La Martinique : un cas particulier
Les élections européennes ont révélé un tournant politique majeur dans les territoires ultramarins, avec le Rassemblement National (RN) en tête dans plusieurs régions. Jordan Bardella, président du RN, a triomphé lors du scrutin du 8 et 9 juin, obtenant près de 28,9 % des suffrages dans ces territoires selon les premiers résultats partiels. Ce succès renforce l’assise électorale de l’extrême droite en Outre-mer, après une progression déjà marquée lors des élections européennes de 2019 et de la présidentielle de 2022.
Une abstention historique
L’abstention a atteint des niveaux alarmants dans l’ensemble des territoires ultramarins, avec plus de 80 % des électeurs ne se rendant pas aux urnes. En Martinique, le taux de participation n’a été que de 12,32 %, un des plus bas jamais enregistrés.
Le professeur Justin Daniel a souligné que cette abstention massive est l’un des enseignements les plus marquants de ce scrutin. La désaffection des urnes traduit un désenchantement vis-à-vis des institutions européennes et peut-être un manque de connexion entre les propositions politiques et les préoccupations des citoyens ultramarins.
Résultats par territoire
Jordan Bardella a remporté des scores significatifs dans plusieurs régions ultramarines :
– **Mayotte** : 52,40 %
– **Saint-Barthélemy** : 34,7 %
– **La Réunion** : 31,71 %
– **Guadeloupe** : 30,05 %
– **Guyane** : 25,62 %
– **Saint-Pierre-et-Miquelon** : 25,61 %
La Martinique : un cas particulier
En Martinique, la dynamique électorale a été différente. La liste de La France Insoumise (LFI), menée par Manon Aubry, a recueilli 18,60 % des voix, devançant de peu le RN avec 17,95 %. Les autres listes notables incluent :
– **Renaissance (Majorité Présidentielle)** : 17,18 %
– **Parti Socialiste** : 16,01 %
Le Parti Socialiste a particulièrement progressé en Martinique, améliorant son score par rapport aux élections précédentes grâce à une campagne axée sur les besoins locaux.
Analyse et réactions
Les résultats dans les différentes communes de Martinique montrent une fragmentation du vote :
– Rassemblement National : 13 communes
– La France Insoumise : 10 communes
– Renaissance : 6 communes
– Parti Socialiste : 4 communes
– Europe Écologie Les Verts : 1 commune
Tous les résultats en Martinique
Inscrits : 304.698
Votants : 37.533
Exprimés : 34.206
Abstention : 87,68%
Listes Voix %
Manon Aubry (LFI) 6.361 18,60%
Jordan Bardella (RN) 6.141 17,95%
Valérie Hayer (ENS) 5.878 17,18%
Raphaël Glucksmann (PS/PP) 5.477 16,01%
Marie Toussaint (EELV) 1.994 5,83%
Marion Maréchal (EXD) 1.565 4,58%
François-Xavier Bellamy (LR) 1.504 4,40%
François Asselineau (DIV) 1.214 3,55%
Jean Marc Governatori (ECO) 1.016 2,97%
Nathalie Arthaud (EXG) 1.000 2,92%
Léon Deffontaines (PCF) 590 1,72%
Florian Philippot (EXD) 581 1,70%
Jean Lassalle (DVD) 433 1,27%
Les résultats nationaux reflètent également une domination du RN avec 31,5 % des voix, tandis que Renaissance et le Parti Socialiste suivent avec respectivement 15,2 % et 8,7 %.
Le président Emmanuel Macron, réagissant à ces résultats, a annoncé qu’il s’adresserait prochainement aux Français pour commenter ce tournant électoral.
Conclusion
Ces élections européennes marquent une étape importante pour le paysage politique en Outre-mer, avec une montée en puissance du RN et une abstention record qui interpelle. Les résultats montrent une diversité de choix politiques, mais aussi une désillusion envers le processus électoral, posant des questions cruciales pour l’avenir de la participation démocratique dans ces territoires.
