— Par Gracienne LAURENCE —
Le football, jeu collectif par excellence et combien populaire, bouée de sauvetage, voie d’intégration et de reconnaissance pour certains jeunes en difficulté, chemin de la gloire pour d’autres peut malheureusement ici comme ailleurs être entaché d’incidents graves. Ce fut le cas au cours du match New-Star/Eclair du 22 décembre 2012 où l’arbitre a été lâchement agressé (frappé de dos) par un joueur à qui il avait attribué deux cartons jaunes.
Cet acte déplacé amenait les dirigeants de la ligue de football de la Martinique à tenir une réunion le samedi 19 janvier 2013 (FA du 21 janvier 2013) à laquelle étaient conviés entre autre un psychologue, un représentant de la brigade de prévention de la délinquance, des responsables de clubs de football et un responsable de l’UNAF (union nationale des arbitres de France). En introduction, les organisateurs avaient affiché un slogan très intéressant, fort significatif, posant d’emblée le problème, et traduit en ces termes « je respecte la règle, je respecte l’arbitre » .Effectivement, en frappant l’arbitre, ce jeune faisait état de son manque d’appropriation de la notion de règle mais également de son refus de l’autorité. Car nul n’ignore que sur le terrain de foot, l’arbitre n’est pas à la même place que les joueurs, qu’il représente l’autorité et symbolise la LOI.
Il faut savoir que ces notions fondamentales que sont la règle, la loi, l’autorité, piliers de la vie en société ne sont pas innées. Que l’enfant, dans ses premières années de vie fonctionne selon les spécialistes (pédopsychiatre, psychanalyste, psychologue) sur un mode dit pulsionnel qui le pousse à une certaine violence envers les petits comme lui même. Il est capable de mordre, de frapper. Il est également mué par le principe de plaisir et de toute puissance, qui le rendent exigeant et impatient. Il veut tout et tout de suite. Rien ne doit lui résister. En cas de refus il se met en colère. Il est du devoir de ses parents, et c’est leur mission de l’aider à franchir ce cap difficile, de le faire sortir de cette espèce de sauvagerie originelle en l’éduquant. C’est-à-dire le faire entrer dans le monde réel, la société civilisée faite de contraintes (il faut attendre) et de frustrations (on n’a pas forcément tout ce que l’on veut). Et il y a des règles à respecter (on ne frappe pas, on ne vole pas…), des limites à ne pas dépasser et des interdits à observer. Mais l’enfant de son côté va résister. A charge pour les parents de les lui rappeler encore et encore. Car les interdits et les règles ne sont nullement acquis du premier coup et encore moins définitivement. D’autant plus que l’enfant grandit. Il aura besoin d’intégrer ces bases de la vie en société selon son développement. Donc cette répétition de la part des parents est essentielle pour l’aider à se les approprier, s’en imprégner afin de modifier un comportement primitif. Et enfin se civiliser.
Si être parent est une expérience heureuse, éduquer son enfant est un travail de tous les instants qui demande aux parents de la constance dans les principes posés, de la vigilance afin de repérer les transgressions et les sanctionner immédiatement (sans agresser). Évidemment un climat affectueux est nécessaire afin de nourrir l’estime de soi chez l’enfant, qualité indispensable pour lui permettre d’avancer en toute tranquillité dans un monde de plus en plus compétitif. Vaste programme auquel il n’est pas permis de déroger tant l’enjeu est important. Il y va du bien-être de l’enfant et de la sécurité des adultes.
L’absence d’éducation s’apparente à de la maltraitance. Et le parent défaillant pourrait avoir maille à partir avec les services de protection de l’enfance.
