— Par Yves-Léopold Monthieux —
Quelle empreinte aura laissé Emmanuelli sur le parti socialiste ? C’est la question posée ce matin après la disparition de l’ancienne figure du parti socialiste. Au moment où le passé de banquier d’un candidat à l’élection présidentielle anime la controverse, on rappelle que le dignitaire socialiste avait eu, lui aussi, de hautes responsabilités à la banque Rothschild avant d’embrasser une longue carrière politique. Sa réputation d’homme de gauche ne s’en sera trouvée nullement altérée. On pourrait également évoquer la condamnation judiciaire de l’ancien trésorier du Parti socialiste, sans pour autant lui reprocher sa probité personnelle. Mais pour un Martiniquais, le nom d’Henri Emmanuelli devrait avoir une consonance particulière.
En effet, s’il est vrai que le ministre de l’intérieur de l’époque, Gaston Defferre, est considéré en France comme le père de la décentralisation, c’est son jeune secrétaire d’Etat aux DOM, Henri Emmanuelli, qui a porté à bout de bras la régionalisation en outre-mer. L’étape inoubliable est la réaction de ce dernier suite au rejet par le conseil constitutionnel de son premier projet institutionnel qui consacrait le remplacement du département par une collectivité élue à la proportionnelle. Alors qu’on croyait l’affaire terminée, d’autant plus que le PPM avait été fort inquiet de l’issue de l’élection qui s’ensuivrait, le secrétaire d’Etat a fait une nouvelle proposition dès le lendemain de la décision du conseil constitutionnel. Ce fut le texte portant création de la région monodépartementale qui remit en selle la gauche martiniquaise sous la houlette de Camille Darsières. Tout l’appareil d’Etat avait été mis au service de la victoire de la gauche. C’est pour l’élection de la région, et à cette occasion seulement, qu’avaient été dépêchés en Martinique les experts en sondages du ministère de l’intérieur. D’où la légende des sondages des Renseignements généraux. Avec ses doublons qui allaient obérer le bon fonctionnement de la collectivité, la double collectivité allait durer jusqu’à l’avènement de la CTM, en 2016, au terme d’un débat qui aura occupé la vie politique martiniquaise pendant trente ans.
La ténacité d’Emmanuelli avait surpris Aimé Césaire, lui-même, qui s’était attendu à la désignation à l’Outre-mer d’un homme plus expérimenté, comme Joseph Francesci. Mais sortis groggys de la défaite sans précédent aux élections présidentielles de 1981, et s’exposant aux critiques suscitées par le moratoire, Césaire et le PPM s’étaient en quelque sorte livrés au bouillant secrétaire d’Etat. Par ailleurs, celui qui se plaignait que la gauche jouait localement les challengers alors que celle-ci était au pouvoir en France a montré qu’il n’était pas entré au gouvernement comme en noviciat. Certains élus ou journalistes martiniquais en ont fait les frais, en particulier le maire de droite Victor Charron qui, fait unique dans la république, fut suspendu de ses fonctions par décision ministérielle pour des faits dont il sera lavé par la justice après la perte de sa mairie. On est loin de la situation du maire de St Laurent du Maroni, Léon Bertrand .
Aussi bien, cette évolution institutionnelle de 1983, qui n’a jamais voulu dire son nom, n’a pas été considérée comme une conquête des élus martiniquais mais une mutation octroyée par le gouvernement de François Mitterrand. On peut penser qu’il s’était agi pour celui-ci de donner une compensation du moratoire de son ami Aimé Césaire, qui avait tant fait jaser au sein des partis nationalistes. Camille Darsières, le véritable patron de la nouvelle région en sa qualité de vice-président, celui qui portait avec le plus de détermination la parole de Césaire et qu’on peut soupçonner d’avoir été l’inspirateur du moratoire, avait été l’un des rares élus de la nouvelle majorité à comprendre la décentralisation-régionalisation et à investir promptement les nouvelles institutions.
En donnant les noms de Gaston Defferre et du philosophe Condorcet à deux rues de la ville, la municipalité de Fort-de-France semble avoir oublié qu’Henri Emmanuelli avait été la cheville ouvrière de la régionalisation qui les a portés au pouvoir, et que celui-ci mériterait de partager cet honneur. Cette performance était d’autant plus grande qu’elle avait été sanctionnée, deux ans plus tôt, (redisons-le) aux élections présidentielles, dans des proportions qui pouvaient laisser croire à un coup fatal à la gauche martiniquaise qui avait été dans l’opposition depuis 1958.
Fort-de-France, le 21 mars 2017
Yves-Léopold Monthieux