Vendredi 08 Janvier 19h30 – Tropiques-Atrium
Écho des divinités est un spectacle musical novateur qui confronte trois univers, trois arts : visuels, récit et musique. Il entend faire résonner l’écho des voix des divinités afro-descentes et retracer leurs parcours à travers d’un récit, d’un univers sonore et lumineux. Dans une démarche de création éminemment artistique engagée sur la place du féminin sacré dans les sociétés modernes, le projet pose une interrogation sur le contexte de naissance du syncrétisme dans les religions afro-caribéenne. Il propose de montrer comment l’effigie de la vierge Marie est utilisée comme subterfuge pour prier et interpeller les divinités.
Le projet souhaite mettre en lumière les Dieux-femmes, interroger l’association de divinités non chrétiennes aux saints catholiques – certaines divinités de ce projet étant assimilées à la sainte vierge Marie. Il se propose également d’interroger la place accordée aux femmes dans les religions monothéistes et polythéistes. Il envisage aussi de créer une passerelle entre les arts vivants et les arts numériques. Il projette d’utiliser les outils contemporains pour interroger les pratiques cultuelles et ce pan du patrimoine immatériel du monde.
Ymelda Marie-Louise : chanteuse
Ghassen Fendri : guitariste
Claude Saturne : Tambour d’Haïti
Dantin Daniel
Christophe Borilla : basse
Juliette Delfosse : lumière
Valer’Egouy : narrateur
Jean Erns Marie-Louise : mise en scène
Lionel Lauret : création de vidéo
Joanne Léonin : création visuelle
Peggy Fargues : crédit photo
Avec le soutien de : Ville de Fort-de-France, DAC Martinique, Terre d’arts
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Dieu est-il misogyne?
— Par Marion Festraëts, Patrick Angevin, Siavosh Ghazi et Dominique Lagarde —
Dieu aurait-il une dent contre les femmes? Bonne question, au lendemain de la Journée internationale des femmes. L’Église catholique écossaise a avoué en octobre avoir payé les parents d’une gamine de 12 ans pour que celle-ci n’avorte pas. Au Koweït, le Parlement – en majorité islamiste – vient de rejeter un décret-loi de l’émir accordant aux femmes le droit de vote et d’éligibilité. Depuis novembre, les juives ultra-orthodoxes de Jérusalem ne doivent plus utiliser leur téléphone portable en public, car, selon quatre rabbins, cela «porte gravement atteinte aux règles de la pudeur». En mai 1999, le Vatican a condamné la distribution par l’ONU de pilules abortives aux femmes kosovares violées par la soldatesque serbe. En novembre dernier, une veuve indienne acclamée par la foule s’est jetée dans les flammes du bûcher funéraire de son mari selon la tradition hindoue du sati. En septembre, Chérine, une Jordanienne de 20 ans, a été abattue de trois balles et massacrée à coups de couteau par son cousin. Comme une vingtaine de femmes chaque année, Chérine a été victime d’un «crime d’honneur», absous par les religieux islamistes et un article du Code pénal jordanien, qui assure l’impunité à tout homme châtiant l’une de ses proches soupçonnée d’adultère.
La litanie est encore longue des offenses faites aux femmes au nom de Dieu. Si, reflétant et légitimant la phallocratie ambiante, les religions furent forgées en des temps où la femme ne comptait guère, on comprend moins pourquoi, à l’ère d’Internet et du robot mixeur, leurs interprétations et les lois qui en découlent ont si peu évolué. Les croyantes ont de plus en plus de mal à admettre que Dieu leur ait joué le vilain tour de les vouloir niées, persécutées, cantonnées à des rôles subalternes. Nombreuses, elles réclament dans toutes les confessions une lecture nouvelle, débarrassée des scories de l’Histoire, des livres saints qui les ont mises au pas pendant des siècles. S’il reste aux femmes un territoire à conquérir pour se libérer des derniers carcans, c’est bien celui de la religion. Vaste programme.