Des réactions :
Marcellin Nadeau, député de la 2e circonscription
« Ce qu’il faut noter c’est un maintien de la gauche, mais en même temps le score du Rassemblement national est inquiétant, je ne vois comment des afro-descendants votent à ce point en Martinique. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins dans un monde qui est complètement bouleversé avec des enjeux considérables au niveau social, écologique, climatique. Et il semblerait que beaucoup trop de pays du monde aujourd’hui prennent cette orientation de régime autoritaire, refusant l’autre. Le gouvernement Macron n’a pas freiné cela, mais lui a donné un certain balan. Il appartient aux gauches de pouvoir se rassembler de manière à offrir une vraie alternative. »
Johnny Hajjar, député de 3e circonscription
« Aujourd’hui c’est une montée des extrémismes et de la xénophobie que sous-tend l’idéologie du Rassemblement national. Concernant la dissolution de l’Assemblée nationale, il n’y a pas d’autre choix que de revenir devant la démocratie, c’est le peuple qui décide, tout le temps. Il y a effectivement un risque d’un renforcement du Rassemblement national, mais à nous de combattre en tant qu’humanistes et progressistes avec une union de la gauche et faire en sorte que l’espérance revienne véritablement. Il faut regarder les élections distinctement. C’est à nous d’être dans une politique éthique, noble, de rassemblement pour lutter contre ces extrémismes nationaux français et faire en sorte que nous puissions entrer dans un rapport d’égalité et sortir d’un rapport de domination. Mon mandat n’est pas terminé, ayant fait deux ans sur un mandat de cinq, donc il faut continuer à la fois sur le terrain électoral et le terrain politique, ce que nous faisons au quotidien. »
Max Orville, eurodéputé
« Les résultats martiniquais ne sont pas très surprenants avec les extrêmes qui arrivent en tête. Pour notre liste, on a bien résisté par rapport aux autres territoires d’Outre-mer. On a fini 3e à 200 voix du RN. Je suis content de voir que ce parti n’a pas gagné en Martinique mais je ne me satisfais pas non plus de mon score, on aurait pu faire beaucoup mieux. Je crois que la dissolution est une excellente chose parce que le président ne biaise pas. Lorsque vous avez une extrême droite à 30% et une extrême gauche qui avance aussi, dans l’esprit gaullien, il n’y a pas à biaiser. Si l’orientation choisie ne convient pas aux Français, ce n’est pas la peine de se mentir, il faut dissoudre l’Assemblée nationale pour que la nouvelle assemblée soit conforme à ce que les Français veulent. Les ultramarins placent désormais le RN à la première place, dans l’Hexagone également. Il faut en tirer les conséquences et donc qu’on retourne aux urnes et que les citoyens disent “voilà ce que nous voulons”. Je ne dis pas que cela me convient, en tant qu’ultramarin, tout le monde connaît mon aversion pour le RN et les extrêmes. Mais, peut-être qu’il faut sortir du vote sanction… La politique c’est sérieux, il y a un cap. Alors que les Martiniquais et les électeurs choisissent le cap qu’ils veulent au travers des représentants qu’ils auront choisis. »
Jiovanny William, député de la 1re circonscription
« Les Martiniquais sont très loin de la chose européenne bien que ce soit important. Je pense qu’il s’agit aussi d’un vote sanction avec une connotation nationale forte contre cette politique du gouvernement Macron qui ne comprend pas nos territoires, quand on constate que nous avons eu quatre ministres délégués aux Outre-mer en moins de deux ans. Il faut s’inquiéter face à cet aveu d’échec qui démontre qu’il y a une incapacité à diriger ce pays, à comprendre les réalités, une incapacité à clairement définir une politique du vivre-ensemble. C’est pourquoi cette dissolution est ne sidération contre une autre sidération, c’est-à-dire que le Rassemblement national en tête aux européennes, puis cette dissolution. Je ne suis pas choqué. Un peu surpris, mais il faut y voir la démocratie qui va parler le 30 juin. Moi, je suis prêt. Nous avons quinze jours avant le premier tour, ce qui veut dire qu’il faut réunir les équipes. Et aller sur le terrain comme je le fais d’habitude. »
Jean-Philippe Nilor, député de la 4e circonscription
