Résistante, journaliste et romancière, Edmonde Charles-Roux, décédée mercredi soir, qui partagea près de vingt ans la vie du maire socialiste de Marseille Gaston Defferre, cachait sous ses allures de grande bourgeoise un cœur à gauche, une volonté de fer et les passions d’une rebelle. Edmonde Charles-Roux avait été la présidente des Amis de l’Humanité.
Chignon serré, collier de perles et tailleur chic, Edmonde Charles-Roux au sourire lumineux et au regard énigmatique a été infirmière et résistante sous l’Occupation, égérie d’artistes, féministe, militante socialiste, journaliste de mode et écrivain. Née le 17 avril 1920 à Neuilly-sur-Seine dans une famille issue de la haute bourgeoisie marseillaise, elle passe ses jeunes années à Prague ou à Rome, où son père est ambassadeur auprès du Saint-Siège jusqu’à l’éclatement de la Seconde guerre mondiale.
Edmonde devient infirmière volontaire aux armées. Elle a 19 ans. Résistante à Marseille, elle est appelée par le général de Lattre de Tassigny et reste attachée à son cabinet jusqu’à la Libération. Blessée à deux reprises, elle reçoit la Croix de guerre. Au grand dam de sa famille, elle entre en 1947 au jeune magazine Elle avec Françoise Giroud et Hélène Lazareff. « Ma chance ? La journaliste qui devait couvrir la réouverture de la Scala tombe malade, on m’y envoie. C’est le retour de Toscanini après son exil. Je connaissais ses filles, j’ai été invitée dans sa loge. Hélène Lazareff était enchantée », racontait-elle.
Elle dirige ensuite la rédaction française de Vogue de 1950 à 1966, y imposant une vingtaine de pages culture par numéro. Invités de ces pages, ses amis écrivains et artistes, d’Aragon à Jean Genet, sont trop sulfureux, pour ses patrons américains qui la renvoient finalement pour avoir choisi une mannequin noire en couverture d’un numéro.
En 1955, elle participe aussi à l’écriture des « Rois maudits » de Maurice Druon. « J’ai été un de ses nègres en somme », s’amusait-elle. Son premier roman, « Oublier Palerme », obtient le Goncourt en 1966. Elle devient jurée de la prestigieuse Académie en 1983 puis sa présidente en 2002, seule femme à occuper ce poste après Colette. Elle cédera la présidence à Bernard Pivot en 2014. Malade, elle avait finalement démissionné de l’Académie le 7 janvier dernier, laissant son « couvert » à l’écrivain, dramaturge et metteur en scène Eric-Emmanuel Schmitt.
Femme passionnée, elle l’est aussi en amour. Elle rencontre Gaston Defferre en 1966. Il est marié et le couple se voit clandestinement. « Il était d’une incroyable séduction », avouait cette célibataire farouchement éprise de liberté. Ils se marient en octobre 1973, après sept ans de liaison secrète, et deviennent le couple phare de la cité phocéenne. « Moi, j’étais plutôt pour l’union libre mais cela lui semblait impossible à Marseille… », expliquait celle qui devint l’éminence grise de la culture dans la ville.
Gaston Defferre, maire socialiste de la cité phocéenne et ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, meurt en mai 1986 après vingt ans d’amour absolu, dira-t-elle, avant de lui consacrer en 2001 un récit-photos, « L’Homme de Marseille », ville où elle vivait toujours.
En 1971, elle avait aussi publié chez Grasset « Elle, Adrienne » puis « L’Irrégulière » (1974), biographie de Coco Chanel, qu’elle rencontre presque chaque jour pendant dix ans. Auteur encore de « Une enfance sicilienne » (1981), « Un désir d’Orient » (1989) ou « Nomade j’étais » en 1995, elle signe aussi plusieurs livrets de ballets de Roland Petit. Edmonde Charles-Roux avait été faite en 2010 commandeur de la légion d’honneur.
La bibliographie d’Edmonde Charles-Roux
– « Stèle pour un bâtard » (1959, puis 1980, et republié en 2003 sous le titre « Don Juan d’Autriche, Bâtard de Charles Quint »)
– « Oublier Palerme (Prix Goncourt 1966, traduit en 27 langues, notamment en chinois et en arabe)
– « Elle, Adrienne » (1971)
– « L’irrégulière ou mon itinéraire Chanel » (1974)
– « Le Temps Chanel » (1979, album photographique réédité en 2004)
– « Une enfance sicilienne » (1981)
– « Un désir d’Orient: la jeunesse d’Isabelle Eberhardt » (tome 1, 1989)
– « Nomade j’étais: les années africaines d’Isabelle Eberhardt » (tome 2, 1995)
– « Provence » (1998, photos de Willy Ronis, texte d’Edmonde Charles-Roux qui évoque sa terre de prédilection)
– « L’homme de Marseille » (2001, livre-hommage à son mari Gaston Defferre, prix Méditerranée)
– « Isabelle du désert » (2003)
Par ailleurs, Edmonde Charles-Roux a collaboré avec Maurice Druon à la série historique « Les Rois maudits », dont les premiers tomes sont parus dans les années 50.