Pourtant, à bien y regarder, les choses n’avaient pas si mal commencé. A l’aube des civilisations, les premières idoles du paléolithique et du néolithique sont incontestablement des dames, pourvues des attributs rebondis d’une féminité triomphante. Rien n’indique pour autant que les hommes de l’époque aient particulièrement bien traité leurs compagnes, mais du moins révèrent-ils des divinités féminines. Capable d’enfanter, la femme incarne alors le mystère de la fécondité, comme le sang qui s’écoule d’elle évoque la mort, mêlant intimement en son ventre le secret des origines et celui du trépas. Étroitement liée au cycle de la nature et des saisons, on la loue pour invoquer sa protection ou implorer sa prodigalité.
Cela ne va pas durer. L’apparition des sociétés guerrières et, sans doute, une meilleure compréhension des mécanismes de la procréation désacralisent la femme et mettent un terme à l’âge d’or des déesses fertiles. Les civilisations antiques donnent naissance aux polythéismes dominés par des figures masculines. Le symbole phallique prend le pas sur les douces rotondités maternelles. «C’est la revanche des dieux mâles, explique l’historien des religions Odon Vallet, auteur de Femmes et religions: déesses ou servantes de Dieu? (Gallimard). Pour gouverner à cette époque, il faut se battre. Les dieux sont des chefs de guerre. Les hommes imposent leur domination sur les femmes, qui restent à la maison et perdent leur prestige. Les déesses de l’époque ne sont plus que des gardiennes du foyer.» Jusqu’à ce qu’elles se fassent définitivement déboulonner par les dieux uniques. «La Bible est le premier livre sacré à n’avoir pas de dieu nommé au féminin», souligne Odon Vallet. Des sociétés patriarcales du bassin méditerranéen naissent les trois religions monothéistes – judaïsme, christianisme et islam – attribuant le beau rôle aux mâles. «Dans l’Ancien Testament, deux livres sur 46 sont consacrés à des femmes, et plus de 80% des personnages sont des hommes», dénombre Odon Vallet. Place donc à un seul Dieu, masculin, qui ne va s’adresser qu’à des hommes et n’être enseigné que par des hommes. On sent poindre le malentendu dès la Genèse, qui conte curieusement deux récits de la création d’Adam et Eve. Le premier, qui induit une égalité entre l’homme et la femme, dit que, le sixième jour, Dieu fit l’homme à son image, précisant: «Il les créa mâle et femelle.» Le second texte donne une tout autre version: Dieu ayant créé Adam craint que celui-ci ne s’ennuie et lui octroie une «aide». Il lui prélève une côte pour façonner Eve. Adam est ainsi créé à l’image de Dieu alors qu’Eve l’est à l’image de l’homme. Sur ces bases solides va s’édifier l’histoire de la misogynie sacrée. Saint Augustin décrète: «Homme, tu es le maître, la femme est ton esclave, c’est Dieu qui l’a voulu.» Plus tard, saint Thomas enfonce le clou: «La femme a été créée plus imparfaite que l’homme, même quant à son âme.» Juifs et musulmans ne disent pas le contraire. Pauline Bebe, première et unique femme rabbin de France, ordonnée par la communauté libérale, raconte: «Le Talmud comporte un texte qui dit que Dieu a créé la femme à partir d’une côte de l’homme, car, s’il avait choisi les yeux, elle aurait été curieuse, les mains, elle aurait été chapardeuse, la bouche, elle aurait été bavarde, etc. Mais le texte conclut que, malgré ces précautions, la femme est quand même curieuse, chapardeuse, bavarde…»
Pendant des siècles, les femmes seront vouées aux destins secondaires d’épouses, de mères, voire de signes extérieurs de richesse: le roi Salomon dispose ainsi de 700 femmes et de 2 300 concubines. Les civilisations grecque et romaine ne tiennent pas la femme en plus haute estime. Aristote la voit comme «un mâle stérile», Périclès décrète que «la plus grande vertu d’une femme, c’est de savoir se taire», tandis que la mythologie hellénique est fondée sur la légende de Pandore, première femme de l’humanité, qui ouvrit sa funeste boîte à fléaux et répandit le malheur sur le monde. Les contemporaines de Jésus ne sont guère mieux loties. Si l’homme ne peut se réaliser pleinement que dans le mariage – «Même si un homme étudie toute la Torah et accomplit tous les commandements, s’il ne se marie pas, son âme n’atteint jamais la perfection», affirme la kabbale – il dispose seul du droit de divorcer, ou plutôt de répudier sa femme avec, soyons juste, des obligations matérielles à son égard. Si elle refuse, elle se condamne à la solitude et ne peut contracter d’autre union, sous peine de se retrouver en situation d’adultère et de voir ses futurs enfants exclus de la société des croyants. En rejetant la répudiation pour proclamer l’indissolubilité des liens conjugaux, Jésus fait soudain œuvre de salubrité publique envers les femmes.