« S’agissant de la mobilisation martiniquaise, je ne peux pas être satisfait, même si la liste que je soutenais est sortie en tête en Martinique. La mobilisation n’a pas été suffisante. C’est vrai qu’on a le sentiment que l’Europe c’est loin, que ça ne nous concerne pas directement, mais les directives européennes, les décisions européennes nous affectent au quotidien. Ceux qu’on appelle les métros se sont beaucoup plus mobilisés que les Martiniquais et ça donne les résultats qu’on a. Il est clair qu’il y a un sursaut qui est demandé. On ne peut pas crier Matinik sé ta nou et laisser les autres décider à notre place.»Kevin Capron, Péyi-a et 28e sur la liste LFI (Manon Aubry)
« C’est un président qui s’entête dans une direction, qui fait passer son ego avant l’intérêt du peuple et qui fait tout pour subir une déroute aux prochaines élections législatives. Selon moi, c’est lui le terreau fertile à cette rapide montée en puissance du Rassemblement national. Pour la Martinique, je pense que Péyi-a pourra se maintenir, je l’espère. Mais au niveau national, je crains encore plus de députés frontistes. »
Catherine Conconne, sénatrice
« Il faut être très préoccupé par cette abstention et on en a fait notre cheval de bataille à La Martinique Ensemble : il faut aller reconquérir l’opinion martiniquaise, c’est une urgence. On constate qu’il y a une abstention qui n’arrête pas de grandir à toutes les élections. Une abstention ça parle toujours, c’est de l’indifférence, du mépris… Il ne faut pas y rester insensible. On a quand même contenu, pour la deuxième fois, la poussée du Rassemblement national, lors des dernières européennes, nous étions le seul pays où le RN n’était pas sorti en tête. Il y a une certaine tradition militante en Martinique qui est quand même importante. Le troisième constat est que les gens votent pour les extrêmes du curseur politique. Là aussi, ça parle. Il faut donc pouvoir interpréter ce genre de positionnement entre l’extrême droite et l’extrême gauche, entre celui qui semble porter nos frustrations, nos regrets etc. Ce sont des apparences avec de fausses réponses à de vraies questions. Nous avons choisi le renouvellement du discours politique car tous les partis traditionnels sont en effondrement. »
Béatrice Bellay, 30e sur la liste PS de Raphaël Glucksmann
« C’est une satisfaction mitigée, nous avons un parti d’extrême droite qui arrive largement en tête pour ces élections. Mais nous aurons 14 députés européens minimum et ça c’est une vraie avancée avec la garantie d’avoir notamment pour la Martinique des intérêts qui seront défendus. Tout devra être discuté et j’espère en ce qui me concerne que les discussions vont porter leurs fruits et que la gauche réunie va pouvoir à nouveau partir à la bataille des législatives. »
Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de la CTM
Aujourd’hui, je vous parle avec le cœur brulé, la bouche amère. Notre histoire est marquée par des effondrements entiers de cultures et de civilisations, mais aussi par des renaissances inattendues et des surgissements enthousiasmants. Nous avons connu cet omni-niant crachat dont a parlé Césaire. C’est notre responsabilité de n’avoir pas su mieux expliquer et surtout se battre sur des projets qui puissent intéresser tout le monde. Plus largement comme nous sommes dans la République, je suis quand même effaré de la dimension que prend l’extrême droite en France, qui tardait à entrer dans le club des pays réactionnaires dans le monde. Elle va désormais y entrer. C’est historique pour les leaders du Rassemblement national. Après ces élections au Parlement européen, il est impératif de réfléchir à ce passé irrécusable et à notre avenir. Nous devons comprendre l’aberration que représente pour nous le fait de soutenir, de manière active ou passive, l’extrême-droite. Voter pour l’extrême-droite est une trahison de ce formidable héritage. Nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier que notre force réside dans notre expérience collective singulière, dans notre diversité ouverte et dans notre capacité à surmonter l’adversité sans rien consentir à une quelconque indigence. Nous devons rester véyatifs, exigeants, intraitables, face à ceux qui tentent de manipuler nos frustrations à des fins inavouables. Ensemble, élevons nos voix contre l’intolérance, la haine, la division et l’injustice. Soutenons des politiques qui favorisent l’égalité, le mutualisme, le social, la solidarité, le respect des peuples, le respect de la dignité humaine dans le respect absolu du vivant. C’est ainsi que nous honorerons la mémoire de nos ancêtres, que nous nous respecterons nous-mêmes et que nous construirons de belles saisons communes pour nos enfants.
