Desmond Tutu, né le 7 octobre 1931 à Klerksdorp en Afrique du Sud et mort le 26 décembre 2021 au Cap1, est un archevêque anglican et militant des droits de l’homme sud-africain. Il reçoit le prix Nobel de la paix en 1984.
Auteur d’une théologie ubuntu de la réconciliation et proche de Nelson Mandela, il fut ensuite le président de la Commission de la vérité et de la réconciliation, chargée de faire la lumière sur les crimes et les exactions politiques commis, durant l’apartheid, au nom des gouvernements sud-africains, mais également les crimes et exactions commis au nom des mouvements de libération nationale.
Biographie
Origines
Desmond Tutu est né à Klerksdorp, dans le Transvaal, le deuxième des trois enfants de Zacheriah Zililo Tutu et de son épouse, Aletta. La famille Tutu déménage à Johannesburg quand Desmond a douze ans. Son père est enseignant et sa mère est femme de ménage et cuisinière dans une école pour les aveugles.
Études
Desmond Tutu fait ses études dans la ville de Johannesburg. Il veut dans un premier temps devenir médecin, mais de telles études coûtant trop cher pour sa famille, il se destine à devenir instituteur, tout comme son père. De 1951 à 1954, il étudie et commence à enseigner en 1954 au Johannesburg Bantu High School. En 1955, il se marie à Nomalizo Leah Shenxane, une enseignante ; ils auront quatre enfants. Mais il démissionne en 1957, pour protester contre la mauvaise qualité de l’enseignement donné aux Noirs.
Il décide alors de s’orienter vers la théologie. Il est ordonné prêtre de l’Église anglicane en 1961 et devient l’aumônier de l’université de Fort Hare. Fort Hare est à l’époque une des seules universités de qualité pour les Noirs d’Afrique du Sud et d’Afrique australe ; les principaux dirigeants actuels du pays y ont étudié. Desmond Tutu obtient en 1966 une maîtrise en théologie au King’s College de Londres, et retourne ensuite en Afrique du Sud, où il travaille comme professeur de théologie.
De 1972 à 1975, il revient en Angleterre, où il est le vice-directeur du Theological Education Fund (TEF) du Conseil œcuménique des Églises à Bromley dans le Kent. Nommé doyen du diocèse de Johannesburg en 1975, il est le premier Noir à occuper ce poste. Il devient évêque du Lesotho (1976-78), puis premier secrétaire général noir du Conseil œcuménique d’Afrique du Sud (1978-85).
Militantisme contre l’apartheid
Après l’assassinat, en 1977, de Steve Biko, fondateur du Mouvement de conscience noire et co-organisateur des émeutes de Soweto, Tutu fit le prêche lors de ses funérailles. Il rendit par la suite hommage à Biko et au Mouvement de conscience noire, qui avait attiré l’attention sur la dimension performative du langage et non simplement descriptive, conduisant ainsi les Noirs à se mésestimer eux-mêmes. Tutu participe aux réunions clandestines du Black consciousness movement. Au sein du TEF, Tutu participe aussi au mouvement de Black theology (théologie noire) et s’initie à la théologie de la libération venue d’Amérique latine.
Au cours de plusieurs années de sermons et de prédications, il fait passer « un message de paix et de non-violence ». Il critique aussi bien l’apartheid que les Noirs qui réclament vengeance. Ses prédications contribuèrent à la lutte pacifique menée contre les gouvernements afrikaners, et c’est pour ce combat pacifiste contre le système de l’apartheid, qu’il reçoit le 16 octobre 1984, le prix Nobel de la paix. Pour lui, la paix entre les peuples est la seule voie possible.
Auréolé de sa nouvelle stature internationale, le 7 septembre 1986, il est nommé archevêque du Cap, pour l’Église anglicane d’Afrique du Sud, devenant le premier Noir à occuper cette fonction. Cette nomination est critiquée par ses opposants. Il organise alors des protestations contre la ségrégation raciale et des campagnes de boycottage, dont celle du charbon d’Afrique du Sud. Il milite également pour des écoles communes, qui représentent pour lui une étape essentielle dans la réconciliation de l’Afrique du Sud. Il milite aussi contre la réglementation des déplacements des Noirs, les « pass-laws ».
Le président de la Commission de la vérité et de la réconciliation
Desmond Tutu devient en 1995 président de la Commission de la vérité et de la réconciliation créée par le président Nelson Mandela. Après trois ans d’enquêtes et des milliers d’auditions, il rend publiques les conclusions de la Commission en 1998. Ce dossier est aujourd’hui considéré comme l’une des pierres angulaires de la réconciliation sud-africaine.