Les juives n’ont alors pas accès au Temple les jours de leurs règles ni après un accouchement, tous les «écoulements» corporels étant jugés impurs. Le Lévitique précise qu’une femme venant de mettre au monde un fils ne doit pas approcher du sanctuaire pendant quarante jours. Si c’est une fille, c’est pire: sa pénitence dure soixante jours. Les jeunes filles sont mariées avant la puberté, pour s’assurer que l’époux sera bien le père des enfants – ainsi Marie, promise à Joseph alors qu’elle n’a pas 15 ans. Quant à la femme adultère, on la lapide. Dans ce contexte, Jésus apparaît comme un prophète du féminisme. «Alors que ses contemporains de Palestine tiennent les femmes pour impures, il ne craint pas de se souiller en les fréquentant», constate l’historien Guy Bechtel, auteur du remarquable ouvrage Les Quatre Femmes de Dieu: la putain, la sorcière, la sainte et Bécassine, qui vient de paraître chez Plon. Le Christ n’hésite pas à leur parler, il les guérit, accepte qu’elles le suivent sur les routes de Galilée. Il va jusqu’à dire – suprême extravagance – que les prostituées entreront au royaume des cieux avant les pharisiens. Il n’en convie aucune parmi ses disciples, pas plus qu’il ne les invite à la Cène, mais c’est à Marie-Madeleine qu’il apparaît le jour de la Résurrection.
La maternité inspire le dégoût i Jésus fait preuve d’une étonnante mansuétude envers le beau sexe, les Pères de l’ Église vont se charger de remettre les choses à leur place. Leurs interprétations des Évangiles justifieront vingt siècles de phallocratie. «Les commentaires sur Adam et Eve vont se multiplier, analyse Guy Bechtel. La confiture sacerdotale s’accumulera sur le palimpseste d’origine, au point qu’on ne pourra plus lire le premier message de Jésus.» Alors qu’elle était avant tout mère chez les juifs, la femme n’aura même pas droit à cette consolation dans le christianisme. Puisque les premiers chrétiens s’attendent à une fin du monde imminente, à quoi bon faire des enfants? La maternité inspire même le dégoût: saint Jérôme trouve aux femmes enceintes un «aspect hideux» et saint Ambroise clame: «Heureuses les stériles!» Si la femme n’engendre point, à quoi diable peut-elle bien servir? A rien. Tout au plus fera-t-on de quelques pieuses martyres des saintes acceptables, pourvu qu’elles aient subi stoïquement la torture: Agathe, les seins tranchés, périt nue sur la braise, Cécile est décapitée, Blandine jetée aux lions, Apolline, édentée à force de coups, se jette dans les flammes.
