— par Janine Bailly —
Le titre était prometteur, porteur d’un certain mystère autant que d’une légère aura poétique. Le thème abordé tout autant, qui disait nous faire entrer dans l’univers carcéral d’une prison de femmes, chose assez rare sur scène pour que l’on se sente intéressé. Enfin, une troupe originaire de Guyane, voilà qui n’est pas si courant, aussi étais-je fort curieuse de découvrir un théâtre venu de chez nos relativement proches voisins. C’est donc animée des meilleures intentions, et de fort bonne humeur puisque aller au spectacle est toujours une fête, que j’ai pris place ce vendredi soir dans la salle Frantz Fanon pour assister à cette unique représentation proposée par Tropiques Atrium. Las ! Si les premiers instants me laissèrent quelque espoir — décor sobre, espace de jeu limité par des montants métalliques en rappel des barreaux de la fenêtre figurée sur le mur du fond, une comédienne déjà en place ainsi que le veut la pratique actuelle, une bande son originale faite des bruits de la nuit mêlés à ceux de la prison —, je fus ensuite bien désappointée, la représentation s’étirant assez péniblement en longueur, les jeux et mimiques s’avérant par trop répétitifs voire caricaturaux, une jeune chanteuse talentueuse, à la voix certes jolie, intervenant en bord de scène pour nous délivrer sans raison apparente une sorte de zouk langoureux en langue créole…
Mais gardons-nous de jeter le bébé avec l’eau du bain, tout travail mérite mon respect quand bien même je n’y adhère pas. Et si, malgré ma bonne volonté, j’ai laissé au fil de ces deux heures languissantes mes pensées vagabonder, si je me suis de la salle évadée par esprit et par instants, ce moment théâtral m’a néanmoins permis de découvrir des auteurs, des textes et événements de moi jusqu’alors ignorés. La pièce à succès de Denise Chalem, Dis à ma fille que je pars en voyage, créée à Paris en 2004 et couronnée par deux Molière en 2005, est ce huis-clos carcéral qui veut peindre « la difficile coexistence de deux détenues, et leur affrontement avec le système pénitentiaire ». On comprend bien l’intention de l’auteur : par la répétition des rituels (le plateau-repas, la fouille, la douche et ses dangers présumés, la promenade, le parloir, l’appel au travail etc.), par l’importance donnée en premier lieu aux gestes parfois triviaux de la vie quotidienne, qui servent aussi à camoufler sensibilité et sentiments, par une certaine forme d’autisme où s’enferment d’abord les deux femmes, il s’agit de rendre compte de ce que vivent celles que l’on a privées non seulement de leur liberté, mais encore de leur dignité. Pour autant, ce n’est pas par la gesticulation et les déplacements intempestifs que se laissera convaincre le cœur du spectateur. Et si le théâtre peut choisir de re-créer une réalité, il ne gagne rien à ce qu’on en donne une pâle et servile copie.
On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et de bonnes intentions ce spectacle n’est pas dépourvu. Nécessité était de montrer ce qu’avait d’improbable, entre ces deux femmes arbitrairement réunies par un sort contraire, l’éclosion d’une véritable amitié en forme de complicité face aux instances dirigeantes de la prison. L’une, censée incarner une prolétaire, ou banlieusarde criminelle, forte d‘avoir été la première occupante des lieux, parle cru son langage de charretier, tandis que l’autre, fausse grande bourgeoise tombée en place de son patron et amant véreux, laisse échapper plaintes, pleurs, puis conseils et rires, de lèvres minces et pincées. L’une, dodue, tee-shirt sur pantalon flasque et baskets sales aux pieds, s’oppose à l’autre, mince à souhait, sorte de vierge effarouchée dans ses habits de luxe. La bande-son réussit à me faire imaginer ce qui n’est pas montré, l’environnement délétère qui dans toute prison enserre les cellules. Et les deux comédiennes, semblant prendre plaisir à leur jeu, réussissent à entretenir le suspense qui consiste à peu à peu dévoiler de l’autre le passé, le prénom, l’identité, le crime commis, enfin la véritable personnalité. De plus, une comparse, tout de noir vêtue, vient à plusieurs reprises nous dire des extraits de la pièce Le Sas, que l’écrivain dramaturge Michel Azama publia dès 1989 à L’Avant-Scène Théâtre, et qui est depuis régulièrement jouée. S’il est vrai que ces déclamations se superposent inutilement à ce qui est montré, il est bon de les entendre quand on sait qu’il s’agit de confidences recueillies par Azama lui-même, grâce au truchement d’un atelier d’écriture, auprès de douze détenues à la prison pour femmes de Rennes. Je ne peux m’empêcher d’évoquer pour finir les deux représentations que j’ai pu voir de cette pièce, Le Baiser de La Femme Araignée, adaptée du roman de Manuel Puig, l’une à Avignon, l’autre à Lisbonne, et qui montrait en un huis-clos d’une force exceptionnelle comment un homosexuel arrêté pour détournement de mineurs et son compagnon d’infortune, prisonnier politique, se liaient d’amitié dans leur cellule et entraient ensemble dans l’univers des vieux films romantiques que le premier racontait au second.
Une fin d’année culturelle pour moi un peu triste car, si je me retourne sur ces derniers moments, je vois aussi une Biennale de Danse en demi-teinte, puis une mise en espace un rien laborieuse du récit Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Mais regardons bien plutôt l’horizon, la saison est morte, vive la saison prochaine, et que viennent de nouveaux émerveillements à Tropiques Atrium !
Janine Bailly, Fort de France, le 4 juin 2016
Photo Paul Chéneau