Positions politiques
Rôle en Afrique du Sud
Il dénonce, entre autres, le montant des salaires des députés du Parlement sud-africain qu’il juge exorbitants, la politique de vente d’armes, qui rapporte beaucoup d’argent au nouveau pouvoir sud-africain.
En ce qui concerne la politique étrangère de l’Afrique du Sud, il dénonce le silence de son pays envers le régime de Robert Mugabe, le président du Zimbabwe voisin. Il compare d’ailleurs Robert Mugabe à « une sorte de Frankenstein ».
Lors des élections générales sud-africaines de 2009, il refuse d’apporter son soutien à Jacob Zuma et critique les dérives, selon lui, « d’une démocratie sous la coupe d’un parti ultramajoritaire ». Il est nommé en 2005, par le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, membre du Haut Conseil pour l’Alliance des civilisations.
En août 2011, il propose aux ministres noirs de vendre leurs voitures luxueuses ainsi que de taxer les Blancs pour avoir bénéficié de l’apartheid. Ces propos provoquent une polémique dont la réprobation de la fondation de Frederik de Klerk, le mettant en garde contre « la dangereuse idée de culpabilité raciale » et l’accusation par d’autres de s’aligner sur les positions du chef de la ligue de Jeunesse de l’ANC, Julius Malema, parfois accusé de ‘racisme’, pour avoir entre autres suggéré d’exproprier sans dédommagement les fermiers blancs de leurs terre.
Initiatives internationales
Le 18 juillet 2007, à l’initiative du milliardaire Richard Branson et du musicien Peter Gabriel, Nelson Mandela, Graça Machel et Desmond Tutu convoquent à Johannesburg une assemblée de dirigeants influents du monde entier qui veulent contribuer, « à l’aide de leur expérience et de leur sagesse », à résoudre les problèmes les plus importants de la planète. Nelson Mandela annonce la formation de ce conseil des Global Elders (les anciens, ou sages, universels) dans un discours lors de son 89e anniversaire14. Desmond Tutu est président du conseil et ses membres fondateurs incluent également Kofi Annan, Ela Bhatt, Gro Harlem Brundtland, Jimmy Carter, Li Zhaoxing, Mary Robinson et Muhammad Yunus.
Tutu soutient en 2008 le pasteur controversé Jeremiah Wright, figure de la théologie de la libération noire qui avait lui-même apporté son soutien au candidat à la présidentielle Barack Obama, avant que celui-ci ne rompe ses liens avec Wright. Tutu lui-même s’est pourtant éloigné de la théologie de la libération, en définissant une éthique au-delà de la théologie de la libération. Concernant Wright, il déclare ainsi que ce dernier a dit sans fioritures « ce que presque n’importe lequel Afro-Américain aurait envie de dire », c’est-à-dire que « la race est un enjeu central », appelant aussi à un « forum de réconciliation » aux États-Unis.
Il se joint fréquemment à d’autres lauréats du prix Nobel de la paix et inaugure des actions pour soutenir Aung San Suu Kyi, et le 14e dalaï-lama. Au mois de mars 2009, il a été rejoint par plus de 40 célébrités et 10 000 signataires dans une lettre sur thecommunity.com exhortant les officiels chinois à « cesser de nommer, blâmer et abuser verbalement » le dalaï-Lama, et en appela au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme à visiter le Tibet et faire un rapport à la communauté internationale.
Desmond Tutu est membre de la fondation PeaceJam, membre d’honneur du Club de Budapest et fait partie du groupe des Global Elders, anciens dirigeants à la retraite qui tentent de contribuer à des solutions pacifiques aux problèmes de la planète. En 2012, il a refusé de participer à une conférence en Afrique du Sud à laquelle avait été invité l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair : « la décision immorale des États-Unis et de la Grande-Bretagne d’envahir l’Irak en 2003, basée sur le mensonge selon lequel ce pays possédait des armes de destruction massive, a déstabilisé et polarisé le monde plus qu’aucun autre conflit dans l’histoire », explique Desmond Tutu qui à l’époque, en 2003, avait appelé Condoleezza Rice, la conseillère de George Bush pour la sécurité, quelques jours avant le déclenchement de la guerre, pour lui demander qu’on laisse plus de temps aux inspecteurs chargés de trouver les armes de destruction massive irakiennes. « Selon quel critère devons-nous décider que Robert Mugabe [le Président du Zimbabwe, ndlr] doit être traduit devant la justice internationale, mais que Tony Blair doit participer au circuit des conférences, que Ben Laden doit être assassiné, mais que l’Irak doit être envahi, non pas parce qu’il possède des armes de destruction massive, comme Blair, le premier supporter de Bush, a fini par l’admettre, mais pour se débarrasser de Saddam Hussein ? » Conclusion : « Why I had no choice but to spurn Tony Blair, I couldn’t sit with someone who justified the invasion of Iraq with a lie (Pourquoi je n’avais pas d’autre choix que d’éconduire Tony Blair, je ne pourrais pas siéger à côté de quelqu’un qui a justifié l’invasion de l’Irak par un mensonge) », titre choisi par The Observer du 2 septembre 2012 pour l’entretien dans lequel Desmond Tutu a fait ces déclarations.