Marie, qui joue finalement un rôle secondaire dans la vie du Christ – deux évangiles sur quatre mentionnent sa virginité – va devenir au fil des siècles l’unique femelle à peu près fréquentable. Jérôme, Ambroise et Augustin affirment que Marie fut vierge non seulement avant la naissance du Christ, mais également pendant et après. «Vers 880, Hincmar de Reims, muni d’on ne sait quelles informations, fournit les détails anatomiques: Marie avait mis son enfant au monde ?vulve et utérus fermés?», s’amuse Guy Bechtel. Cependant, c’est à partir du XIIe siècle qu’on entreprend d’en faire une supersainte, que Rome s’acharnera à rendre la plus éthérée, la plus désincarnée, la plus éloignée du commun des mortelles qui soit, un modèle hors de portée, même de la plus pieuse des dames patronnesses. En 1854, Pie IX parfait le tableau: il proclame le dogme de l’Immaculée Conception, qui fait de Marie l’unique femme née sans la marque infamante du péché originel.
Dès le début, les théologiens conspuent l’amour physique et avec lui l’objet et la source de toutes les concupiscences: si l’homme désire la femme, c’est de sa faute à elle, tentatrice et démoniaque. Et les préjugés ont la vie dure: lors de l’Exposition universelle de 1958, le Vatican choisit une photo de Brigitte Bardot dansant le mambo dans Et Dieu créa la femme afin d’illustrer la salle de son pavillon consacrée au Mal. Pour limiter le plus possible le contact avec la chair honnie de la femelle, on inventa même au XVIIe siècle l’inénarrable «chemise conjugale à faire un chrétien», munie d’un trou à l’endroit idoine.
A la fois putain, infernale et idiote pendant des siècles, les plus brillants cerveaux du christianisme vont rivaliser de zèle fielleux pour éreinter la femme. Et c’est la surenchère. Odon de Cluny écrit au Xe siècle: «Nous qui répugnons à toucher du vomi et du fumier, comment pouvons nous désirer serrer dans nos bras ce sac de fientes?» Guy Bechtel insiste: «Seule, l’Église catholique l’a pensée à la fois inférieure, putain, infernale et, en plus, idiote, ce qui est d’ailleurs contradictoire: comment pourrait-on en même temps avoir les ruses du diable et la bêtise de la bécasse?» Ces élucubrations demeurent cependant l’apanage des beaux esprits retranchés des réalités de ce monde: «Le simple curé de paroisse était loin de tout ça», tempère l’historien. C’est la différence avec l’islam ou le judaïsme ultraorthodoxe, peut-être moins violents dans les textes, mais bien plus coercitifs dans leurs applications.
Reste que cette domination va asseoir pour des siècles la suprématie masculine chez les catholiques. On tiendra les femmes soigneusement éloignées de toute instruction. On leur enjoindra successivement d’être vierges, puis mères, ou tout à la fois, ce qui est malcommode. On les brûlera à l’occasion quand on les croira sorcières et que la rudesse des temps y trouvera son exutoire. Malgré cela, ce sont les religieuses qui constituent le gros des troupes dans les monastères et les couvents – elles sont encore 800 000 dans les ordres, contre 400 000 hommes. Pourtant, Rome n’a jamais débordé d’affection envers ses pieuses filles: pendant des siècles, avec leur consentement et surtout celui de leurs familles, on les enferme dans de froides clôtures (le chauffage est un confort à proscrire), on leur défend de se laver par crainte qu’elles ne se souillent en se touchant, on les maintient dans une ignorance crasse en leur interdisant la lecture des Évangiles et des théologiens, on les empêche de se parler, de dormir, de sortir, bref, on les désespère consciencieusement. Parfois même, si elles ont le tort de prétendre entretenir une relation particulière avec le Christ, on flaire l’hérésie, comme Thérèse d’Avila, Catherine de Sienne ou Hildegarde de Bingen en feront l’amère expérience.
