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“entretien avec Jacques Rancière, réalisé par Andréa Benvenuto, Laurence Cornu et Patrice Vermeren à Paris le vendredi 24 janvier 2003.) La question que l’on peut poser à Dominique Berthet est celle de la compatibilité entre sa fonction de critique d’art et celle de professeur d&r…”
Présentation de « 40 entretiens d’artistes (Martinique – Guadeloupe)«
— Par Roland Sabra —
Deux événements sont à l’origine des quelques remarques éparses ci-après exposées. En premier lieu l’ édition de la reprise d’une quarantaine d’entretiens parus initialement dans la revue de Dominique Berthet Recherches en Esthétique et en second lieu la soirée Rencontres pour les lendemains organisée autour de l’artiste martiniquais Ernest Breleur. La lecture de l’entretien inaugural de la re-publication des 40 entretiens est une interview d’Ernest Breleur par Dominique Berthet réalisée en avril 1996. Les différentes périodes qui ont ponctué l’oeuvre de l’artiste jusqu’à ce moment de son parcours sont évoquées en termes de ruptures et de continuité avec un questionnement général sur le sens de l’œuvre, de la vie, de la mort et de la résurrection. Questions posées sur un au-delà du travail d’un artiste particulier et qui contribuaient à la création d’un espace d’intimité entre l’intervieweur et l’intervieweur. Un an plus tard, en août 1997 un second entretien venait confirmer cette intuition. Les questions sont un peu plus longues, un peu plus précises et surtout l’entretien se termine par une interrogation sur l’engagement de l’artiste et la place du critique d’art, celle -ci formulée de façon on ne peut plus directe : « Abordons la question du critique d’art. Comment l’envisages-tu dans sa relation à l’artiste ? (p. 125, 40 entretiens…) C’est d’emblée la question relationnelle qui posée. Et Ernest Breleur de répondre : « C’est celui qui tente d’éclairer le public, celui qui peut aussi moduler le marché, […] celui qui suit et accompagne l’artiste dans les méandres de la création.. Ce critique là est proche de l’artiste, il partage plus ou moins ses convictions, le soutient. C’est celui qui va souvent réfléchir avec l’artiste, qui va l’aider dans ses prises de décisions importantes concernant son travail ; celui qui entretient un échange privilégié avec l’artiste,… qui aborde avec l’artiste tous les aspects de sa création sans rien laisser dans l’ombre… Il établit une espèce de collaboration. Cependant, l’artiste est le maître d’œuvre, le décideur final, celui qui porte et réalise le projet. ( p.126-127 op. Cit).
Déclaration tout à fait intéressante en ce qu’elle définit le rôle du critique d’art comme celui d’un coach dont on rappelle la fonction : « Le coaching est un accompagnement professionnel personnalisé permettant d’obtenir des résultats concrets et mesurables dans la vie professionnelle et/ou personnelle. À travers le processus de coaching, la personne coachée approfondit ses connaissances et améliore ses performances. »
Enchanté, le mot est faible, par la réponse de Breleur, Berthet pousse l’audace jusqu’à préciser « Envisages-tu la possibilité d’une critique qui dépasse l’œuvre ? » Et d’insister sur cette notion en redoublant d’un « c’est-à-dire d’une critique qui accompagnerait l’œuvre jusqu’à finalement la dépasser, […] lui apporter un éclairage imprévisible par l’artiste ? Breleur saisit la perche qui lui est tendue en répondant « La véritable fonction du critique, c’est d’être l’intermédiaire, le médiateur entre l’artiste et le public, malgré le créateur (CMQS).
Comment ne pas faire le lien avec la définition du Larousse de celui qui est « Guide attentif et sage, conseiller expérimenté : Servir de mentor à quelqu’un !
Loin de récuser ce rôle Berthet va non pas s’y précipiter avec délectation mais tenter un double-jeu. En 1998 à la fin d’un troisième entretien comme d’habitude, avec Breleur et Serge Goudin-Thébia il revient sur la fonction de critique qu’il estime « difficile de pratiquer dans cette région en raison d’un problème de proximité propre aux îles. » et dont il rappelle avec Walter Benjamin qu’elle est « affaire de distance convenable ». (p.232, op. Cit) Il y a là comme la reconnaissance de l’abandon d’une position de critique et d’expliquer si ce n’est justifier son faire : « Si je suis en effet en dialogue avec certains artistes, cela ne constitue pourtant pas à mes yeux un travail de critiques. […] Mon action ici est autre. Pour l’heure, il me semble que je suis davantage un acolyte, un stimulateur de réflexion, éventuellement comme certain ont pu le dire, une sorte d’accoucheur de la pensée » !
