L’utilisation intensive et prolongée du chlordécone, un pesticide destiné à combattre le charançon de la banane en Guadeloupe et en Martinique, suscite l’intérêt des chercheurs, notamment ceux de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale(INSERM) et de médecins du CHU de Pointe-à-Pitre.
Le chlordécone est considéré par la médecine comme un perturbateur endocrinien et est classé comme un cancérigène possible. Ce produit, utilisé de 1973 à L992 en Martinique et en Guadeloupe, a pénétré les sols, a contaminé les nappes phréatiques et les produits agricoles.
Compte tenu de la toxicité du produit sur le système nerveux, les chercheurs ont voulu évaluer f impact de l’exposition prénatale ou post-natale au chlordécone sur le développement moteur et cognitif des nourrissons.
C’est ainsi qu’une étude sur la mère et l’enfant, nommée étude « TI MOUN >> a été menée, entre 2005 et2007 , sur une cohorte de 1 000 femmes et leurs enfants vivant en Guadeloupe.
Il s’agissait, pour les médecins, de répondre aux interrogations relatives aux risques sanitaires sur le déroulement de la grossesse de la mère et sur la santé du bébé.
Les examens des bébés se sont poursuivis jusqu’en octobre 2008.
Les premiers résultats ont été rendus publics au 2e trimestre 2009 et sont particulièrement intéressants quant au développement neuro-comportemental des enfants.
Dans un rapport publié en 2007, l’organisation mondiale de la santé (OMS) a confirmé la sensibilité particulière des nouveaux nés à l’exposition aux produits toxiques, surtout dès le stade in-utéro et pendant la période d’allaitement.
En 2012, les premiers volets de cette étude avaient signalé un retard de développement psychomoteur et des déficits quant à la mémoire visuelle chez les nourrissons qui, in utéro, avaient été exposés au chlordécone. Lors des tests, les garçons de 18 mois présentaient des retards dans la motricité fine (tourner les pages d’un livre, faire du découpage, tenir un crayon…)
Les nouveaux résultats de la recherche publiés en janvier 2014, indiquent que l’exposition maternelle au chlordécone a été retrouvée « associée de manière significative à une durée raccourcie des grossesses ainsi qu’à un risque augmenté de prématurité… »
Ces associations pourraient s’expliquer par les propriétés hormonales, œstrogéniques et progestégéniques du chlordécone.
Du fait de sa rémanence, le chlordécone, bien qu’interdit aujourd’hui, est encore présent dans les sols et peut contaminer le poisson, les légumes-racines (igname , patate, manioc), certains produits maraîchers (concombres, carottes, tomates), les œufs… et certaines eaux. L’alimentation reste donc une source importante de contamination et c’est, dans ce cadre, que l’étude TIMOUN s’est intéressée particulièrement à l’alimentation des mères et de leurs enfants.
Basées sur un échantillon de 153 enfants, les observations « ne traduisent pas de troubles graves)). Mais, selon les chercheurs, il faut rapprocher ces observations « des particularités décrites chez les adultes exposés professionnellement aux pesticides, et caractérisées par un appauvrissement de la mémoire à court terme et par la présence de tremblements »
En outre, il n’est pas possible d’affirmer, aujourd’hui, que les anomalies repérées ne vont progressivement pas se transformer en troubles permanents.
Les chercheurs en concluent, et cela relève du principe de précaution sanitaire, que « seul le suivi des enfants au cours des années à venir» pourrait permettre de répondr e aux conséquences du chlordécone.
Revue mgen n° 31 janvier 2015