Certains parents se plaignent des difficultés rencontrées pour élever leurs enfants. En Martinique les problèmes viennent de ce que l’on pourrait qualifier de « choc des cultures ». car les parents sont pris en sandwich entre traditions et modernité. Les aînés sûrs de leur statut ne ratent pas une occasion pour rappeler aux jeunes générations les bienfaits d’une éducation à la dure avec comme tête de chapitre les coups (fessées, raclées, humiliations de toutes sortes.). Il faut mater l’enfant. Et c’est pour son bien. Pourtant ces méthodes sont décriées par tous les spécialistes de l’enfance pour leurs effets nocifs sur l’équilibre de l’enfant, la construction de son estime de soi, sans compter les traumatismes physiques (bleus sur le corps, ecchymoses, écorchures). Par ailleurs, l’expérience des châtiments corporels peut altérer la définition que l’enfant se fait de la violence. Comment pourrait-il ne pas frapper ses petits camarades quand il est battu par ceux qui normalement doivent lui assurer bien-être et protection. Mais c’est aussi lui délivrer un mauvais message pour sa future vie d’adulte. Si certains individus qui ont subi des punitions sévères dans leur enfance grandissent avec l’idée que leur expérience était normale, d’autres restent marqués négativement toute leur vie et nourrissent beaucoup de rancœur vis-à-vis de ceux qui les ont fait souffrir. La violence parentale éloigne les enfants de leurs parents. Elle ne favorise ni les confidences ni le soutien que l’enfant est en droit d’attendre de ses parents en cas de difficultés ou de « bêtises ».
Pour ce qui est des principes modernes, ils sont tout aussi déroutants pour les parents. Entre l’obligation de manifester à l’enfant son affection, son attachement mais aussi de négocier avec lui, ils perdent de vue que l’enfant à besoin de fermeté et de règles clairement définies pour se sentir en sécurité. Bien entendu les règles et les limites seront en adéquation avec l’âge et le développement de l’enfant. Tout doit se faire dans un climat de tendresse, d’écoute et de respect de sa personne.
Il n’est pas superflu de rappeler que l’attachement, ce lien fondamental pour l’équilibre psychoaffectif de l’enfant se met en place dès les premiers instant de la vie notamment entre la mère et l’enfant (mais aussi tout autre personne qui lui montre de l’intérêt) grâce aux contacts physiques, aux regards, aux interactions et auditions. Mais ce n’est pas une raison pour faire de son petit un objet d’amour fétichisé au point de ne pas pouvoir le sanctionner en cas de transgression des règles établies.
Concernant la négociation, tous les pédagogues considèrent cette idée comme anti- éducative. Négocier avec quelqu’un suppose en effet qu’il soit sur le même plan d’égalité que vous. Ce n’est pas le cas concernant les parents et les enfants. Les parents ont à apprendre aux enfants des règles que ces derniers ignorent.
Négocier avec un enfant c’est lui laisser croire que les règles et les lois pourraient souffrir quelques aménagements. Ce qui est totalement faux car l’univers des connaissances est structuré par des règles auxquelles chacun doit se soumettre.
Oui, il faut reconnaître que les parents depuis plusieurs décennies sont dans le plus grand embarras face à l’éducation de leurs enfants. Évidemment, ils voudraient tous, faire de leur mieux pour assurer un avenir serein à ceux qu’ils ont engendrés afin qu’ils soient plus tard de bons citoyens respectables et responsables. Mais la tâche se révèle stressante surtout dans un contexte socioculturel en pleine mutation. Par conséquent les parents ont besoin d’informations spécifiques sur le développement de l’enfant, et les principes de base de toute éducation. Il leur faut des lieux d’échanges et d’écoute afin de trouver leurs propres solutions sans paternalisme et en dehors de tout jugement de valeur. Et loin d’être une affaire privée, la question de l’éducation des enfants s’est introduite dans le débat public. Ce qui a conduit différents gouvernements à mettre en place des programmes d’aide à la parentalité avec comme finalité non seulement le bien-être des parents et des enfants mais également la prévention des comportements à risques chez les enfants (incivilités, délinquance…).
Le parent qui met des limites à son enfant lui signifie qu’il existe dans la vie une règle du jeu qui définit comme dans un match de foot ce que l’on doit faire et ce qui est interdit. Connaître la règle du jeu rassure l’enfant et nourrit sa confiance en soi, qualité qui plus tard lui permettra d’oser, d’aller de l’avant, d’entreprendre, de se jeter dans la bataille de la vie et de se séparer de ses parents pour voler de ses propres ailes.
Gracienne LAURENCE
(DESS en science de l’éducation familiale)