Berthet sage-femme ? Berthet maïeuticien ? Berthet notre Socrate martiniquais ?
Avant d’aborder la mystification pédagogique lovée derrière la figure du pédagogue socratique on peut s’interroger sur ce que Breleur et Berthet partagent réellement, sur leurs valeurs communes, sur le contenu de cette alliance.
Sur quoi repose-t-elle ? Sur cette idée aussi vieille que le monde à savoir qu’il y a d’un coté des gens qui savent et de l’autre des ignorants et que ceux qui savent ont le devoir, surtout s’ils sont « progressistes » de réduire cet écart, de lutter contre les inégalités. Le maître transmet ses connaissances à l’ignorant qui peu à peu devrait devenir savant. Pour ce faire le maître est toujours un pas devant l’élève, ce en quoi l’ignorance n’est pas un moindre savoir mais une distance, toujours renouvelée et liée à deux positions antagonistes. Peu importe de savoir qui occupe ces oppositions, ce qui compte c’est qu’elles existent, se maintiennent, se perpétuent. Les militants gauchistes qui allaient s’établir dans les années 70 du siècle dernier en ont fait une fois de plus la démonstration. Avant-garde éclairée ils allaient instruire et s’instruire auprès de la classe ouvrière. L’occupation alternée et simultanée des deux positions ne changeait rien et n’a rien changé, la relation de pouvoir inhérente au présupposé de l’existence d’un coté d’un savant et de l’autre d’un ignorant a perduré et perdure encore. On le sait, le militant révolutionnaire est le principal obstacle à l’accomplissement de la révolution puis que celui-ci signifierait la disparition de sa fonction.
Le militant politique et le pédagogue partagent la même illusion et la même certitude. En quoi cela concerne-t-il Breleur et Berthet ?
Breleur qui lui aussi fut enseignant, pense ( en 1997) qu’il existe un au-delà de l’œuvre qu’il réalise. Cet au delà, est-ce une transcendance ? Est-ce ce lieu d’énonciation dans lequel il a déjà rencontré quelques figures de l’omnipotence lorque militant du PCMLF il se réclamait de Marx, Engels, Lénine, Staline Mao, Marie-Jeanne. Chercher l’erreur ! Ou est-ce plus tard quand à l’instar de Claudel près deuxième pilier de la sacristie de Notre-Dame mais pour l’heure de façon plus champêtre lors d’une promenade en forêt du coté de Toulouse la découverte d’une chapelle abandonnée l’a suffisamment troublé pour qu’il peigne peu après la série des Christ.
Le professeur Berthet comme tout bon pédagogue se réfère, explicitement ou implicitement à la méthode de Socrate qui descendait dans la rue, interrogeait le passant, guidait par ses questions son interlocuteur dans le cheminement vers une vérité jusque là méconnue. Ce que montre Jacques Rancières dans le livre qu’il consacra à Jacotot « c’est cela même qui est la méthode la plus abrutissante, si l’on entend par abrutissante la méthode qui fait paraître dans la pensée de celui qui parle le sentiment de sa propre incapacité. L’abrutissement c’est au fond le propre de la méthode qui fait parler quelqu’un pour lui faire conclure que ce qu’il dit est inconsistant et qu’il n’aurait jamais su que ce qu’il avait dans la tête était inconsistant, si quelqu’un d’autre ne lui avait pas montré le chemin pour se démontrer à soi-même sa propre insuffisance. » ((entretien avec Jacques Rancière, réalisé par Andréa Benvenuto, Laurence Cornu et Patrice Vermeren à Paris le vendredi 24 janvier 2003.)
La question que l’on peut poser à Dominique Berthet est celle de la compatibilité entre sa fonction de critique d’art et celle de professeur d’art qu’il poursuit en dehors de l’Université dans sa relation de conseil, de mentor, quand il revendique de pouvoir se placer en surplomb de l’œuvre de l’artiste. En quoi ce discours n’est-il pas le retour d’un refoulé de désir d’artiste ?
Ernest Breleur lors des Rencontres pour les lendemains organisée en son honneur à Saint-Esprit le 16/02/2016 a pris ses distances avec les propos qu’il tenait il y a près de 20 ans de cela, mais sans pour autant les renier. Il dit aujourd’hui ne plus recevoir de critique d’art dans son atelier. On peut penser que la stature de peintre internationalement reconnu acquise entre temps l’invite bien plus encore que par le passé à « compter sur ses propres forces », « à oser lutter, oser vaincre, oser faire… œuvre. »
Fort-de-France, le 17/02/2016
R.S.