De son côté, le judaïsme continuera de visser les femmes à leurs fourneaux. Si la transmission de la judéité est matrilinéaire, la halaka, la loi juive, interdit aux femmes de prendre la parole dans la synagogue, où elles disposent d’espaces réservés. Soumise à une double injonction déconcertante, la femme juive est censée connaître les 613 commandements de la mitsva, mais n’a pas le droit de les étudier. Le Talmud le stipule: «Mieux vaut brûler la Torah que de la confier à une femme.» Tous les matins, dans une prière rituelle, l’homme remercie Dieu de ne pas l’avoir fait femme. Aujourd’hui, seule la communauté juive libérale – bien implantée aux États-Unis, mais minoritaire en France – reconnaît les ordinations de femmes, telle la Française Pauline Bebe. «Les femmes portent toutes sortes de souillures et doivent se purifier régulièrement par l’ablution rituelle. Il y a incompatibilité entre la sexualité féminine et le sacré», écrivent Agnès Fine et Claudine Leduc dans Femmes et religions (Presses universitaires du Mirail).
Néanmoins, contrairement à l’optique chrétienne, la sexualité n’est pas taboue. «Elle n’a pas seulement pour but la procréation, précise Pauline Bebe, mais également le plaisir, reconnu à l’homme comme à la femme. Mais sa présence perturbe l’homme, qui risque d’avoir des idées déplacées. Pour éviter de le détourner de la prière, elle doit cacher les parties de son corps jugées séduisantes: ses cheveux, ses bras, ses jambes…» Épouses, mères, elles n’ont d’autre fonction sociale que celle de croître et multiplier. «Dans des textes du Moyen Age, raconte Pauline Bebe, on lit que les femmes doivent tenir le foyer pour permettre aux hommes d’aller acquérir l’intelligence à l’extérieur.» Règle toujours de mise chez les ultraorthodoxes, où la femme se doit encore de mettre au monde une nombreuse progéniture dont elle devra s’occuper seule, comme elle devra assurer la subsistance du foyer puisque monsieur étudie. Un vieux proverbe yiddish dit que «Dieu ne pouvait être partout à la fois, c’est pourquoi il a créé la mère juive».
Les sociétés les plus oppressives Partout, la femme a été claquemurée chez elle. Dans l’islam encore plus qu’ailleurs. «La rencontre entre l’islam et l’arabité a produit quelques-unes des sociétés les plus oppressives de la planète en matière de condition féminine, écrivent Sophie Bessis et Souhayr Belhassen dans Femmes du Maghreb: l’enjeu (Lattès). Car l’islam a consacré dans la loi et les faits le règne déjà bien établi dans la région de la famille patriarcale, dont le mâle, plus que jamais l’élu de Dieu, est sans contestation possible le chef.» Le Coran semble pourtant poser une égalité de principe: «L’être humain, qu’il soit homme ou femme, est honoré de par sa création originelle. Cette grâce de Dieu et cet honneur sont décernés […] sans distinction de sexe», écrit la sociologue Fatima Naseef dans Droits et devoirs de la femme en islam: à la lumière du Coran et de la Sunna (Tawhid). La 2e sourate du Coran, un brin grivoise, insiste sur la complémentarité des sexes: «Elles sont un vêtement pour vous, comme vous êtes un vêtement pour elles.» Malheureusement, la plupart des versets sont moins aimables: «Les ambiguïtés du Coran, qui ont permis depuis des siècles la pluralité de ses lectures, ne résident pas dans la question de savoir si les femmes sont inférieures aux hommes, mais dans celle de définir les droits qui leur sont accordés à l’intérieur des limites posées par cette infériorité», analysent Sophie Bessis et Souhayr Belhassen. Ainsi ce passage de la 4e sourate: «Les hommes ont autorité sur les femmes, du fait qu’Allah a préféré certains d’entre vous à certains autres, et du fait que les hommes font dépense de leurs biens en faveur des femmes. Celles dont vous craignez l’indocilité, admonestez-les. Reléguez-les dans les lieux où elles couchent. Frappez-les.» Pour couronner le tout, alors que les fidèles méritants seront accueillis au paradis par des cohortes de vierges enchanteresses, les pieuses musulmanes y retrouveront, en guise d’éphèbes… leurs maris.