Communiqué de Jean-Marie Nomertin et Gabriel Jean-Marie, militants de Combat ouvrier, candidats de la liste « Lutte ouvrière – le camp des travailleurs », après les résultats des élections européennes de 2024
Nous remercions les 2164 votants (5,57%) en Guadeloupe et 1001 votants (2,93%) en Martinique qui ont voté pour la liste « Lutte ouvrière, le camp des travailleurs » en Guadeloupe et en Martinique. Nos camarades Gabriel Jean-Marie de la Martinique et Jean-Marie Nomertin de la Guadeloupe figuraient sur cette liste conduite par nos camarades Nathalie Arthaud et Jean-Pierre Mercier.
Au total, dans l’Hexagone et l’Outre-mer, notre score est de 0,5%.
Nous étions la seule liste à affirmer qu’il faut renverser le capitalisme.
Le Rassemblement national de Jordan Bardella est arrivé en tête, avec plus de 31%. Il est aussi en tête en Guadeloupe et en 2ème position en Martinique. Bardella apparait comme le gagnant d’un rejet populaire anti-Macron. Derrière sa prétendue défense des « petits et de leur pouvoir d’achat », son parti est en réalité l’un des partis de la bourgeoisie qui écrase les « petits » et combat le mouvement ouvrier. Il le fait à visage masqué aujourd’hui et le fera ouvertement demain, dans un contexte de crise économique et de guerre allumé par le capitalisme.
En projetant un tel parti en avant, les travailleurs et les masses populaires se tirent assurément une balle dans le pied. Car il s’agit d’un parti raciste, suprémaciste blanc. Même si pour l’instant il cache son jeu.
Aux Antilles avec plus de 85% d’abstention, l’électorat populaire, avec les salariés, les chômeurs, les retraités du monde du travail, est massivement resté à l’écart des Européennes. Parmi les abstentionnistes, il y a ceux pour qui il faudrait se préoccuper uniquement des relations entre l’État français et la Guadeloupe ou la Martinique. Ceux-là choisissent de se taire sur la réalité du monde capitaliste. Il y a surtout tous ceux qui sont tellement dégoûtés des élections qui ne changent rien à leur sort qu’ils ne sont même plus inscrits sur les listes électorales.
Dans nos deux îles, ex colonies françaises et toujours sous contrôle de l’impérialisme français, ce dégoût est d’autant plus important que tout se décide à 7 000 km de la France et que les séquelles coloniales demeurent vives.
Nos scores demeurent faibles et ce n’est pas nouveau. Mais les 3165 votants qui ont mis un bulletin Lutte ouvrière aux Antilles continuent d’assurer la permanence d’un courant politique qui maintient la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier.
Alors que les grandes puissances capitalistes précipitent déjà de nombreuses régions du monde dans une barbarie sans nom et se préparent de plus en plus ouvertement à une guerre généralisée, l’existence d’un courant révolutionnaire qui affirme qu’il faut renverser ce système capitaliste abjecte et incapable de porter des solutions aux problèmes de la majorité des populations, est fondamental.
C’était aussi une des raisons de notre candidature, car la présence de cette minorité parmi les travailleurs assurera demain la remontée politique du mouvement ouvrier et sa capacité à jouer son rôle révolutionnaire.
Pour Combat Ouvrier
Gabriel Jean-Marie – Jean-Marie Nomertin