— Par Yves-Léopold Monthieux —
Aux différentes causes retenues pour justifier le désintérêt des Martiniquais pour les élections nationales, dont la pertinence n’est pas discutable, il me semble utile d’ajouter quelques éléments qui paraissent fondamentaux pour rompre avec la récurrence de certaines justifications énoncées ce mercredi soir dans un exercice d’explications montré à la télévision.
L’avènement du quinquennat et la fixation des élections législatives au lendemain des présidentielles a puissamment diminué l’intérêt pour les législatives et celui du gouvernement pour les résultats des DOM aux élections nationales, en général. A cet égard, l’année 2001 est un moment déterminant avec la concomitance des deux élections nationales majeures de la République. De ce fait, l’élection de ces hautes institutions a perdu en solennité et en légitimité jusqu‘à ébranler les fondements de la Cinquième République. Avec le septennat présidentiel et la durée de cinq ans du mandat législatif, il y avait nécessairement une élection législative découplée de la « présidentielle », qui était un moment de grande respiration démocratique. En effet, en permettant à la démocratie de faire appel à l’opinion en cours de mandat présidentiel, le renouvellement de l’Assemblée nationale, à terme ou après dissolution, avait du sens : confirmer une politique ou en changer par le biais de la « cohabitation ». Depuis plus de vingt ans ces disposions ne servent à rien, d’où la nécessité d’un projet encore nébuleux d’une Sixième République.
Un exemple concret, toujours en 2001. Dans la semaine suivant la nomination du premier gouvernement Raffarin, le président de la République Jacques Chirac avait libéré tous les ministres pour participer à la campagne des « législatives », sauf une : la ministre des DOM. Depuis Paris, prétextant l’urgence des mesures à prendre, Brigitte Girardin avait annoncé qu’au cours de sa mission de travail en Martinique, elle ne participerait pas à la campagne des législatives en cours. Et de fait, durant son séjour, elle n’eut aucun contact avec les candidats chiraquiens qui furent battus. Avec l’ampleur de son succès face à Jean-Marie Le Pen, une large victoire était assurée à Jacques Chirac et lui permettait de zapper les DOM.
Par ailleurs, par l’avancée au samedi des élections nationales, le scrutin a perdu de sa magie et n’apparaît plus comme une rencontre voire une communion nationale à laquelle participeraient les Outre-Mer. D’autant plus que ceux-ci sont sevrés d’informations dès le jeudi soir précédant le scrutin, alors que la journée du vendredi est souvent marquée par des événements de dernière heure déterminants pour le scrutin national. A cet égard, les partisans de l’égalité des Français en ont pour leurs frais. Tandis que le désagrément de la poursuite du vote dans les DOM, alors que le scrutin est fermé en métropole, cache mal la volonté d’empêcher qu’une majorité étroite obtenue dans l’hexagone ne soit modifiée par le vote outre-mer, comme cela s’était produit en 1967, date de la naissance de l’idée de découplage des votes d’Outre-Mer et de Métropole. Cette idée que l’outre-Mer puisse être déterminant pour l’issue d’un vote national avait alors choqué le député François Mitterrand qui avait bruyamment déploré la « garde noire » de Guadeloupe. Quoi qu’il en soit, l’intérêt des DOM et pour les DOM s’en trouve incontestablement réduit.
Dernier point d’achoppement, l’incohérence de la fracture politique locale où les consciences martiniquaises ont été fabriquées par plus d’un demi-siècle d’idéologies croisées, assimilationnistes et séparatistes. Les Martiniquais ont le chic pour choisir leurs élus dans le camp des partisans déclarés de l’article 74 de l’autonomie, sachant que ceux-ci sont en réalité de faux « 74 » et de vrais « 73 », partisans du système départemental ?
Toutes ces décisions et orientations ont conduit à une prise de distance par rapport à la Métropole que traduit, pour la Martinique, le souci vétilleux des partis politiques locaux de se distinguer des partis nationaux, lesquels n’ont aucune existence réelle en Martinique, le refus de participer à un gouvernement de France, l’inclination à voter pour les extrêmes comme par provocation ou pour le fun et in fine l’éloignement des urnes par la population.
Fort-de-France, le 7 avril 2022
Yves-Léopold Monthieux