—Vu par José Alpha—
Dire que ce spectacle de la Cie des Asphodèles atteste de cette saine agilité et de cette intelligence vivace du jeu théâtral solaire, qui disparait malheureusement aux Antilles et singulièrement en Martinique, sous le poids de « pesantes et savantes préoccupations « sociopolitico scéniques et émotionnelles », est une vérité.
Voici développée là sous nos yeux, une belle leçon de jeux, de mise en scène de comédiens musiciens, chanteurs et « cabotins », issus des imaginaires de Lucas Franceschi, adaptateur et metteur en scène de ce Molière atypique traité au rythme de la rigueur de la Commedia del Arte. Ce metteur en scène comédien ne nous est pas inconnu puisque Michele Césaire, la directrice du Théâtre Aimé Césaire, nous l’avait fait connaitre avec « les Irrévérencieux » au mois de janvier dernier.
Sept comédiens (cinq hommes et deux femmes) tiennent une vingtaine de personnages tous plus « saltimbanques » les uns des autres, « prennent possession du plateau » équipé sur trois niveaux, d’échelles, de zones d’ombre et de plans inclinés, « pour créer un véritable dialogue avec le public. » Jean Marie, un colosse à gueule d’ange, autoritairement le directeur de la troupe de « zanis », veille à l’entrée du public tandis que les comédiens s’échauffent sur la scène du théâtre au vu des visiteurs. Les costumes sont à portée de main sur des portes manteaux tandis qu’une voix de bellâtre remplit le lieu aux rythmes de la gratte manouche. Le public prend place (dans la taverne), l’ambiance est chaleureuse, vraie ; et on se prend à imaginer le vin, le rhum, les grillades, les cris, les brouhahas incompréhensibles des rencontres informelles et tonitruantes où le bonheur se mesure aux décibels (J.J.Alpha). « Théâtre de tréteaux, théâtre de rue, théâtre dans la rue, théâtre de la vie des peuples du soleil, … » a dit Ariane Mnouchkine. Théâtre des pays insulaires, des pays latins et des Amériques du Sud mais aussi des Afriques, où ce qui nous est proposé à voir et à entendre ne doit pas être considéré comme stable et rationnel. Là, se mêlent le fado, la lascive rumba, le frénétique guaguanco, la caliente salsa, les souffrances bèlè et le bluesy, qui nous font basculer dans de joyeuses mélancolies.
Ici vivent des gens, ici des gens se racontent en jouant leurs histoires, ici il y a place pour tout, de la joie à la douleur, de la violence au fil de l’épée et des cascades, des baisers et des tromperies, des grimaces et des masques… tout est vrai et faux, tout est vraisemblable, même les tribulations du séducteur empêtré dans ses propres mensonges, masquent nos vérités jusqu’à la fin de l’histoire. Nous croyons prendre de la distance avec la problématique du Coq de basse-cour, mais Dom Juan 2.0 est encore dans l’ère du temps et se joue aussi par la comédie créole ou italienne. Les énergies comme les facéties, comme les situations, comme les complexités, comme les personnages, comme les ambiances … sont les mêmes face au miroir de la Comédie disait Vincent Placoly en citant Lope Carpio de Véga, l’un des maitres de la Comédie espagnole.
Et puis, il y a Sganarelle, le valet de Dom Juan, qui « est le reflet de la complexité de la pièce de Molière, et dont le rôle est aussi important que celui de son maître ». Magistralement conduit dans cette énième version, le jeu du comédien est total ; permanent et rythmé comme ces horloges qui sculptent la résistance physique et les « bons mots ». Juste et inattendu, léger et pertinent comme les autres comparses guident le spectateur dans les méandres des situations simples qui percutent les imaginaires du public trop souvent immobile, comme trop de comédiens, dans le blocage des mimétismes ou dans la stérilité des plateaux conventionnés. Bon, d’accord, la pièce tourne depuis plus près de 10 ans ; oui, elle est rodée depuis deux ans ; mais sa folie du dépassement est aussi évidente que le plaisir de la jouer et de la vivre, est réel et … pétillant.
Les acteurs : Gaelle Konaté, Jennifer Testard, Serge Ayala, Jean Serge Dunet, Robert Magurno, Fabio Ezechiele Sforzini, Frédéric Tessier
Régie générale du Théâtre Aimé Césaire : Pierre Marie Rose ; lumières Etienne DiBandi, et Romuald Valentin, plateau et décors recréés par Pierre Marie Rose , Roland Poloma et Clovis Joseph, avec l’ Atelier de construction des décors du SERMAC et les Ateliers techniques de la Ville de Fort de France.
Vu par José Alpha (23-04-16)
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