Electre. Variation à partir de Sophocle

— Par Michèle Bigot —

electre« Si l’acte est beau, pourquoi le cacher dans l’ombre ? »

Tout commence par un dispositif inédit : devant les gradins, une salle de classe : une dizaine de tables d’écoliers avec leurs chaises qu’occuperont les spectateurs : leur font face trois tables de classe occupées par les acteurs. Huit comédiens arrivent, prennent place vis-à-vis des spectateurs. D’emblée le quatrième mur est démantelé et quelque trente spectateurs se situent dans un espace intermédiaire entre la scène et les gradins. C’est que le théâtre est toujours et avant tout une lecture de texte. Et nous voilà précipités dans un univers qui n’est ni tout à fait la vie, ni tout à fait le spectacle !
Le jeu des acteurs prend donc naissance dans une simple lecture. Mais peu à peu le texte s’empare du corps des acteurs. Les voici soulevés par la force intrinsèque des mots et des passions. La poésie du texte est un envol. Ils s’arrachent à leur siège, à leur lecture, pour vivre le texte lui-même. Nous emportant avec eux, tant ils incarnent leur personnage avec vigueur et justesse. Rien de timide dans leur jeu, rien même de mesuré. On va directement à la démesure, les corps se tordent, les regards deviennent fous, les tables se renversent, les feuilles de papier volent. C’est la vie violente qui fait irruption sur scène, balayant tout sur son passage. Electre est une tornade. Elle nous emporte dans son maelstrom.
L’horizon est bien le texte de Sophocle, sa ligne narrative est respectée ; plus proche de nous, la variation de J.-P. Siméon en accentue le caractère dramatique par l’énergie du seul dialogue, donnant sa pleine mesure à la confrontation. Celle d’Electre avec sa sœur Chrysothémis, avec sa mère Clytemnestre. Le tout est ponctué par le chœur des femmes de Mycène, qui balance entre les arguments des unes et ceux de l’autre. Mais le plateau finit toujours par pencher vers Electre, tant sa passion est contagieuse. Sa colère, sa soif de justice, son courage et sa ténacité forcent le respect. L’action est recentrée sur le jour du retour d’Oreste, le jour même du meurtre.
A la tragédie de Sophocle, J.-P. Siméon a ajouté le lyrisme. C’est une pure et noire beauté qui se déploie sur ce plateau : pas besoin de lumière, pas besoin de décor ni d’objet. Rarement scénographie a été si dépouillée. Le jeu des acteurs occupe toute la place. Il a une force suffisante pour s’imposer comme un absolu. Admirable travail des voix hautes et profondes, de la diction pure et timbrée, du geste qui tord les corps, les soumet aux affres de la passion, des regards en quête d’absolu. Voilà un travail d’acteur comme on en voit peu. Il faut ici saluer la performance d’Elizabeth Macocco dans le rôle d‘Electre et celle de Juliette Rizoud dans les rôles de Clytemnestre et de Chrysothémis. Voilà deux femmes qui font théâtre avec leur seule présence : geste, voix, corps habités par leur rôle. Quelle leçon d’interprétation ! Quel travail en amont pour aboutir à cette intensité, autant en intériorité qu’en expression gestuelle et vocale.
Le dernier mot revient à J.-P. siméon : « La mort est faite/ hier s’est vengé d’aujourd’hui/ le père tué revit par le geste qui tue/ Ô dieux que reste-t-il à la justice/ s’il faut que la victime soit l’assassin ? »
Michèle Bigot

Electre
Variation à partir de Sophocle
Jean-Pierre Siméon-Christian Schiaretti
TNP Villeurbanne, 4>15/10/2016

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