Gérald Bloncourt était né en 1926 en Haïti ; il est mort à Paris en 2018 à l’âge de quatre-vingt-onze ans, laissant une œuvre multiforme : photographies d’abord puisque ce fut son métier à « l’Huma » (il était communiste), puis devenu reporter indépendant dans divers magazines. Mais il fut également poète (1) et peintre. Sa jeunesse s’était passée en Haïti. En 1946, parce qu’il avait joué – en compagnie de René Depestre et de Jacques Stephen Alexis – un rôle déterminant dans la révolution dite « des œillets », il fut condamné à mort et finalement expulsé. Après la chute de Jean-Claude Duvalier (« Bébé Doc »), en 1986, il est retourné en Haïti.
Jean-Durosier Desrivières est né en 1972, lui aussi en Haïti. Il est diplômé de l’École Normale Supérieure de Port-au-Prince et de l’Université des Antilles et de la Guyane en Martinique (où il réside actuellement). Spécialiste de littérature francophone, en particulier du poète haïtien Georges Castera fils (1936-2020), il a contribué à de nombreux ouvrages parmi lesquels le Dictionnaire des écrivains francophones classiques (2). Il écrit également pour le théâtre ainsi que des poésies.
Ami de Gérald Bloncourt, c’est ici le poète qui accompagne les tableaux du premier. Le titre, Imaginaires jumelés et le sous-titre, Poésie-images d’Haïti-Caraïbe, indiquent bien le propos. Trente œuvres picturales (préexistantes en l’occurrence) de G. Bloncourt sont « illustrées » par les textes de J.-D. Desrivières. Aimé Césaire avait fait de même, en 1982, avec des eaux-fortes de Wifredo Lam (3).
L’œuvre picturale de G. Bloncourt, pour autant qu’on puisse en juger dans cet ouvrage, se rapproche sur le plan esthétique de ce que les historiens de l’art nomment « l’École afro-caraïbe ». La trentaine de tableaux réunis ici représentent des figures anthropomorphes stylisées dont les visages évoquent très directement des masques africains. Deux exemples, Les Loas (1999 – repris dans le recueil) et Les Demoiselles de Miami (ci-dessus, 1989 – non repris) permettront de se faire une première idée de cette peinture. Ce qui n’empêche pas de repérer certaines parentés, ici avec Matisse, là avec Picasso ou Basquiat…
Les courts poèmes de J.-D. Desrivières (une centaine de mots au maximum), en vers libres (qui écrirait de la poésie autrement de nos jours ?), contiennent de belles trouvailles. A titre d’exemple et au fil du livre :
Le roucou du cœur se caille au cou
Nous avons confié l’oracle et la rage de nos yeux aux étreintes d’imaginaires aux recettes d’armoiries
Les rêves se ressourcent
de chair fine et vibrante
de corps coulant du désir
Foule de regards lacérés de silence
Une perle éclatée dans sa tête de chat
Il faut ajouter qu’une vraie symbiose s’opère entre textes et images. Sans être une paraphrase, encore moins une glose ou une exégèse du tableau, le poème apparaît le plus souvent comme son complément naturel, comme si les deux procédaient du même élan.
Gérald Bloncourt et Jean-Durosier Desrivières, Imaginaires jumelés – Poésie-images d’Haïti-Caraïbe, Paris, CIDIHCA, 2022, 96 p., 15 €.
(1) Voir la présentation de Voyage au bout des vagues (2008) par Widad Amra : https://www.madinin-art.net/hommage-a-gerald-bloncourt-par-widad-amra-poetesse/
(3) https://mondesfrancophones.com/mondes-sud-americains/picasso-cesaire-lam-triangle-de-la-creation/