Pourtant, l’avènement de l’islam a paradoxalement pu constituer un progrès dans certaines régions. Ainsi le Prophète condamne-t-il une pratique courante de l’Arabie préislamique qui consistait à se débarrasser des petites filles dès leur naissance en les enterrant vivantes. Il limite le nombre des épouses à quatre – et encore faut-il se montrer équitable: «Si vous craignez de ne pas être justes, alors une seule» (4e sourate). Enfin, il permet à la femme d’hériter, sa part équivalant à la moitié de celle d’un homme. Et quand le Coran dit: «Qu’elles rabattent leurs voiles sur leurs gorges», et prescrit une tenue «décente», il ne fait qu’entériner les traditions vestimentaires d’une région où l’on se promenait peu en minijupe. «Bien avant l’islam, les femmes étaient voilées et recluses, y compris chez les juifs et les chrétiens», souligne la sociologue Juliette Minces, auteur du Coran et les femmes (Hachette).
Mais si les juives et les chrétiennes se sont débarrassées de leurs voiles depuis belle lurette, ce n’est pas le cas des musulmanes, qui restent inféodées à ce symbole de leur soumission. Les Européennes ont commencé à s’émanciper timidement depuis la Réforme, qui pose, au XVIe siècle, les premiers jalons en encourageant les femmes à étudier les textes religieux, puis en les associant au ministère de leurs époux. Les chrétiennes, qui, malgré tout, ne subissent ni la polygamie ni l’enfermement, et auxquelles la sphère publique n’a jamais été interdite, vont définitivement prendre au XIXe siècle le chemin de l’égalité. En Occident, l’émancipation est venue plus de la désaffection de la pratique religieuse que du sein des religions elles-mêmes, forcées de suivre le mouvement.
Un parcours inconcevable en terre d’islam, où le culte est d’autant plus prépondérant que la plupart des États tirent leurs législations de la charia, la loi islamique. Inspirés de la loi coranique, les codes du statut personnel régissent la situation juridique de la femme. La polygamie et la répudiation demeurent de rigueur à dans la plupart des États islamiques, au moins dans la loi sinon dans les faits. Suivant la filiation agnatique qui veut que les enfants appartiennent au père et à sa lignée, la mère n’en a pas la garde. Quant à la femme adultère, son sort se règle encore souvent à coups de pierres: un tribunal des Émirats arabes unis vient de condamner à la lapidation une Indonésienne, enceinte hors des liens du mariage.
Néanmoins, les pratiques diffèrent selon les pays. En Afghanistan, les femmes n’ont absolument aucun droit depuis la prise de Kaboul par les talibans en 1996: recluses, elles ne peuvent sortir qu’entièrement dissimulées sous des forteresses de toile ne laissant voir que leur regard grillagé. Elles n’ont pas le droit d’étudier, de travailler, ni même de se faire soigner, puisque tous les médecins sont des hommes. A côté de cet enfer, la vie des Saoudiennes ressemble à un chemin de roses. Pourtant, elles doivent porter le niqab, qui couvre entièrement le visage sauf les yeux, et vivent dans un monde strictement cloisonné, où il leur est défendu de conduire une voiture ou de côtoyer les hommes. Elles disposent d’écoles séparées, de bureaux séparés, de banques séparées… Seul l’hôpital demeure mixte. Dans ce contexte, parler d’émancipation féminine relève de l’humour noir. L’argument de la défense des droits de l’homme est irrecevable dans ces pays, où il représente l’expression du vieux fantasme colonialiste. Le respect du statut traditionnel de la femme reste considéré comme un rempart contre l’acculturation. Pour le sociologue et spécialiste de l’Iran Farhad Khosrokhavar, maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales, la meilleure voie possible passe par la réinterprétation des textes religieux: «Les pays musulmans n’évolueront que si les femmes bougent au nom du Coran, si elles changent la religion plutôt que d’invoquer la modernité occidentale, source de suspicion et de rejet.»
