— Par Rosa Moussaoui —
La psychanalyste tenait une chronique dans l’hebdomadaire. Elle est l’une des douze victimes.
Elle signait depuis plusieurs années la chronique « Charlie Divan ». La psychiatre et psychanalyste Elsa Cayat est la dernière victime dont le nom a été communiqué tard, mercredi soir. « Elsa est peut-être la femme la plus forte que je connaisse, la plus attentive aux autres, la plus chaleureuse. Une femme que j’aime infiniment pour sa liberté d’esprit, son exigence intellectuelle, son extraordinaire gaieté », confie au magazine Elle sa tante, Jacqueline Raoul-Duval. Âgée de cinquante-quatre ans, mère d’une fille, auteure de plusieurs livres sur le couple, le désir, la sexualité, Elsa Cayat passait au crible, deux fois par mois, des faits de société. Son dernier billet s’intitule « Noël, ça fait vraiment chier ». Elle y relate, avec un humour bienveillant, le dialogue avec une patiente exaspérée par le sacro-saint repas familial. Il y est question de père, de parole interdite, d’yeux de poissons, du « lien inconscient qui unit le cœur, la pensée, l’ouïe ».
Penser, continuer à penser
et poser la question du sens
On ne peut pas s’empêcher de penser qu’Elsa Cayat, seule femme tuée dans cette attaque, n’a pas été prise pour cible par hasard. Le fascisme, les intégrismes de tout bord n’entretiennent-ils pas un démêlé fondamental avec la psychanalyse ? « La psychanalyse va à l’encontre d’une conception dominante aujourd’hui de l’humain qui repose sur “trois moins” : moins de temps, moins de coût et le moins d’interrogations du sens possible. La psychanalyse contredit cette visée car c’est une discipline qui traite de la question du sens et de son histoire, et pas seulement du signe », affirmait, il y a quelque temps dans ces colonnes, le psychanalyste tunisien Fethi Benslama. Après ce massacre d’une barbarie sidérante, au cœur même d’une rédaction en plein Paris, il nous faut surmonter l’émotion, penser, continuer à penser et poser cette question du sens. Fin décembre, dans Charlie, Elsa Cayat parlait du « palpitant de la pensée », en convoquant Walter Benjamin et Jacques Lacan. Elle concluait ainsi : « La connaissance de l’inconscient montre quelque chose de difficilement réalisable, l’autonomie et la puissance de vie en nous, l’existence d’une pensée qui nous transcende, qui concerne notre vibration singulière, mais aussi, au-delà de nous, l’universalité de l’esprit. »
Vendredi, 9 Janvier, 2015
L’Humanité
http://www.humanite.fr/elsa-cayat-et-le-divan-de-charlie-562233