En juillet 2010, il annonce son retrait prochain de la vie publique pour consacrer plus de temps à sa famille.
Par ailleurs, en juillet 2007, il est l’un des premiers à répondre au programme « les Ambassadeurs d’Oxfam » lancé par l’ONG pour accroître sa popularité et améliorer son action.
En 2007 à l’université du Cap Desmond Tutu s’exprime sur la liberté d’expression dans les nouvelles technologies.
Opposition à l’homophobie
Desmond Tutu est publiquement engagé dans la lutte contre l’homophobie, ayant comparé l’homophobie au racisme durant l’apartheid en Afrique du Sud. Et déclare en 2013 être « aussi dévoué envers cette campagne [contre l’homophobie] que lors de celle contre l’apartheid ». Il a également indiqué qu’il ne pourrait pas vénérer un Dieu homophobe, et qu’il préférerait aller en enfer que dans un paradis homophobe.
En février 2014, il s’insurge contre la ratification par le président ougandais Yoweri Museveni d’une loi qui pénalise les relations homosexuelles dans ce pays et qu’il compare aux lois de Nuremberg (Allemagne nazie) et à l’apartheid.
En juin 2016, aux Pays-Bas, il bénit le mariage de sa fille, le pasteur anglican Mpho Andrea Tutu, avec une autre femme, Marceline van Furth.
Sur la fin de vie et le suicide assisté
En 2016, à 86 ans, bousculant un des dogmes les plus sacrés de l’Église chrétienne, il déclare dans une tribune être favorable à ce que les malades incurables et les mourants puissent décider eux-mêmes de l’heure de leur départ, dans la dignité.
Le changement climatique
Le 10 avril 2014, il publie dans The Guardian l’article : « Pour sauver le climat, il faut boycotter les compagnies d’énergie fossile ».
Rencontres avec le dalaï-lama
Desmond Tutu rencontra son ami de longue date le 14e dalaï-lama en 2004 lors d’une conférence organisée par Victor Chan à Vancouver, et ayant pour thème la paix et la réconciliation.
Faute de visa, le dalaï-lama ne put se rendre aux célébrations des 80 ans de Desmond Tutu en octobre 2011. La justice sud-africaine qualifia d’illégal le retard dans la décision de délivrer ce visa. Desmond Tutu a rendu visite au dalaï-lama le 10 février 2012 sur son lieu de résidence à Dharamsala en Inde.
Desmond Tutu déclare « remercier Dieu d’avoir créé le dalaï-lama », et justifie son attachement à celui-ci, en expliquant que selon lui, « Dieu n’est pas un Chrétien ».
En 2014, il appelle le pape François à rencontrer le dalaï-lama, mais à la suite de son refus, il se dit « profondément attristé et bouleversé ».
En 2017, le dalaï-lama ne peut se rendre à son anniversaire, mais s’adresse à Desmond Tutu par une vidéo où il le qualifie de précieux dans ce monde troublé.
Mort
Desmond Tutu meurt le 26 décembre 2021 au Cap, en Afrique du Sud, à l’âge de 90 ans. Le président Cyril Ramaphosa loue un « patriote sans égal », tandis que la Fondation Nelson-Mandela salue la disparition d’un « penseur, leader et berger ».
Juste après l’annonce publique de sa mort, La reine Élisabeth II, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies António Guterres, Emmanuel Macron, Barack Obama, Dalaï Lama et bien d’autres chefs d’Etat et autres personnalités publiques et politiques de premier plan ont eu un mot dimanche en mémoire de l’archevêque sud-africain.
Controverses
Accusations d’antisémitisme
Desmond Tutu a de nombreuses fois fait des remarques jugées « racistes » et offensantes à l’égard du peuple juif. Reconnaissant avoir été souvent accusé d’antisémitisme, il a rétorqué qu’il faudrait « avoir de la chance » pour le prouver et que son « dentiste s’appelle docteur Cohen ».
