— Par Denis Lafay —
Dominique Méda peut s’en réjouir : « la crise nous ouvre les yeux ». Sur quoi ? Les dégâts d’un capitalisme débridé, d’un système, impérialiste, d’économie déréalisée, d’une liberté de circulation des capitaux toxique, d’une politique, ivre, de désindustrialisation et de délocalisation aiguisée par la division internationale du travail. Elle « ouvre les yeux » sur la valeur réelle de métiers communément dégradés – otages d’une conception marchande de l’utilité sociale et sociétale -, sur le délire consumériste et productiviste, sur l’inanité de certains dogmes (PIB). Au final, la sociologue et philosophe met en exergue ce que l’examen de la crise met en lumière : la vacuité d’un modèle de société à la fois épuisé et destructeur. L’heure est aux ruptures, annonce-t-elle. Des ruptures en faveur d’une alter ou post croissance, elle-même au service d’une reconversion écologique assurant justice sociale, emplois utiles, sens du travail, et « conditions de vie authentiquement humaines ». Et des ruptures qui seront soumises au révélateur de la stratégie d’Etat de « relance » : sera-t-elle verte ou brune ? L’arbitrage germe peut-être, en tous les cas la co-auteure d’Une autre voie est possible (Flammarion, 2018) y croit, « dans les consciences citoyennes. Car en ce moment inédit de confinement, y fermente une révolution ».
La Tribune : La métaphore guerrière et la dialectique belliqueuse sont abondamment employées, en premier lieu par le chef de l’Etat, pour caractériser la nature du combat contre l’épidémie de coronavirus. Une métaphore qui peut être, comme l’estime votre confrère Michel Wieviorka, inopportune, mais qui n’est pas sans enseignement. Notamment, par le biais de l’histoire, sur une nécessité : « l’après », s’il est souhaité disruptif, se pense, se débat, se prépare et s’organise « pendant ». Dans un premier entretien (21 mars), vous affirmiez que la crise du coronavirus nous dictait de « tout repenser ». Il est donc « déjà » temps de s’y pencher ?
Dominique Méda : Tout à fait. Et à cette condition, il est possible de croire qu’un changement de société peut découler de la période de confinement et de la pandémie. Prenons l’exemple de la Seconde Guerre mondiale. « Quand », dans ses grandes lignes économiques, sociales, dans le domaine de l’organisation du travail et de la société, l’après fut-il dessiné ? Après la Libération ? Non. Dès 1942. C’est en effet au cœur du conflit mondial que l’économiste anglais William Beveridge publie ses préconisations révolutionnaires qui formeront l’armature économique et industrielle et donneront naissance au « welfare state » (ou État providence) – lui-même consolidé par l’Organisation internationale du travail, dans sa déclaration de Philadelphie adoptée le 10 mai 1944. Quant à la « feuille de route » politique et sociale mise en œuvre dès la capitulation de l’Allemagne en 1945, elle résulte des travaux du Conseil national de la résistance, engagés à partir de 1943…
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