Et ça commence à marcher. En Iran, plus souple que dans les années khomeinistes, le raz de marée réformateur des élections législatives laisse espérer des changements. Le régime autorise les filles à étudier sur les mêmes bancs que les garçons: elles sont scolarisées à 80% et représentent 58% des étudiants à l’université. Elles votent et sont éligibles. Depuis deux ans, on voit même des jeunes femmes maquillées, quelques mèches au vent, se promener dans les rues de Téhéran pieds nus dans leurs sandalettes. Elles raccourcissent leur manteau, qui laisse désormais entrevoir un jean ou des chaussures osées, comme les fameuses bottines rouges de Faezeh Hashemi, la fille de l’ancien président. Surtout, elles peuvent désormais demander de faire figurer le droit de divorcer dans leur acte de mariage, et le juge de la famille peut obliger le mari à verser à sa femme la moitié de ses biens. Selon Farhad Khosrokhavar, l’abandon du voile sera sans doute la dernière conquête des musulmanes, là où son port est obligatoire: «Si elles demandent d’abord le foulard, la société, choquée, se rétractera. Le plus important, c’est de faire passer tout ce qui concerne leur statut, le divorce, etc. Pour obtenir ce qu’elles veulent, elles doivent garder le foulard, garant de leur fidélité à l’islam.»
Les Égyptiennes, quant à elles, viennent de conquérir le droit de divorcer, qui ne leur était accordé que dans des cas extrêmes. Mais elles ont dû renoncer à une autre de leurs revendications: voyager à l’étranger sans l’autorisation de leur mari. Même une femme ministre peut se faire arrêter à l’aéroport sur un simple coup de fil de son époux. Au Maroc, un projet de réforme de la sévère mudawana – le texte qui définit le statut juridique de la femme – est actuellement à l’étude. Il prévoit, notamment, d’élever l’âge du mariage de 15 à 18 ans pour les filles, supprimerait la répudiation et la polygamie, introduirait le droit au divorce et le partage des biens.
Principe d’égalité et doctrines n regard du chemin qui reste à accomplir pour les musulmanes, les points de doctrine qui chiffonnent les catholiques peuvent sembler dérisoires. Des dogmes balayés par les protestants. «Ils n’ont jamais établi de couvents pour y parquer les femmes; Luther n’a pas fait de la virginité une marque d’excellence; et enfin, le mariage des pasteurs leur donne de la femme une connaissance bien réelle», explique Guy Bechtel. «Moins on est au clair sur la place de la femme, plus on idéalise la personne complètement désincarnée de Marie, diagnostique Titia Koen, femme pasteur de l’Église réformée de France. Au contraire, Luther a refusé le culte marial et déclaré que les chrétiens, hommes et femmes, étaient tous égaux devant Dieu. Les protestantes se sont beaucoup investies dans la revendication de leur émancipation, pour l’accès à la contraception, dans le soutien au planning familial.» Le sacro-saint principe d’égalité les a tout naturellement conduites à la pastorale – la moitié des pasteurs français formés actuellement sont des femmes. Depuis 1978, les églises anglicanes ordonnent officiellement des femmes. Les Britanniques, qui ont attendu 1992 pour suivre le mouvement, viennent de nommer une chanoinesse au rang de doyenne de la circonscription ecclésiastique de Leicester, un poste élevé de la hiérarchie. Quant aux Églises protestantes scandinaves, allemandes, et américaines, certaines ont même nommé des femmes évêques. D’autres Églises chrétiennes emboitent le pas des protestants: fondée en 1870 en réaction au concile Vatican I, l’Église Vieille-Catholique – qui compte 500 000 fidèles – vient d’ordonner le 19 février sa première femme prêtre.