Il a minimisé la souffrance qu’ont endurée les victimes du génocide nazi : il déclare faussement que les chambres à gaz était faites pour « une mort plus propre » que les crimes de l’apartheid, en se plaignant d’un « monopole de l’Holocauste » ainsi qu’en demandant aux victimes de « pardonner les nazis pour l’Holocauste ». Des remarques jugés par le centre Simon-Wiesenthal comme étant « des insultes aux Juifs et aux victimes des nazis ». Il a également déclaré que les Juifs « pensent avoir le monopole de Dieu », et les accusent d’avoir « combattu » et de s’être « opposés à Dieu ».
En 1987, il menace de « punir » les Juifs Sud-africains si Israël ne participe pas au boycott du régime d’Apartheid. En 1989, au mémorial de Yad Vashem pour le génocide de six millions de Juifs, Desmond Tutu adresse une prière pour les responsables nazis du génocide.
Il a également accusé les Juifs de faire souffrir de la même manière les Palestiniens. Lors d’une autre déclaration, il compare le « système » du Temple juif avec l’apartheid et se plaint que « critiquer Israël vaut l’accusation d’antisémitisme », justifiant son propos : « comme si les Palestiniens n’était pas des Sémites ». Il décrit le nationalisme juif comme ayant « beaucoup de parallèles avec le racisme », des propos condamnés par l’Anti-Defamation League. Accusant aux côtés de Yasser Arafat et du Hamas les dirigeants israéliens de « terrorisme » tout en le comparant à des régimes totalitaires, dont l’Allemagne nazie et l’Afrique du Sud sous l’apartheid : « des régimes très puissants ». Desmond Tutu se dit être en faveur « du boycott des universitaires et commerçants Juifs israéliens ».
Il accuse de même les Juifs de ce qu’il qualifie de « lobby juif », reprochant d’« effrayer les Américains de reconnaître [ce qui est] le mal, [comme étant] le mal. Car le lobby juif est puissant, très puissant ». Il taxe les Juifs d’« arrogance, l’arrogance du pouvoir parce que les Juifs forment un puissant lobby dans ce pays ».
En 2009, l’universitaire Alan Dershowitz accuse Desmond Tutu de « racisme et d’intolérance ». Il est à nouveau accusé d’antisémitisme après avoir déclaré dans le Tampa Bay Times que les Juifs devraient « être jugés selon des normes différentes des autres peuples ».
Le 30 mars 2012, Desmond Tutu participe à une marche organisée à partir des Territoires palestiniens vers Jérusalem, pour protester et « résister sans violence » contre la présence de populations juives à Jérusalem, qu’il qualifie de « judaïsation ».
En 2014, dans le South African Jewish Report, Desmond Tutu est comparé à Adolf Hitler et accusé de vouloir « tuer les Juifs ».
Critiques
Desmond Tutu avec Lakhdar Brahimi, Gro Harlem Brundtland et Henry Bellingham (Londres, 10 janvier 2011).
À la suite de sa critique de Jacob Zuma, celui-ci, l’accuse de « double standard » et d’amnésie sélective. Le congrès des étudiants sud-africain condamne ses actions, le décrivant comme étant une « personne scandaleuse ».
Tutu a également été critiqué pour avoir refusé de participer à un événement en la compagnie de Tony Blair, estimant que ce dernier et George W. Bush devraient être jugés devant la Cour internationale de justice pour avoir « déstabilisé et polarisé le monde à un degré jamais atteint par aucun autre conflit dans l’histoire avec le spectre de la Syrie et de l’Iran devant nous. La question n’est pas de savoir si Saddam Hussein était gentil ou méchant, ou combien de personnes de son peuple il a massacré ». Il a fini par affirmer que le simple décompte du nombre des victimes enregistrées pendant et après la guerre d’Irak justifierait amplement leurs arrestations.
En décembre 2013, n’ayant reçu aucune accréditation officielle, on pense qu’il sera absent de l’enterrement de Nelson Mandela. « Si mon bureau ou moi-même avions été informés que j’étais le bienvenu, pour rien au monde je n’aurais manqué ça », a-t-il réagi. Il faut dire que Desmond Tutu, 82 ans, pourfend régulièrement les dérives du gouvernement du président Jacob Zuma, notamment les scandales de corruption et l’échec à réduire les inégalités. En 2013, il a assuré qu’il ne voterait plus pour le Congrès national africain (ANC), le parti de la lutte contre l’apartheid au pouvoir depuis l’avènement de la démocratie en 1994. Cependant, il sera finalement présent.
En 2014, le parti démocratique chrétien (CDP) sud-africain s’oppose aux positions de Desmond Tutu, le critiquant pour son hypocrisie et le qualifiant de « fils de Satan »