Sorti en avril 2012 sur les écrans français, Viva Riva – polar tourné à Kinshasa sur fond de trafic d’essence entre l’Angola et la RDC, avec autant de violence, de sexe et d’humour qu’un Tarentino – est un film qui a ressuscité le cinéma congolais. Plus encore : il a donné un ton nouveau, décomplexé et décapant au cinéma d’auteur africain. À l’heure où se déroule le Festival panafricain du cinéma à Ouagadougou (Fespaco), son réalisateur, Djo Tunda Wa Munga, revient sur son parcours et évoque ses projets.
Le Point : Viva Riva appartient-il vraiment au genre du polar ?
Djo Munga : Absolument. Je l’ai écrit ainsi, j’aime le polar et ce genre m’a permis de parler des choses très dures que nous avons vécues en RDC, surtout pendant ces vingt dernières années marquées par la dictature, la guerre, les tensions, bref, pas franchement une ambiance à l’eau de rose…
Votre film n’a pourtant pas été sélectionné par le Fespaco...
En effet… Mais je n’étais pas non plus dans la philosophie du festival. Je travaille à montrer une Afrique différente, celle d’aujourd’hui et de demain, celle qui bouge, ce qui peut être dérangeant vu d’un certain cinéma africain qui ne parle pas du même monde et qui n’est pas dans la même dynamique. Mais, par ailleurs, le film a été sélectionné au Nigeria, il a remporté six « african movies awards », devenant le film gagnant par rapport à la sélection anglophone. Donc, il a fait tomber des barrières au niveau inter-africain.
À propos du Nigeria justement, peut-on établir des parentés entre Lagos et Kinshasa, où vous êtes né ?
Dans le sens où il s’agit de l’Afrique urbaine, bien sûr. Elle est peu présente au cinéma et je crois que Viva Riva l’a montrée d’une façon qui parle à tout le monde, populaire, simple, notamment justement grâce au genre polar… Le film a été reconnu à Toronto d’abord, il a fait réapparaître Kinshasa sur la carte du monde, et puis le buzz est parti de là et les achats ont suivi aux États-Unis, en Australie, en Angleterre, au Canada, pour arriver jusqu’à être primé au festival de Berlin. La France est arrivée ensuite, c’est curieux, mais c’est ainsi. Aujourd’hui, le DVD n’est pas édité en France, j’étudie le moyen de m’en occuper par moi-même…
Dans quelle mesure Viva Riva a-t-il pu choquer les mentalités, les publics africains ou d’ailleurs ?
Moi, je crois en l’intelligence du public. Le film ne manque pas de respect aux populations. Vous savez, c’est difficile de filmer la violence, mais il est nécessaire aussi qu’on en parle, qu’on la montre, par rapport à ce que les gens peuvent subir dans d’autres contextes, de guerre notamment chez nous. Curieusement, aux États-Unis, les spectateurs ont jugé ce film très violent, alors que les Américains ne sont pas en retard dans ce domaine. Mais les codes ne sont pas les mêmes. Si la caméra reste un peu plus longtemps sur une scène, une situation, là, vous ressentez profondément le sentiment de violence et c’est ce qui se passe dans mon film. Et c’est ce qui explique sans doute qu’il puisse choquer.
Vous avez fondé dans un quartier calme de Kinshasa une école de cinéma pour vos compatriotes. Dans quel but ?
J’ai suivi des études de cinéma à Bruxelles et j’ai eu l’occasion d’animer des formations tout en préparant mes films à Kinshasa, qu’il s’agisse du premier, Papy, ou de Viva Riva. Après le succès de ce dernier, j’avoue que je ne me suis pas senti de laisser tomber, au contraire. Partager ce qu’on a appris, renforcer le paysage pour que des cinéastes sortent de mon pays, laisser une trace, cela m’importe beaucoup. Cette année, la quatrième promotion est sans doute la première grande promotion que je vois au travail. Ces jeunes réalisent documentaires et fictions et ceux des promotions précédentes ont pu exercer leurs talents au pays, à la télévision, au théâtre, il y a un marché.
Vous passez beaucoup de temps à administrer et à produire, qu’en est-il de votre travail de création personnelle ?
J’ai produit un documentaire sur le photographe Baudouin Mouanda dans une série sur les artistes africains pour la chaîne Al Jazeera, je suis les travaux des jeunes de l’école et j’essaie de monter les financements de mes propres projets. Le premier est un nouveau polar Inspecteur Lou qui se passe entre la Chine et le Congo, c’est un film de gangsters où deux flics, un Congolais et un Chinois, travaillent à Kinshasa, il montre la relation de la Chine avec l’Afrique sans dénonciation néocolonialiste, mais plutôt en observant la rencontre, ce que mon amie l’écrivaine Lieve Joris nomme « la rencontre de deux ruralités ». Le second est une fiction sur un phénomène très connu et très important dans notre culture, la sorcellerie. Ce n’est pas un polar, plutôt un film mystique. Mais, là encore, il faut trouver les fonds.
Justement, on débat au Fespaco cette année les conditions de production du cinéma africain…
C’est très compliqué. Pour Viva Riva, il a fallu que je démontre la possibilité de tourner un film dans un pays comme le Congo. Aujourd’hui, avec Inspecteur Lou, je fais face à la globalisation dans toutes ses difficultés : dans les coproductions, entre la Chine, l’Afrique, qui va prendre le leadership du montage ? Et tout est comme ça… Il faut être patient. La mondialisation a du bon et du mauvais…
REGARDEZ – La bande-annonce et des extraits de Viva Riva sur Lepoint.fr