Des femmes prêtres? Le Vatican ne veut définitivement pas en parler. Jésus n’a pas choisi de femme comme apôtre, un point c’est tout. Pour se débarrasser du sujet, Jean-Paul II a décrété une bonne fois pour toutes en 1998 que la non-ordination des femmes n’est pas une question de discipline, mais une «vérité de foi». Ce qui empêche ses successeurs de revenir dessus. Lavinia Byrne en sait quelque chose. Cette religieuse catholique anglaise a claqué en janvier la porte de son ordre après trente-cinq ans de vie monastique, car elle ne supportait plus les pressions du Vatican, «dignes de l’Inquisition»: Rome, qui ne lui pardonne pas la publication d’un livre en faveur de l’ordination des femmes, a tenté d’interdire sa diffusion.
Quelques femmes à la barre aideraient pourtant l’Église à évoluer. Selon l’Insee, 75% des pratiquants sont des femmes, mais leur nombre ne cesse de baisser: si 20% des Françaises se disaient pratiquantes régulières en 1983, elles n’étaient plus que 15% en 1993, dont 34% de plus de 60 ans. 90% des catéchistes sont des femmes: sans elles, la foi catholique ne serait plus transmise en France. Pour combien de temps encore? Dès les années 60, les femmes ont commencé à prendre leurs distances avec une Église qui leur imposait de déballer leur vie intime à des confesseurs plus ou moins inquisiteurs. Guy Bechtel cite ainsi les résultats d’une enquête menée en 1968 et en 1969, qui révèle que 80% du temps de la confession était alors consacré à l’examen de péchés sexuels: «Trop longtemps, Rome a cru avoir le droit de sonder les reins et les cœurs des femmes, de réglementer leur vie sexuelle, de distinguer les bonnes des mauvaises chrétiennes, et de corriger plus souvent que de pardonner», allant parfois jusqu’à interdire la communion aux fautives. Les femmes n’acceptent plus de voir leur sexualité régentée par des célibataires retranchés des réalités de ce monde. Résultat: selon une étude de la Sofres, seulement 6% des catholiques se confessaient encore en 1991.
Pas facile de se sentir à l’aise dans une Église qui montre du doigt les utilisatrices de la pilule, qui exclut les divorcés, qui interdit la fécondation in vitro, qui excommunie les femmes ayant subi un avortement. Alors que la plupart de ces problèmes auraient pu être balayés dans la foulée du concile Vatican II – sauf l’avortement, sur lequel l’Église ne reviendra sans doute jamais parce qu’elle prête une âme à l’embryon, fût-ce à la douzième semaine de grossesse – c’est le contraire qui s’est produit. La publication par Paul VI de l’encyclique Humanae vitae, en 1968, a jeté un froid glacial. Comprenant que les commissions vaticanes convoquées sur ce sujet s’apprêtaient à statuer en faveur de la contraception, Paul VI a renvoyé tout le monde et signé un texte – largement inspiré par un certain Karol Wojtyla – qui condamne «toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation». Quand Rome se mit aussi en tête de jeter l’anathème sur les techniques «immorales et illicites» de fécondation in vitro, les fidèles en perdirent leur latin: «Autrefois, l’vglise avait interdit le sexe sans bébé; maintenant, elle interdit le bébé sans sexe», s’étonne Guy Bechtel. Rien dans l’Évangile ne justifie pourtant ces interdits.
S’ensuit le «schisme silencieux»: «Les chrétiens restent des chrétiens, mais ils se sentent de moins en moins liés à Rome», constate Guy Bechtel. Depuis trente ans, les femmes se détournent du culte, et les églises se vident. Le renouvellement des générations ne se fait pas. «En perdant les femmes, l’Église perd tout, analyse l’historien. En s’attaquant à la moitié de l’humanité, elle a commis une erreur grossière. Elle a perdu la guerre des femmes. Y aura-t-il une seconde manche?»
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