoué à récupérer cette affaire le lundi 22 décembre, le jour de la mort de 2 jeunes, l’avouent sans fausse honte, tandis que le motif de « voyoucratie » avait été retenu officiellement dès la veille par le Parti progressiste martiniquais (PPM). Il est scandaleux que malgré les historiens (ou plutôt grâce à eux) on puisse continuer à mettre des textes aussi farfelus et tendancieux entre les mains de nos jeunes. D’ailleurs, on avait fait écrire au pauvre Frantz FANON dans un journal de Tunisie où il résidait alors, le Moujahid, que la révolution martiniquaise était en marche et qu’elle avait déjà fait 15 morts, 50 blessés et 150 emprisonnés.
Il est commode de se décerner des brevets de bravoure à coups de triques assénées à l’histoire, mais continuer de tromper de la sorte les jeunes martiniquais, 60 ans après, relève de l’escroquerie intellectuelle. Quant à l’OJAM, relisez l’article paru dans France-Antilles, Montraykréyol, Makacla et Madininart, intitulé : « Il y avait autant d’OJAM que d’Ojamistes ». C’est la phrase d’un des emprisonnés qui n’était ni autonomiste ni indépendantiste. Tous confessent qu’ils ont été victimes d’un jeu de dupes et se sont divisés en au moins 4 clans, les uns évitant de parler aux autres, d’être entendus par eux, chacun se méfiant de l’autre. C’était là, le véritable supplice de la privation de liberté dont ils ont fait l’objet. Une cellule communiste s’était même constituée en prison, méfiante à l’égard de tireurs de ficelles domiciliés dans l’hexagone. L’un des militants, mis à l’écart, sera laissé seul face au règlement de ses frais de procès, alors que de fortes sommes avaient circulé (venant on sait bien d’où…), dont certains se seraient enrichis. Dépité, cet ancien militant qui a aujourd’hui quitté ce monde, s’était muré dans un profond silence et aurait refusé d’être montré dans les films de Camille MAUDUECH (dont l’un, en ma possession, n’a pas été montré au public). L’un de ces hommes, plus rigolard et qui s’en tirera mieux que les autres, n’a pas hésité à faire comprendre que l’épisode de l’OJAM était une affaire de cornecul. Sont-ce ces exemples de faits d’armes que nous regrettons qu’ils ne figurent pas dans les manuels scolaires ?
Réaction de l’internaute E.L : J’étais présent le jour de l’accrochage sur la savane. …Je ne me souviens plus en quelle année, il y a eu une bagarre entre militaires et Gendarmes mobiles ou C.R.S. (c’était un 14 juillet je crois).
Yves-Léopold Monthieux : Merci EL, c’est la première fois que j’entends cette vérité que j’ai vécue de quelqu’un d’autre. Les faits se sont produits sous mes yeux. C’est l’histoire. Il s’est bien agi d’une bagarre entre des appelés du contingent et des CRS (non des gendarmes). C’est pourquoi j’ai écrit qu’il s’est agi d’un « incident de ville de garnison qui a dégénéré ». Ton hésitation concernant la date (fin décembre 1959 et non un 14 juillet) atteste de ta franchise. Je précise que cette affaire est partie de 2 militaires (mais je pourrais en dire plus).
EL : Ylm, merci pour ton commentaire, il me semble que c’était deux militaires guadeloupéens.
Yves-Léopold Monthieux : bizarre ! Tu as dû lire mon livre5. C’étaient en effet deux militaires guadeloupéens qui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. J’ai longtemps pensé qu’ils étaient des jumeaux.
EL : Non je n’ai pas lu ton livre mais j’étais présent lors de cette bagarre sur le boulevard Alfassa.
Lorsque j’ai apporté mon témoignage à l’historien Gilbert PAGO, il y a environ 20 ans, il m’a aussitôt demandé comment j’avais su qu’il s’agissait de militaires guadeloupéens. Je lui ai répondu sans hésiter : parce que je les ai entendus parler. Mais ses recherches ont porté sur les conséquences politiques de l’incident davantage que sur le détail des faits. J’ai rapporté le renseignement à un autre historien dont le travail a porté sur les faits. Il n’en a pas fait grand cas, chahuté comme il l’a été d’avoir été trop objectif. J’ai compris que la vérité dans cette affaire, comme dans d’autres, n’allait pas sortir du clavier des historiens. J’ai alors rédigé plusieurs articles sur ce sujet, ce qui, à défaut d’être pris en considération, m’a permis de garder en mémoire des faits précis.
J’ai écrit ce document ce samedi soir 7 décembre 2019 et ne l’adresse à la presse que ce soir, 24 heures plus tard, ayant attendu en vain sur Facebook d’éventuels témoignages circonstanciés qui pourraient contredire mon propos, et que je ne manquerais pas d’ajouter6.
Fort-de-France, le 08 décembre 2019.
Yves-Léopold MONTHIEUX
Notes :
1Lire sur certains des supports ci-dessus désignés : Dolor BANIDOL a disparu « parce qu’il était le meilleur d’entre nous » (18 juin 2019) ; Le secret-défense qui arrange bien le PCM (16 juillet 2019).
2Article visible sur mon mur.
3Cela n’empêche que cette date soit historique en ce qu’elle a interpellé aussi bien les tenants de l’indépendance qui y voyaient l’amorce de la révolution (voir l’article de Frantz FANON) que l’Etat qui craignait que ces jeunes soient instrumentalisés en vue d’éventuels soulèvements. Bien entendu, les réactions furent divergentes. Tandis que s’est développée une tendance pilotée depuis PARIS, ayant conduit par exemple à l’OJAM, le gouvernement, non sans quelques erreurs, a pris un panel de mesures destinées à désamorcer de possibles mécontentements.
4Après l’invitation au calme du curé de la cathédrale l’après-midi du lundi 22 décembre sur la Savane, Diable en personne déclara : labéa di zafey, en nou fè ta nou.
5Les années BUMIDOM en Martinique (2018)
6Ce dimanche 16 heures l’attente étant vaine, j’expédie cette tribune par mail à France-Antilles, Antilla, Montraykréyol, Martinin’art, Makacla, Caribnews, avec la possibilité laissée à tous de le re-publier (fèy tounin).