Desrivières, poète créole.

— Par Michel Herland.—

 Jean-Durosier Desrivières dont les lecteurs connaissent peut-être déjà le recueil précédent, « Bouts de ville à vendre » (1), qui racontait la ville de Port-au-Prince (d’avant la catastrophe du 12 janvier 2010) en des vers jubilatoires, nous offre maintenant un choix de poèmes redoublés, la version créole (que l’on doit croire originale) sur la page de gauche faisant face à la version française à droite (2). L’exercice qui consiste à produire deux poèmes qui disent la même chose (ou à peu près) en des langues différentes est évidemment risqué.

Quoi qu’il en soit, cet exercice dont Robert Berrouët-Oriol, dans sa préface, rappelle qu’il a déjà été tenté par Georges Castera dans « Tanbou kreyol – Tambour créole », nous pousse inévitablement à comparer les vertus des deux propositions poétiques, celle en créole haïtien et celle en français standard. Qu’on en juge :

« Nou kreye sous nou

« Nous avons créé notre langue

ak lang nou

avec nos langues

ak dan nou »

avec nos dents »

« Men mwen pran

« Ma main a pris

chimen jaden ou

le chemin de ton jardin

pou wè plezi

pour saisir le plaisir

k’ap fè lapli sòti

provoquant la pluie

nan

entre

fant janm ou »

tes jambes »

 

 

Bien sûr, la réception de la poésie est affaire de sensibilité personnelle. Cette subjectivité assumée, la confrontation des deux versions nous pousse à conclure en faveur du créole. Même si la lecture attentive du recueil propose des contre-exemples, comme ci-dessous :

 

 

« Cheri

« Chérie

annou kite mo yo gonfle

laisse les mots gonfler leurs

venn yo devan tout devenn »

veines face à toutes déveines »

 

En réalité, il serait vain de vouloir établir une hiérarchie entre deux langues qui, bien que jouant sur des registres différents, ont servi à la perfection tant de poètes. En décidant de se traduire lui-même, Desrivières n’a pas fait disparaître la contradiction majeure de toute traduction de la poésie. La poésie est le vecteur par excellence du génie d’une langue. Sa réussite repose sur l’adéquation entre les sensations, les émotions que l’auteur souhaite exprimer et les mots qu’il choisit pour ce faire. Contraint d’utiliser d’autres mots pour exprimer les mêmes sentiments, le traducteur a peu de chances d’atteindre d’aussi hauts sommets. À cet égard s’avère particulièrement éclairante la comparaison entre les traductions françaises des poèmes créoles de « Lang nou souse nan sous » avec les poèmes écrits directement en français de « Bouts de ville à vendre », éclatants de cruauté et de sensualité.

 

Le lecteur non créolophone n’en appréciera pas moins ces traductions qui lui fournissent une occasion inespérée de s’immerger dans les poèmes en créole haïtien, d’en pénétrer le sens, d’en apprécier la succulence singulière.

 

 

Michel Herland.

 

 

 

 

(1) Cf. Michel Herland : « Jean-Durosier Desrivières, un nouveau poète haïtien », Antilla n° 1447, 17 mars 2011, p. 31.

 

(2) Jean-Durosier Desrivières, « Lang nou souse nan sous – notre langue se ressources aux sources », Paris, Caractères, 2011, 98 p.