— Par Selim Lander —
Lars Van Trier : The House that Jack Built
Le cinéma réserve bien des surprises ; c’est ce qui fait son charme, même si toutes les surprises ne sont pas agréables. Ainsi de The House that Jack Built, le dernier film de Lars Van Trier qui s’enlise assez vite malgré un début tonitruant et sombre à la fin dans le ridicule avec une représentation de l’enfer (pas un enfer métaphorique : le vrai !) cheap et kitch. Il est vrai que regarder les exploits d’un tueur en série pendant presque deux heures devient vite lassant, même si ce dernier (Matt Dillon) est un extraordinaire manipulateur qui parvient toujours à se sortir des situations les plus dangereuses, … jusqu’au moment où le diable (Bruno Ganz) vient réclamer son dû. On se demande d’ailleurs pourquoi (aucun pacte satanique n’ayant été passé) et pourquoi à ce moment-là de l’intrigue (?) Le film est interdit au moins de 16 ans, ce qui se conçoit : conformément aux règles du genre, certaines images s’avèrent difficilement soutenables. On peut, sans dévoiler le scénario, mentionner la séquence au cours de laquelle Jack, notre sinistre assassin, après avoir attiré à la campagne une mère et ses deux jeunes enfants se met à leur tirer dessus comme des lapins… Peu adepte, nous-même, des jeux de massacre – cinématographiques ou non – nous préférons garder en mémoire le prologue du film, la scène qui décida de la vocation de tueur, laquelle scène fait intervenir une dame victime d’une crevaison, une « emmerderesse » si horripilante que l’on comprend qu’un individu psychologiquement fragile comme Jack finisse par « péter les plombs ».
On a beaucoup parlé, à sa sortie, de Blackkklansman de Spike Lee, grand prix du jury à Cannes, film populaire au meilleur sens du terme, avec ce qu’il faut de comédie pour faire passer des vérités dérangeantes. Le pitch – Ron, un policier noir (John David Washington) qui réussit à pénétrer le Ku Kux Klan – fait tout de suite mouche par son impossibilité même. Un Noir membre du « Klan » ! Parfait oxymore. Pour rendre cette invraisemblable histoire néanmoins possible, il a fallu imaginer non pas un mais deux policiers. Le Noir pénètre effectivement en premier le KKK grâce au téléphone et il entretiendra bien une relation assez étroite avec le grand chef du Klan, toujours par téléphone, mais lorsqu’il faudra se présenter physiquement aux membres locaux du Klan, Flip, un collègue blanc (Adam Driver) se substituera à lui. Cela étant, le scénario est plutôt bien ficelé, Ron interviendra lui-même activement dans des moments cruciaux, une première fois pour sauver son collègue par une diversion, une deuxième fois lorsque son supérieur dans la police de Colorado Springs le désignera comme garde de corps du grand chef du Klan lors de sa visite dans la ville. La ficelle est grosse mais passe bien, ce qui n’empêche pas des invraisemblances plus difficile à avaler, comme lorsqu’un attentat est non seulement déjoué par miracle mais provoque simultanément la mort de ceux qui l’ont fomenté, tout en épargnant l’oie blanche (et grasse), épouse de l’un d’eux, chargée de poser la bombe. Passons. On est tenté de s’intéresser plutôt à la belle histoire d’amour entre le héros et une ravissante étudiante activiste : amour impossible, là encore, mais qui avance bon train pourtant, l’étudiante détestant par définition tous les policiers. Le film est rondement mené, les policiers sont sympas (à l’exception du raciste de service qui sera puni à la fin). Si l’on n’est pas obligé de croire à l’histoire qui nous est racontée, on passe un bon moment… jusqu’à ce que tout change lorsque Spike Lee remplace sa fiction par des bandes d’actualité récentes sur les affrontements de Charlottesville. On se souvient que des marcheurs qui manifestaient en faveur des droits des Noirs, Black lives matter (après de nouvelles bavures policières) se sont alors heurtés à des suprématistes blancs désireux d’en découdre. Le réalisateur reprend également la déclaration de Trump qui renvoyait dos à dos les deux parties comme si on pouvait leur imputer pareillement la responsabilité des violences. Que dire de plus de ce film sinon que le succès de cette « comédie policière » qui se transforme en un rappel salutaire de la réalité sociale américaine apparaît amplement mérité ?
Blackklansman était programmé dans le cadre de Martinique Jazz Festival 2018. La bande originale est composée par le trompettiste Terence Blanchard, invité au festival.
NB : La chaîne de télévision Arte a programmé le 30 novembre l’émouvant documentaire consacré à Janis Joplin que les Martiniquais avaient pu découvrir à l’occasion d’un précédent festival de jazz.