Par VÉRONIQUE PITTOLO Ecrivaine
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Je travaille à l’Institut Gustave-Roussy (IGR) depuis 2007, afin de favoriser la créativité des patients atteints de cancer par une pratique soutenue d’écriture. Il s’agit de restaurer l’estime de soi, d’inverser la spirale de l’échec.
Aujourd’hui, l’hôpital s’ouvre à des dimensions qui dépassent le soin, l’enseignement, la recherche. Sous des formes multiples – arts plastiques (1), musique, littérature, théâtre -, une pratique créative dans un espace qui n’est pas dévolu à l’art permet d’améliorer le bien être des patients. C’est aussi une manière subtile de combattre la maladie, de s’engager dans une aventure modeste qui crée du lien. Ma participation, d’abord en pédiatrie, s’est développée ensuite avec les adultes du service d’innovation thérapeutique.
Maladie longue et éprouvante, le cancer fait alterner des périodes de rémission et d’espoir. Dans une vie médicalisée, la pratique artistique permet d’ouvrir une brèche. Si la maladie parasite l’existence, la création propose des pistes de liberté. Le rôle de l’écrivain et la mission de l’hôpital peuvent se rejoindre lors de moments privilégiés, à l’atelier d’écriture fonctionnant comme un laboratoire de création au jour le jour.
Un passionné de football écrira un texte sur le sport, s’il le souhaite, poème ou petite prose, réflexion produite dans ce temps très particulier, parfois accéléré, de la maladie. L’atelier d’écriture n’est pas un récit de vie, ni de l’art thérapie. J’insiste sur la dimension ludique, la fantaisie, l’humour. Chacun possède une respiration personnelle qui permet de rompre avec les formes figées (rimes en poésie, par exemple).
Franchir le seuil d’une chambre d’hôpital n’est pas facile : une personne y est allongée, fatiguée, probablement peu disponible à mes propositions. Là réside l’enjeu. Apprivoiser avec tact, persuader qu’écrire un texte exige peu de temps, un minimum de concentration. A partir d’une idée, quelques mots, une image, c’est possible.
Comment comprendre la maladie quand on n’appartient pas soi-même au monde savant de la médecine ? Donner la parole à des non-spécialistes de l’art, permet d’articuler des univers qui ne se rencontrent pas habituellement. Confronté à la finitude, le patient espère une amélioration de son état, ou bien il se révolte contre ce qui lui apparaît comme une injustice. A cet égard, Mars, de Fritz Zorn, fut une réflexion et une œuvre remarquable. Entre souffrance physique et détresse morale, les patients sont parfois confrontés à des vérités pessimistes qui, dans leurs poèmes, deviennent de véritables leçons de lucidité.
«La roue tourne, la vie devient incertaine
La fin approche, chacun se protège.
Mais qu’ils soient roi, cavalier ou pion
Ils finiront tous dans la même boîte ! (2)»
Parmi mes propositions, je n’hésite pas à utiliser des œuvres qui interrogent l’absurdité de la condition humaine. Le Godot de Beckett fut un déclencheur stimulant :
«Qu’est-ce que je fais maintenant ? Je l’attends. Elle n’a pas honoré son rendez-vous. Je n’étais pas déçu, juste un peu contrarié. Elle n’a pas dit quand elle reviendrait. J’aimerais l’oublier mais je sais qu’elle tiendra sa promesse. Un jour, je souhaiterais qu’elle se dépêche. Je préférerais néanmoins qu’elle me surprenne. J’ai reposé mes bagages. On attendra encore un peu. (3)»
Le Je me souviens, de Perec, permet toutes les digressions :
«Je me souviens d’avoir vu, en Afrique, Idi Amin Dada. Impressionnant… Je me souviens de mon premier chien, chez mes parents, un grœnendael noir qui s’appelait Duc.
Je me souviens quand, gamin, à la pêche en Loire j’ai attrapé mes premiers goujons. Rien que du bonheur…
Je ne me souviens (presque) pas de Tino Rossi. J’ai au moins échappé à cela ! (4)»
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(1) «Sur un lit de couleurs», Christine Géricot (Arènes, 2011). (2) Nassim. (3) Christophe. (4) Didier.
Auteur de : «On sait pourquoi les renards sont roux. Ecrire à l’hôpital» (le Temps des cerises).
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